Un tollé général de contestation a accompagné la désignation de Sihem Ben Sedrine à la présidence de l'Instance. Les membres de l'Instance gardent pour le moment le silence et s'exprimeront mercredi prochain L'Instance vérité et dignité est-elle partie du mauvais pied avant même qu'elle n'entame ses activités ? La question est à poser dans le sillage de l'élection, mardi 17 juin, de Sihem Ben Sedrine à la présidence de l'Instance. Une élection qui a provoqué un tollé général dans la mesure où la présidente de l'Instance n'est «pas considérée dans les milieux de la société civile comme une personnalité consensuelle», comme le soulignent ceux qui s'opposent à ce choix. Pire encore, plusieurs parmi les observateurs qui suivent l'évolution du processus de la justice transitionnelle n'hésitent pas «à dénoncer les rapports étroits qu'entretient Mme Ben Sédrine avec Ennahdha et son soutien déclaré aux ligues de protection de la révolution». Et avec la décision de Khemaïes Chamari, le jour même de la constitution du bureau directeur de l'Instance, de démissionner pour «raisons personnelles et de santé», comme il l'a précisé à La Presse (voir notre édition d'hier), l'on se demande s'il y aura d'autres démissions dans les prochains jours d'autant que les associations spécialisées sont décidées à ne pas lâcher prise et à poursuivre leurs pressions et leur mobilisation afin de rectifier le tir avant que l'Instance devienne opérationnelle d'ici fin décembre prochain. On ne va pas tourner la page «Avec la composition révélée, mardi, du bureau directeur de l'Instance présidée par Sihem Ben Sedrine, on est certain maintenant que la Tunisie ne va pas tourner la page de la dictature et que les Tunisiens n'obtiendront ni la paix ni la justice tant espérées», martèle le Pr Amin Mahfoudh, expert en droit constitutionnel. «Dès le départ, nous avons tiré la sonnette d'alarme et nous avons précisé qu'avec les pouvoirs qui lui sont accordés, l'Instance vérité et dignité sera une machine de vengeance. Et avec le choix de Sihem Ben Sedrine pour assurer sa présidence, les choses vont se compliquer davantage, dans la mesure où elle n'assure pas le consensus parmi les autres membres et qu'elle est connue pour sa sympathie à l'égard d'Ennahdha. Ma conviction personnelle est que d'autres démissions suivront celles de Khemaïes Chamari qui a compris très vite que l'Instance est très mal partie», ajoute-t-il. Le Pr Mahfoudh préfère revenir à la loi portant création de l'Instance pour évoquer la problématique de l'identification des victimes. «Malheureusement, ce sont les victimes elles-mêmes ou ceux se prétendant telles qui vont le faire et l'on doit s'attendre, dans ce cas, à tous les excès possibles». Pour conclure, il estime que le juge administratif Mohamed Ayadi présente le profil idéal pour présider l'Instance. «Il réunit les critères de crédibilité et d'intégrité et il n'a pas été victime du régime déchu», précise-t-il. On paye le prix des pressions Pour Me Amor Safraoui, président de la Coordination indépendante pour la justice transitionnelle, les choses sont claires. «Au-delà des personnes qui dirigeront l'Instance vérité et dignité dont le choix a obéi au principe des quotas politiques, il est normal de choisir une présidente n'offrant aucune garantie de neutralité ou d'indépendance quand on viole la loi même qui a créé l'Instance», fait-il remarquer. Il révèle à La Presse : «Quand on sait que 11 sur les 15 membres de l'Instance ont voté pour avaliser l'accession de Sihem Ben Sedrine à la présidence, on découvre, en faisant les comptes, que 80% des membres composant l'Instance sont partisans d'Ennahdha. C'est dommage pour une instance d'une importance capitale dans l'histoire de notre pays, et qu'on voulait intègre, impartiale et apolitique et à laquelle on a confié la grande responsabilité de redresser les torts et de réparer les injustices dont les Tunisiens ont souffert plus de cinquante ans». Toutefois, Me Safraoui garde l'espoir de voir les dérapages attendus évités. «Il est possible de parer aux erreurs en amendant la loi sur l'Instance dans le sens de faire en sorte que ses décisions soient contrôlées par le futur Parlement», soutient-il. Un instrument de règlement de comptes De son côté, Tahar Ben Hassine, ancien détenu politique et membre de Nida Tounès, estime que le refus essuyé par Sihem Ben Sedrine peut s'expliquer par des considérations à la fois politiques et éthiques. «D'abord, sur le plan politique, elle est connue pour sa partialité, son soutien à un parti politique que tout le monde connaît et pour ses rapports très développés avec les ligues de protection de la révolution. Partant de cet état de fait, je suis convaincu qu'elle fera de l'Instance un instrument de règlement de comptes avec ceux qui ne partagent pas ses orientations. Ensuite, sur le plan éthique, le président de l'Instance devrait être une personnalité intègre, tolérante et au-dessus des intérêts partisans. Le grand militant Ali Ben Salem réunit justement ces conditions», révèle-t-il. Pour autant, Tahar Ben Hassine ne désarme pas en soulignant: «Nous poursuivrons notre campagne de sensibilisation de l'opinion publique sur les dangers de cette instance et nous ferons tout pour l'empêcher d'en faire à sa guise». Du côté de l'Instance vérité et dignité, on apprend que le mot d'ordre à l'heure actuelle est la discrétion. «Mercredi prochain, l'Instance désignera un porte-parole officiel et mettra en œuvre une politique de communication à l'adresse de l'opinion publique», révèle à La Presse une source informée auprès de l'Instance.