Le père de la victime accuse le chef de la police municipale d'être à l'origine de l'immolation de son fils. Il demande au ministère public d'ouvrir une enquête sur les circonstances du drame « Que Dieu me pardonne, ils m'ont opprimé ! », ce sont là les derniers mots de Hamed Abdellaoui, 21 ans, après s'être immolé par le feu jeudi, aux alentours de 13h au marché de Msaken, sous les yeux des agents de la police municipale. Selon des témoins oculaires, dont son frère de 16 ans témoin impuissant de toute la scène, les agents n'ont rien fait pour lui venir en aide ou le dissuader de passer à l'acte. « Ils ont provoqué mon frère, l'ont incité à s'immoler, puis se sont enfermés à l'intérieur de leurs bureaux, laissant Hamed se consumer », a indiqué Khalil, le petit frère de la victime. Transféré à l'hôpital universitaire de Sahloul, Hamed ne survivra pas à ses brûlures de 3e degré qui couvriraient 100% de son corps. Il décède dans la nuit du vendredi. Tout avait commencé jeudi à 9h du matin, lorsque les deux jeunes frères agriculteurs, originaires de la délégation de Sidi Amor Bouhajla à Kairouan, se sont installés au rond-point de Msaken à bord d'une camionnette, pour vendre des melons et des figues de barbarie. A côté, deux autres camionnettes vendaient également des fruits. Mais selon le récit du petit frère, lorsque passe la police municipale, elle vient voir directement ces « nouveaux venus », et saisit, sans trop discuter, la balance. Mais Hamed fait sortir une autre balance et commence à attendre les clients. Pas de chance, la même patrouille de la police municipale revient. Cette fois, elle emporte la balance et saisit les papiers du véhicule. « Vous devez payer 100 D pour commerce anarchique, 80 D de taxes et 50 D pour nous avoir fatigués sous cette chaleur de plomb », aurait déclaré, toujours selon le frère de la victime, un des agents de la police municipale. Hamed part au marché de Msaken pour tenter de récupérer ses outils de travail, pendant ce temps-là, Khalil discute avec les deux autres commerçants, qui n'ont à aucun moment été inquiétés par la police. L'un d'eux signifie clairement au jeune frère que pour que la police le laisse tranquille, il faut qu'il donne quelque chose aux agents. « Nous, à chaque fois que nous venons, nous filons 30 dinars aux agents, et ils nous laissent tranquilles », aurait-il déclaré. Pendant ce temps-là, Hamed, qui n'a rien vendu et dont la marchandise pourrit sous le soleil, se voit refuser la restitution de ses papiers et de ses deux balances. De retour auprès de son petit frère, il a un plan : « J'en ai marre, je vais acheter de l'essence, je vais les menacer de m'immoler s'ils ne me rendent pas mes affaires, dès que je les aurais récupérées, on partira tout de suite d'ici, je n'ai plus envie de vendre quoi que ce soit », dit-il à Khalil. Selon un de ses frères, Med Hédi, le médecin légiste aurait diagnostiqué une fracture au niveau de l'épaule, ce qui laisse soupçonner que les agents ont agressé la victime. Il part chercher de l'essence, et au deuxième étage du poste de la police municipale, au-dessus du marché de Msaken, il s'asperge d'essence devant les agents de police et menace de s'immoler. La réponse des agents est légère et irresponsable, selon son petit frère : « Vas-y allume-toi ! ». C'est là que le drame survient, voulant juste allumer le briquet pour se faire plus menaçant, Hamed prend feu. Les agents s'enferment dans leur bureau, aucune tentative d'étouffer le feu n'a été entreprise selon les témoins. En feu, Hamed descend les escaliers, laissant derrière lui des traces à chaque palier. Il entre au marché, où les commerçants affolés tentent de le secourir avec des moyens dérisoires : de l'eau et des draps, mais il est déjà trop tard, il est entièrement brûlé. 15 minutes plus tard, il est transporté à l'hôpital universitaire de Sahloul où il décède. Son père Abdelhamid accuse aujourd'hui le chef de la police municipale d'être à l'origine de l'immolation de son fils. Il demande au ministère public d'ouvrir une enquête sur les circonstances du drame. « Le chef de la police est responsable pour deux raisons : le harcèlement moral et la violence dont a fait l'objet mon fils Hamed, non-assistance à personne en danger puisqu'ils n'ont pas tenté d'empêcher mon fils de s'immoler et lorsqu'il s'est immolé, ils n'ont pas daigné appeler les secours», a-t-il déclaré à La Presse. Selon la docteure Nidhal Mahdhi, en charge du patient à l'hôpital de Sahloul, ce genre de cas s'est multiplié pour devenir un véritable phénomène. Elle explique que les victimes présentent souvent un terrain psychologique propice et il leur suffit d'un élément déclencheur pour passer à l'acte. Des accusations graves De retour sur les traces du drame, nous retrouvons les commerçants témoins de la terrible scène. Toujours sous le choc, ils déclarent que le chef de la police municipale est connu pour être toujours à la recherche de « petits cadeaux » afin de laisser en paix les commerçants. « On raconte qu'il n'hésite pas à demander de l'argent aux commerçants, de façon arbitraire », confie Adel Galbi, vendeur de fruits et légumes. D'autres nous disent la même chose, mais sous le couvert d'anonymat. Il est vrai que dans le commerce, mieux vaut ne pas se faire des ennemis dans la police quand on veut « manger du pain ». Nous avons tenté de contacter le district de police de Sousse afin d'avoir une réponse officielle, mais sans succès. Ils ont promis de nous rappeler dans les minutes suivant notre appel, mais à l'heure où nous mettions sous presse, celui-ci n'est jamais venu. Plus de trois ans après qu'un certain Mohamed Bouazizi s'est immolé par le feu dans un cas similaire, Mohamed Hédi, un des frères de la victime, se demande : « Qu'est-ce qui a changé en Tunisie après la révolution ? ».