La période postrévolutionnaire n'a pas été de tout repos pour les femmes tunisiennes. Ce constat émerge du second cercle de réflexion du Connecting Group sur le thème «Femmes et transition» Le Connecting Group est une nouvelle association tunisienne, qui cherche à promouvoir l'accès des compétences féminines aux postes de prise de décision et à assurer la participation des jeunes dans la vie publique et politique. Après avoir traité la question des libertés en Tunisie, le 10 mai dernier, le C.G. a choisi pour son second cercle de réflexion le thème de : «Femmes et transition». Rencontre qui s'est déroulée samedi dernier à la faculté des Sciences juridiques, politiques et sociales de l'Ariana. Contre toute attente et malgré la chute d'un système autoritaire, la période transitoire, notamment sous le gouvernement de la Troïka, n'a pas été de tout repos pour les femmes tunisiennes. Cette idée a été partagée par les divers intervenants de la matinée de réflexion. Une ambiance peu propice à l'évolution de l'égalité des genres «Après tout ce que nous avons vécu ces trois dernières années, nous pouvons affirmer aujourd'hui que la remise en cause de la modernité de l'Etat est intrinsèquement liée aux menaces de régression du statut des femmes et de leurs droits. Rappelons-nous toutes les atteintes aux acquis des femmes tunisiennes : le retour du mariage coutumier, les propositions d'un homme politique de faire baisser l'âge du mariage des filles et d'un député CPR d'instituer la fonction du notaire charaique, comme en Egypte où la situation des femmes est beaucoup moins avancée que chez nous. Cette ambiance peu favorable à l'évolution des droits des femmes a permis de glisser dans la première version de la Constitution du mois d'aout 2012 le principe de la «complémentarité entre les hommes et les femmes». C'est grâce à la vigilance de la société civile que cette disposition a été finalement abandonnée», rappelle la juriste Hafidha Chekir. Bien qu'elle regrette que la Constitution du 26 janvier 2014 n'ait pas reconnu dans son préambule l'universalité des droits humains ayant plutôt opté pour «les principes universels des droits de l'homme», communs à toutes les religions, pour H. Chekir, la loi fondamentale garantit beaucoup de droits aux femmes, dont l'égalité et la parité. Reste à l'Etat, selon la juriste qui a fait partie de l'Instance Ben Achour, de réviser certaines de ses législations pour les adapter à la Constitution, dont les garanties du droit au travail et à un salaire égal et aussi à définir une Loi cadre sur la violence à l'égard des femmes, puisque l'article 56 reconnaît l'importance de ce fléau dont souffre la gent féminine. Kamel Labidi, journaliste et ancien président de l'Instance nationale de réforme de l'information et de la communication (Inric), a relevé pour sa part diverses discriminions par rapport à la présence des femmes dans les médias en tant qu'intervenantes dans le débat public, au profit d'hommes politiques dont le discours est caractérisé par la démagogie et le populisme, tels les Adel El Elmi et Bahri Jelassi. Les chiffres que Kamel Labidi cite semblent en contradiction totale avec l'implication des femmes dans la société civile : «Une femme sur dix hommes est invitée aux débats politiques télévisuels et une femme sur quinze intervenants participe à une émission économique». Le comble de l'absurdité, selon l'ancien président de l'Inric, revient probablement à l'époque du sit-in du Départ, l'été 2013 au Bardo, lorsque 70% des manifestants se recrutaient parmi les femmes et que les débats à la télé se déroulaient entre hommes ! Les décisions politiques se prennent dans les cafés exclusivement masculins Le multipartisme postrévolutionnaire a-t-il contribué à donner plus de place aux femmes dans les instances de décision notamment ? «Non», répond Hajer Habchi, directrice du Centre d'information à l'Institut arabe des droits de l'homme et coordinatrice d'une étude sur la participation des femmes dans les partis, les syndicats et les associations professionnelles. Elle se base sur les résultats préliminaires d'une étude en cours d'élaboration qui a visé dix partis tunisiens de diverses tendances et plusieurs syndicats pour avancer que si dans les grands partis, tels Nida Tounès et Ennahdha, le taux d'adhésion des femmes semble important, leur accès aux postes de direction reste minime. Même chose dans le plus grand syndicat tunisien, l'Ugtt, où on ne trouve aucune femme dans son bureau exécutif. La seule exception vient d'Al Massar, qui a institué le principe de la parité dans les instances de décision du parti. « Dans les régions, la situation est pire : les décisions des politiques se prennent le soir dans les cafés excluant naturellement les femmes de cet espace public réservé traditionnellement à la gent masculine !». Et pourtant, explique l'économiste Sonia Naccache, le pays a beaucoup à gagner en réservant une meilleure place aux femmes sur le marché du travail. Toutes les études sur les finances des ménages attestent qu'à chaque fois que le taux d'activité des femmes s'élève, la croissance augmente sensiblement. «Très sensibles à l'économie d'énergie, les femmes qui travaillent investissent leur salaire dans les grandes décisions financières concernant le bien-être de la famille (achat d'une maison, d'une voiture...) et dans l'éducation de leurs enfants. Leur salaire change la base financière des sociétés : Avec leur accès au crédit, de nouveaux horizons matériels s'ouvrent devant elles», affirme Sonia Naccache.