Par Hmida BEN ROMDHANE Dans un sommet nord-américain tenu le mois dernier à Mexico, le président Obama a estimé que « les Etats-Unis ne considèrent pas l'Ukraine comme un échiquier de compétition avec la Russie. » En d'autres termes, le président américain ne croyait pas ou feignait de ne pas croire que les relations entre Washington et Moscou fussent déterminées par une rivalité qui rappellerait les longues et dangereuses décennies de la guerre froide. Quelques semaines plus tard, la situation en Ukraine a connu des développements inattendus qui ont remis le monde dans une ambiance que l'on croyait enterrée avec l'Union soviétique, l'ambiance de la guerre froide. Le 1er mars, les troupes russes étaient entrées dans la péninsule de Crimée, à l'est de l'Ukraine, pour « défendre la population russophone et les intérêts de la Russie », et la Maison-Blanche dénonça aussitôt « une violation de la loi internationale et une atteinte à la souveraineté de l'Ukraine ». Depuis, pas un jour ne passe sans qu'Obama n'accuse Poutine de tous les maux et sans que celui-ci ne réponde aux accusations de celui-là. Dans cette guerre des communiqués que se livrent Washington et Moscou, on reste pantois face au culot dont sont capables les Etats-Unis. Voici un pays qui, en matière d'agressions contre des pays faibles, est champion toutes catégories, mais se permet tout de même de jouer aux défenseurs du droit et de la rectitude morale. Le secrétaire d'Etat Kerry s'est permis même un voyage de provocation en Ukraine où, à partir de Kiev, il a dénoncé « l'agression russe ». La Russie a répondu du tac au tac, oui, effectivement, il s'agit d' « une agression armée contre le pouvoir légitime ukrainien », représenté par le président Viktor Ianoukovitch, élu démocratiquement en 2010... Depuis l'effondrement de l'Union soviétique, c'est la deuxième fois qu'on assiste à des scènes rappelant réellement les décennies 1950-60-70 et 80 où la guerre froide menaçait de temps à autre de se transformer en guerre chaude entre les deux superpuissances américaine et soviétique. La première fois, c'était en 2008 quand la Russie était obligée d'intervenir en Abkhazie pour défendre cette province que l'ancien président de la Géorgie, Mikheil Sakaachvili, dans un geste de provocation insensé à la Russie, voulait annexer. Le soutien occidental hier aux autorités anti-russes de la Géorgie et aujourd'hui aux nouvelles autorités ukrainiennes, tout aussi anti-russes, ne peut que renforcer le sentiment qui prévaut au Kremlin que l'encerclement de la Russie est à l'œuvre et que son affaiblissement est un objectif stratégique que les puissances occidentales ont du mal à cacher. En effet, l'Occident en général, et les Etats-Unis en particulier, ont, depuis l'effondrement de l'Union soviétique, poursuivi une politique d'encerclement systématique de la Russie. Contrairement à la promesse faite par l'ancien président américain, George Herbert Bush à Mikhail Gorbatchev en 1991, l'Otan et l'Union européenne n'ont pas perdu de temps pour accueillir en leur sein la quasi-totalité des anciens pays du Pacte de Varsovie, et même certaines anciennes républiques soviétiques, comme la Lettonie et la Lituanie. La crise actuelle en Ukraine, loin d'être provoquée par la Russie, trouve son origine dans cette étrange détermination des puissances occidentales à étendre toujours plus loin leur influence dans l'est de l'Europe et à réduire chaque fois un peu plus celle de la Russie. Les événements de 2004 (la révolution orange) et de 2014 (le renversement du pouvoir pro-russe à Kiev) où la CIA américaine, le MI6 britannique et de nombreux diplomates occidentaux étaient sur le terrain en Ukraine à côté des forces anti-russes, prouvent, si besoin est, qu'il y a une stratégie qui dépasse les Ukrainiens et qui vise à pousser la Russie dans ses derniers retranchements. La question qui se pose est pourquoi l'Occident (les Etats-Unis en particulier) tient-il tant à encercler et à affaiblir la Russie ? Rappelons-nous la fameuse affirmation du premier secrétaire général de l'Otan, Lord Ismay. En 1949, il prononça une phrase restée célèbre : «Le but de l'Alliance atlantique est de maintenir les Russes dehors, les Américains dedans et les Allemands en bas (Russians out, Americans in and Germans down). Les choses ont bien changé depuis. L'Américain John Feffer, codirecteur de « Foreign Policy in Focus », a paraphrasé la célèbre affirmation de Lord Ismay en l'adaptant aux conditions internationales de 2014. «L'Ukraine, dit-il, fait partie du grand jeu hérité de la guerre froide et que les Etats-Unis continuent de jouer; un jeu qui consiste à maintenir les Russes en bas, les Américains dedans et le flux du pétrole et du gaz vers l'extérieur».