Par Abou Khalil* Mettez de côté votre égoïsme, vos ambitions politiques personnelles et partisanes et votre vanité avant qu'il ne soit trop tard La lutte pour le pouvoir est, depuis la nuit des temps, au centre de la vie politique : selon les sociétés et les régimes, des partis, des factions, des clans et même des familles se battent, pacifiquement, pour prendre le pouvoir ou s'y maintenir. J'appartiens à la génération de l'indépendance et j'ai eu la chance d'avoir vécu et participé —comme mes camarades— un tant soit peu aux évènements qui ont conduit notre pays à l'abrogation du traité du protectorat du 12 mai 1881. Et comme tous les jeunes de mon âge, j'ai été un témoin privilégié de toutes les étapes qui ont conduit notre pays à se doter, au fur et à mesure des opportunités et compte tenu de ses moyens et de ses capacités, des structures et des composantes d'un Etat moderne. Il n'est pas inutile de rappeler la misère, la pauvreté et la précarité dans tous les domaines que la Tunisie indépendante a héritées du colonialisme. D'ailleurs, la situation sociale de la grande majorité de nos concitoyens qui manquaient de tout (analphabétisme, chômage, inexistence d'infrastructures routières et hospitalières, agriculture archaïque, etc.), et la guerre d'indépendance qui sévissait en Algérie, depuis quelques années, et qui avait de sérieuses répercussions sur notre pays, présentaient de grandes préoccupations au jeune Etat qui commençait, à peine, à faire ses premiers pas. En effet, la Tunisie a accueilli, par devoir et par solidarité, des dizaines de milliers de réfugiés algériens qui fuyaient les atrocités et les sévices de l'armée coloniale ainsi que des centaines de katibas de l'armée de libération nationale. Celles-ci, disposant chez nous de bases sécurisées, étaient venues pour s'organiser, s'instruire, s'équiper, se ravitailler et regagner l'Algérie pour se battre. Grâce au sérieux de ses cadres et à l'intelligence de ses jeunes responsables, la Tunisie, malgré ses faibles moyens et la modestie de ses ressources, a réussi à accomplir, dans le domaine social, ce que beaucoup de pays qui disposaient de milliards de pétrodollars n'ont pas été capables, pour diverses raisons, de réaliser. Les choses ont évolué, de décennie en décennie, et notre pays, qui a connu plusieurs modèles de développement dont celui du coopérativisme global mais qui ne fut pas productif, opta, dans les années 70, pour un libéralisme positif qui transforma le paysage social et économique du pays. Notre pays, malgré ses réussites, a, tout au long de son histoire contemporaine, connu des hauts et des bas : de l'épopée bourguibienne qui permit à la Tunisie d'être, aux moindres frais, indépendante, à la période de grandeur de Bourguiba qui, malgré les erreurs politiques commises, marquera l'histoire de notre pays : il fut un véritable leader charismatique qui a été le fondateur de l'Etat tunisien moderne avec la promulgation du Code du statut personnel, l'obligation de l'enseignement pour les garçons comme pour les filles et sa gratuité pour tous, à la décadence du vieux*Lion* dans les années 1980, due à l'âge et à la maladie. Cette période a été suivie et marquée par les folles espérances nées avec la Déclaration du 7 novembre 1987 qui se sont, aussitôt, avérées fausses et trompeuses, par le double langage de Ben Ali à partir de 1992, par sa dictature totalitaire depuis 1999 et par sa perte depuis son mariage avec Leïla Trabelsi jusqu'à sa fuite le 14 janvier 2011 provoquée par la Révolution du peuple et de sa jeunesse. La Révolution du jasmin, faite et réussie essentiellement par la jeunesse, a été récupérée par les partis politiques qui ne l'ont pas faite et à laquelle très peu d'entre eux ont participé. Ceux-ci ont, dans un but de se débarrasser définitivement des politiciens qui ont été aux premières lignes de la vie politique depuis les années 60 et qui, à l'occasion, se sont volontairement fait oublier, et grâce aux gros moyens financiers