La situation économique et sociale empire. Les clignotants sont au rouge. Le constat est unanime, ou presque. La Tunisie traverse une période sombre. Le chamboulement dû à la révolution de 2011 n'en finit pas d'engendrer contrecoups et remous. L'incompétence caractérisée des gouvernants tout au long des deux défunts gouvernements de la Troïka sortante, deux années durant, à donné le coup de maillet à une situation en soi chancelante. Trois faits saillants caractérisent la place. Le chômage massif se poursuit tandis que les opportunités d'emplois nouveaux se raréfient. Les prix des denrées alimentaires et des produits de base augmentent vertigineusement, alors que la paupérisation se poursuit inexorablement. L'endettement intérieur et surtout extérieur s'allie à la chute des investissements et à la stagnation, voire la régression, des exportations. En même temps, des grèves surgissent çà et là. Ces derniers jours, elles prennent même de l'ampleur et touchent divers secteurs. C'est devenu une espèce de rouleau compresseur imprévisible. Et pour plusieurs raisons. D'abord, le pluralisme syndical fait que des grèves surgissent, désormais, à l'improviste et sans crier gare dans des secteurs où l'on ne s'y attend guère. Ensuite, les enceintes sectorielles échappent de plus en plus au contrôle des structures dirigeantes centrales des syndicats. Celles-ci sont parfois déconnectées et prises au dépourvu par des mouvements syndicaux de base ou de domaines à la mobilisation «rebelle» ou sauvage. Bien des grèves n'observent, en effet, pas le critère légal du préavis de dix jours. Hier, la centrale patronale, l'Utica, a publié un communiqué où elle tire la sonnette d'alarme. A l'en croire, les débrayages mettent en péril non seulement les opportunités d'emplois potentiels, mais également les emplois existants. Les grèves s'accompagnent parfois de violences et voies de fait à l'endroit des patrons ou du personnel. Le constat est amer. Les dérégulations touchent tous les secteurs.Aujourd'hui, la centrale syndicale majoritaire (l'Ugtt) et la centrale patronale (l'Utica) se retrouvent au sein du Quartet chapeautant le Dialogue national pour la sortie de crise. Mais les accords politiques d'état-major peinent à se concrétiser, économiquement, au niveau des bases. Une situation à bien des égards paradoxale et anachronique. Et au milieu de ce naufrage généralisé et progressif, peu de voix s'élèvent pour appeler à raison garder. Le secrétaire général de l'Ugtt, M. Houcine Abassi, demeure quasi silencieux. Idem des personnalités nationales d'envergure, les dirigeants proéminents des partis politiques en prime. La dernière phase de la transition politique est périlleuse. Beaucoup de choses dépendent de ses issues plus ou moins heureuses. La loi de finances 2014 est scélérate. On aspire aux correctifs nécessaires via la loi de finances complémentaire. Mais encore faut-il assainir le climat social pour y parvenir. A l'occasion de ses visites inopinées des deux derniers jours, M. Mehdi Jomâa, chef du gouvernement, s'est voulu apaisant. Or l'apaisement doit être en premier lieu — et surtout — dans les faits et non point dans les seuls discours. Il importe aujourd'hui d'y réfléchir à deux fois avant de s'aviser de réviser à la hausse les prix de certaines denrées alimentaires et des produits de base. Idem de la levée progressive des subventions. Certes, nous avons le couteau sous la gorge et nous n'avons pas le choix, nous dit-on. Mais les mesures impopulaires des traitements de choc imposés par le FMI et la Banque mondiale n'en ont cure. Leurs recettes sont toutes faites dans une espèce de prêt-à-porter capitaliste financier, sans états d'âme. Et puis, on ne le dira jamais assez, les bonnes prestations à l'extérieur dépendent toujours de l'existence d'un front intérieur compact et fort. En économie comme face au terrorisme, l'union sacrée doit être de mise en cette période critique que traverse la Tunisie. Or, parmi les dirigeants politiques et associatifs de divers horizons, les voix de la raison sont particulièrement rares, et lorsqu'elles se manifestent, elles sont inaudibles.