M. Tijani Ktari, partie prenante de l'événement, nous rapporte, dans ce témoignage émouvant et nostalgique, et jusqu'aux moindres détails, les péripéties de la cérémonie de la proclamation de la République. Souvenirs, souvenirs... Alors que la Tunisie a célébré avant-hier la Fête de la République, rien ne vaut un saut dans le passé pour remémorer un événement pas comme les autres. Notre guide dans ce voyage nostalgique n'est autre que M. Tijani Ktari qui a eu l'honneur d'être parmi la délégation officielle présente à la cérémonie de la signature de la proclamation de la République. M. Ktari, 88 ans le 3 novembre prochain, était, à l'époque, un haut cadre du ministère de l'Intérieur, en tant que directeur de l'ordre public et de la Sûreté nationale, après avoir roulé sa bosse au ministère de l'Agriculture (en 1954) puis au Premier ministère (en 1954) du temps de Habib Chatti. «Découvert» par feu Mongi Slim, il créa en septembre 1956 le premier corps de la Garde nationale. Le résident général en Tunisie s'y opposait Faisant machine arrière, M. Tijani Ktari, loin d'être encore éprouvé par l'âge, rapporte que «l'idée d'en finir avec le régime beylical avait fleuri depuis 1956, avant de devenir progressivement une cause nationale, sous la forme d'une unanimité faite autour de l'instauration d'un régime républicain dans la légalité. Cette volonté nationaliste butait, hélas, sur la réticence du résident général de la France en Tunisie, Roger Seydoux, qui, en défenseur acharné de la famille beylicale, s'y opposait farouchement, aidé en cela par le soutien de Salah Ben Youssef. Il a donc fallu du temps et beaucoup de patience pour les voir céder sous la double pression populaire et de Bourguiba». Jour «J», heure «H» 25 juillet 1957 : réunion préparatoire, dans la matinée, au siège de l'ANC, achevée par l'adoption de l'article 1 instituant le régime républicain. Ensuite, décision a été prise de charger Driss Guiga, alors patron de la Sûreté nationale, d'assurer la protection du palais beylical de Carthage. Dans la foulée, a été formée une délégation spéciale appelée à aller informer le bey de ladite décision. Cette délégation était composée de Ali Belhouène (ANC), Ahmed Mestiri (ministère de la Justice), Taïeb Mehiri (ministère de l'Intérieur), notre interlocuteur Tijani Ktari (commandant de la Garde nationale), ainsi que Mahmoud Ellafi (attaché au ministère de l'Intérieur) et Abdelmajid Chaker (directeur du parti du Néo-Destour). Tout ce beau monde s'amena, embarqué dans deux voitures, au palais beylical où les attendaient Driss Guiga et le gouverneur-maire de Tunis Ahmed Zaouch. La délégation, se souvient encore M. Ktari, sera conduite à l'intérieur du palais où trônait le bey habillé d'une jebba de couleur jaune pâle. Ensuite, Ali Belhouane prit la parole pour lire la teneur de l'article, adopté par l'ANC. Le bey, étonnamment calme et ne pipant mot, obtempéra, non sans avoir refusé énergiquement, au préalable, de prendre une photo pour la postérité, pourtant ardemment désirée par le photographe politique de l'époque Abdelhamid Kahia. L'incident vite clos, on passera au dernier volet de cette cérémonie historique, qui a vu Taïeb Mehiri remettre à Driss Guiga les textes de mise en résidence surveillée du bey et de sa famille. La voie est désormais largement ouverte devant Bourguiba pour l'instauration du régime républicain.