utilisés ainsi qu'à leur forte mobilisation, ont laissé libre cours à leur imagination pour, d'une part, gagner les élections et, d'autre part, faire supporter par les destouriens tous les torts, toutes les gaffes et toutes les erreurs, réels ou imaginés, des deux régimes qui ont gouverné le pays depuis l'indépendance. Ils ont surtout exploité l'effet de surprise, la stupéfaction et le silence des nationalistes et des patriotes sincères qui, peinés par les pertes en vies humaines suite aux évènements de la Révolution, ont fait profil bas, permettant ainsi à cette nouvelle classe politique de leur faire supporter tous les maux, vrais ou supposés, du pays survenus durant le demi-siècle écoulé. Pour cette nouvelle classe politique, la Tunisie n'a rien réussi en un demi-siècle d'indépendance. Certains de ces nationalistes et patriotes sincères, qui n'étaient pas aux premières lignes ou qui ont rompu, depuis bien longtemps, avec l'ancien régime, que ce soit du parti ou du gouvernement, ont essayé de participer, par groupes dispersés, aux élections du 23 octobre 2011. Et nous avons, ainsi, assisté à la création d'un grand nombre de partis politiques qui, à cause de leur dispersion, et même avec un total cumulé de plus d'un million et quart de voix n'ont obtenu qu'un tout petit nombre de députés, alors que le parti majoritaire remporta, pour un nombre d'électeurs légèrement plus élevé , près de quinze fois plus d'élus. C'est ainsi que ces partis qui n'ont aucunement participé à la Révolution, mais qui en ont bel et bien profité, ont pu gouverner le pays, deux ans durant, avec les résultats que nous connaissons tous. Il a fallu la mobilisation de centaines de milliers de nos concitoyens et des associations de la société civile pour que ces partis cèdent le pouvoir avec la volonté claire et nette de le reprendre à la première occasion, c'est-à-dire vers la fin de cette année, suite aux prochaines élections qu'ils projettent, d'ores et déjà, de gagner, ce qui est, certes, légitime. Et vous, les partis politiques de la grande famille destourienne, comment allez-vous réagir, cette fois-ci, pour ne pas retomber dans les mêmes erreurs et obtenir les mêmes résultats que lors des dernières élections ? Allez-vous encore vous laisser faire et avoir ? Allez-vous encore vous présenter en ordre dispersé de « chacun pour soit et Dieu pour tous » ? Vous n'avez pas le droit de rater ces prochaines élections car vous avez un bilan exceptionnel que vous devriez mettre en valeur : les innombrables et incalculables réalisations effectuées dans le pays malgré la modestie de nos moyens, les inestimables dotations dans le secteur social, les milliers d'écoles et de lycées construits au fin fond de nos campagnes, la renommée de notre pays obtenue grâce à l'œuvre de Bourguiba et à son prestige, etc. Les destouriens ne comprennent pas pourquoi vous ne crieriez pas, à chaque fois, haut et fort, pour rappeler dans tous vos meetings et lors de vos passages sur les plateaux de télévision, le bilan du Néo-Destour, ce parti qui, au fil des décennies, même s'il a changé d'appellation pour devenir PSD ou RCD, n'a pas pour autant dévié de ses buts et de ses objectifs, du moins jusqu'aux années 95. Mesdames et Messieurs les responsables des partis destouriens, vous avez un bilan remarquable et exceptionnel qu'aucun autre parti politique, d'ici très longtemps, ne pourra égaler et dont tous les nationalistes sincères sont très fiers: en effet, le parti du Néo-Destour a, en seulement trente ans, réalisé : L'indépendance du pays, aux moindres frais, surtout en vies humaines, et c'est très important, L'évacuation des troupes étrangères de notre sol en payant un très lourd tribut représenté par le sang de centaines de martyrs, Le Code du statut personnel, unique dans le monde musulman, accordant les mêmes droits aux femmes qu'aux hommes, L'enseignement obligatoire pour les garçons et les filles, jusqu'à l'âge de seize ans et sa gratuité pour