Une bonne politique de stockage des produits agricoles permettra de stabiliser le marché et d'en moraliser la distribution Pour un pays comme la Tunisie où la pluviométrie demeure un facteur déterminant dans le rendement agricole, les années d'abondance ne sont pas toujours au rendez-vous. L'exemple de la saison agricole 2012/2013 atteste de cette réalité. Autant le nord et une partie du nord-ouest ont été suffisamment arrosés, autant le reste du pays était presque à sec. Les conséquences de cette sécheresse étaient manifestes au niveau des prix des fourrages (foin et paille) notamment, ainsi que pour l'oliveraie dont la récolte fut l'une des plus médiocres de ces dix dernières années, sans compter cette maladie rare qui a attaqué le fruit avant mûrissement. Le manque de précipitation se répercute aussi négativement sur les cultures maraîchères, dans la mesure où les quantités d'eau en réserve dans les barrages peuvent ne pas suffire à la demande, et ainsi on cultive moins que prévu. Par ricochet, c'est l'offre qui s'en ressent avec tout ce que cela implique comme renchérissement des prix à la consommation. C'est un véritable cercle vicieux qu'il faudrait sans doute ébrécher pour s'en sortir. Mais pour ce faire, il faudrait que bien des efforts soient conjugués, émanant des différentes parties concernées et une dose de volonté de la part des gouvernants. Faut-il encore préciser que cette question est depuis des décennies posée et n'a jamais été creusée afin que des remèdes lui soient trouvés. On a souvent entendu parler de la création de fonds pour permettre le stockage de tel ou tel produit, en prévision des saisons de vaches maigres, mais rien de tel ne s'est concrétisé. Et celui qui fait les frais de cette incohérence politique aux répercussions économiques et sociales néfastes, ou c'est le consommateur avec la hausse des prix par année de mauvaise récolte de tel ou tel produit, ou c'est l'agriculteur en cas d'abondance avec une offre qui dépasse la demande. En exemple, nous donnons celui de la pomme de terre, à l'hiver 2012/2013, le kilo avait atteint 1,400d, voire 1,500d. Pour celui de cette saison, ce même kilo se vend aux marchés à l'intérieur du pays — car il ne faut jamais prendre Tunis comme référence — à 350 millimes et peut même descendre jusqu'à 250 millimes pour la pomme de terre de moindre calibre. Cercle vicieux ! Le même constat est valable pour les fourrages. Le prix de la balle de paille a atteint sur place en juin 2013 3d,500, du jamais-vu. Celui de la balle de foin a flirté avec les 8d,000! Des prix qui ont fait, certes, le bonheur des céréaliers et fourragers, mais nullement celui des éleveurs, notamment ceux du Centre et du Sud du pays qui ont payé le prix fort pour pouvoir nourrir leur bétail. La balle de foin (entre 1,10m et 1,20m) se négocie jusqu'à 15d,000! Ceci peut expliquer, en partie, la hausse vertigineuse des prix des viandes rouges. Toutefois, une précision est à faire à ce niveau-là : la balle de foin achetée au départ de la saison à 6d,000 et vers sa fin à presque 8d,000 voit son prix doubler et même davantage après avoir fait un trajet de 350 à 500km du nord au sud du pays, du fait de la spéculation, et non en raison d'une grande pénurie du produit. Les spéculateurs en matière de paille et de foin sont connus et localisés territorialement. Leur avantage, c'est qu'ils ont les moyens de leurs pratiques, avec les hangars pour le stockage et les moyens de transport adéquats. C'est vrai qu'ils travaillent dans des conditions parfois inhumaines surtout au mois de Ramadan qui a coïncidé, ces dernières années, avec l'été, c'est vrai aussi qu'ils sont souvent sujets à des tracasseries sur la route, du fait de l'insécurité ou de l'excès de zèle de certains agents de la circulation, mais il est tout aussi vrai qu'ils mettent à profit leurs capacités de s'approvisionner sur place et de stocker pour jouer les spéculateurs, souvent sans vergogne. Le pauvre petit éleveur, devant le besoin de nourrir ses bêtes, ne peut que courber l'échine pour savourer l'amer diktat de cette catégorie de rapaces dont les méfaits sont loin d'être négligeables. Cela dit, les deux exemples cités peuvent être généralisés pour plus d'un produit agricole destiné à la consommation de l'homme ou des animaux domestiques. Ceci, pour ainsi dire, nous renvoie à la juste réalité des défaillances qui existent au niveau des rapports régissant la chose économique. Car, à n'en point douter, il y a un maillon manquant à la chaîne, ce maillon n'est autre que les stocks régulateurs qui permettent d'agir sur les cours des différents produits pour les maintenir à des niveaux raisonnables en cas de pénurie, ou d'une demande dépassant l'offre. Tous les pays du monde procèdent de la sorte, et ceux d'entre eux qui ont le plus de moyens sont les premiers à procéder de la sorte. Les Etats-Unis, pays de libre-échange par excellence, est le champion en la matière. Les stocks stratégiques en tout produit ne sont un secret pour personne. En matière de céréales, les plus grands achats sont faits à l'aide de subventions de l'Etat fédéral, et ce, pour des raisons intérieures et extérieures aussi. Car les céréales, c'est l'une des armes dont use Washington pour imposer sa politique étrangère. Pour nous autres Tunisiens, notre ambition est, bien sûr, à la mesure de nos moyens, car ce que nous cherchons, et qui doit figurer comme priorité, c'est la stabilité de notre marché intérieur, où tout le monde trouvera son compte. Le producteur, tout comme le consommateur. Et ainsi, on pourra moraliser un tant soit peu le secteur des intermédiaires qui demeure, qu'on le veuille ou pas, une composante dont on ne peut se passer.