tous, L'établissement du planning familial sans lequel la Tunisie aurait compté, aujourd'hui, une population de près de quinze millions d'habitants, Des rapports d'amitié avec tous les peuples de la planète qui ont eu pour nous le respect le plus profond, Le soutien le plus total à toutes les justes causes à tel point que notre pays était devenu, pour la majorité des pays africains, le modèle à suivre dans les prises de position diplomatiques. Compte tenu de ce qui précède, l'on est en droit de se demander pourquoi les partis destouriens ne tirent pas un net avantage de ce bilan exceptionnel même si des erreurs et des fautes ont été commises, alors que le parti destourien était au pouvoir. Les peuples oublient vite et même très vite et c'est pour cela qu'il faut, de temps à autre, faire quelques rappels historiques. D'autre part, pourquoi la grande famille destourienne, y compris le dernier parti créé, ne penserait pas se rassembler et organiser, le 20 mars prochain, date historique pour tous les Tunisiens et qu'aucun autre parti ne peut s'en prévaloir, un meeting au Palais des expositions du Kram pour : Commémorer, comme il se doit, cette date historique, Rappeler aux Tunisiens leur devoir face au péril terroriste qui essaie de s'introduire chez nous pour changer notre mode de vie, Faire aux victimes des régimes destouriens et à leurs familles, sans attendre la justice transitionnelle, le mea culpa et reconnaître les fautes commises et surtout leur présenter officiellement des excuses, Prôner, par la même occasion, la réconciliation du peuple avec lui-même pour relever les nombreux défis tels que le terrorisme et le tekfir, les questions de développement (chômage, précarité, cherté de la vie, etc.), Expliquer à nos concitoyens que les gouvernements destouriens n'ont jamais eu la volonté politique de négliger ou de défavoriser les régions de l'intérieur dans l'effort de développement global mais que dans tous les pays du monde, les régions côtières qui disposent, grâce à la mer, de moyens de communications sûres et bon marché, ont toujours attiré les investisseurs qui sont, légitimement, intéressés beaucoup plus par le gain que par le risque ; dommage que personne, après la révolution, n'a osé rappeler à nos concitoyens les montants des investissements publics dans ces régions éloignées, montants se chiffrant, chaque année, par dizaines de milliards de dinars, et il n'y a qu'à revenir aux archives du parlement pour être bien édifié sur ce sujet. Que nos concitoyens de ma génération aient l'honnêteté intellectuelle de dire ce qu'était, par exemple, la région d'où a jailli la révolution dans les années 70, et ce, qu'elle était devenue vingt ans plus tard grâce aux interventions de l'Etat (elle a la première forêt de pistachiers, la quatrième forêt d'oliviers, la fourniture au pays du quart de ses besoins en légumes, et elle produit des céréales), Mobiliser les destouriens et tous les patriotes, pour les prochains rendez-vous électoraux, en leur rappelant les réalisations des régimes destouriens et surtout leur présenter un programme socioéconomique ambitieux, répondant à leurs attentes réelles et surtout réalisable, donc crédible, Démontrer au peuple tunisien que la famille destourienne est toujours là lorsque le pays est en danger et qu'elle est disposée à défendre tout ce qui lui est spécifique : son islam tolérant, son indépendance, son intégrité, son modèle de vie, sa liberté et sa tunisianité. Messieurs, oubliez vos différends, vos désaccords, votre ego, votre individualisme et pensez d'abord à l'intérêt du pays et du peuple en s'inspirant de l'action et des valeurs des pères fondateurs de la Nation. L'union fait la force et présentez-vous en ordre serré pour gagner les élections. C'est maintenant qu'il faut le faire car demain il sera trop tard. Et attention au jugement de l'Histoire. *(Ancien secrétaire général de la Jeunesse scolaire (1954-56), ancien cadre supérieur, diplômé de l'Institut de défense nationale)