Par Sliman LASSOUED Le 25 juillet 1957, l'Assemblée nationale constituante tunisienne a, dans une décision adoptée à l'unanimité de ses membres, déclaré l'abolition du régime monarchique et proclamé la République tunisienne. Ainsi prenait fin le régime de la dynastie beylicale, fondée en 1705 par Hussein Ben Ali et qui a donné en deux siècles et demi à la Tunisie 19 souverains dont 7 ont régné durant le protectorat français. Fondateur de la dynastie qui a régné sur la Tunisie jusqu'à 1957, Hussein Bey fixa les règles d'accession au trône par voie d'hérédité dans sa descendance de mâle à mâle et par ordre de primogéniture. Depuis 1705 et jusqu'à l'établissement, en 1881, du protectorat français en Tunisie, les héritiers de Hussein Bey se sont comportés en souverains indépendants et absolus, concluant notamment des traités avec différentes puissances européennes sans l'intervention du gouvernement ottoman. Parmi les deux actes institutifs du protectorat, il existe des clauses express de sauvegarde du régime beylical. De 1705 à 1957, le régime beylical a revêtu la forme d'une monarchie absolue de droit divin. Le bey exerçait les différentes attributions de la souveraineté sans être limité par aucune disposition d'ordre constitutionnel. Bien que les beys qui ont régné sous le protectorat se soient prêtés généreusement à la grâce du protectorat, trois d'entre eux influencés par le Desour ont tenté de faire échec à la volonté française. Le bey Naceur fut à ce point attentif aux revendications destouriennes qu'il a failli abdiquer en 1922 à la veille de l'arrivée à Tunis du président de la République française, M. Alexandre Millerand. Le second, Mohamed Moncef Bey, fils du précédent, développa en 1942 un programme audacieux de réformes que le gouvernement de Vichy rejeta en bloc et qui lui valut, plus que son action sous l'occupation allemande de la Tunisie, la déposition en 1943. Il fut déporté dans les prisons françaises jusqu'à son décès en 1947 et eut droit à des funérailles nationales et fut pleuré par tout le peuple. C'était un des héros de la cause tunisienne pour l'obtention de l'indépendance. Le troisième, le bey Lamine, qui fut le dernier souverain tunisien qui fit diffuser, à l'occasion du huitième anniversaire de son accession au trône, la proclamation historique du 15 mai 1951, dans laquelle il annonçait son intention d'associer ses fidèles sujets à l'élaboration d'un nouveau statut organique de l'Etat tunisien. Cette proclamation, qui avait été rendue publique sans avoir été soumise au représentant de la France en Tunisie, souleva à l'époque les plus vives protestations de la part du gouvernement français. C'est le seul bey qui a survécu à l'ère de l'indépendance... La volte-face de Bourguiba Moins de six mois de la proclamation de la République tunisienne, les textes en préparation à l'Assemblée nationale constituante s'attachaient à mettre en œuvre la formule de la monarchie constitutionnelle. Bourguiba qui est un mégalomane (recherche excessive de la puissance et du succès qui enjolive tout ce qui le concerne avec une ambition démesurée) encouragé par des médias étrangers de l'époque : «Savez-vous que peu de pays au monde ont la chance d'avoir un Bourguiba?», ou «On vous envie et au fond, Bourguiba c'est du gaspillage pour un petit pays comme la Tunisie». Premier ministre en titre et chef d'Etat de fait, Bourguiba sillonne le pays pédagogiquement, «sa Tunisie» qu'il abreuve de sa verve épique. Il a l'art de concilier le pragmatique et le lyrique personnel. Il parle à toutes les catégories sociales et n'ignore pas l'impact de ses paroles sur le peuple et sur les destinataires étrangers. Il prépare et se prépare à l'échéance. Le gouvernement qu'il préside ne manquait aucune occasion de réduire et même de discréditer le pouvoir beylical. Dans le cadre de cette action systématique entreprise contre le pouvoir beylical, il convient de noter des mesures prises : un décret du 31 mai 1956 a enlevé au bey ses pouvoirs de chef de la famille régnante. Désormais, les princes beylicaux sont traités comme de simples sujets et sont soumis sur le plan civil comme sur le plan pénal aux règles de droit commun. Cette mesure a été assortie de la suppression des dotations servies aux princes et de la diminution sensible de la liste civile de SA le Bey. Un décret du 21 juin 1956 a modifié les armoiries du royaume et supprimé les nouvelles armoiries faisant allusion à la dynastie. Un décret du 3 août 1956 a privé le bey de l'exercice du pouvoir réglementaire qui a été transféré au Premier ministre président du Conseil. La fête du Trône, qui célébrait le 15 mai de chaque année l'anniversaire de l'accession au trône du bey Lamine, a été supprimée le 15 mai 1957. Enfin, le président Habib Bourguiba a fait signer par le bey différents décrets annulant des acquisitions de propriétés effectuées par le souverain et portant affectation de ces biens au domaine de l'Etat tunisien. Par ces décrets, le président Habib Bourguiba faisait avouer en quelque sorte par le bey sa propre destitution. En un mot, il préparait la voie à une déchéance qui ne pouvait tarder. Bourguiba n'a pas le temps de s'embarrasser du passé et de ses fioritures qui ne sont pas toujours de son goût. Il est le héros de la libération du pays tout à la fois tranquille, pressé et l'homme par qui tout arrive... La proclamation de la République tunisienne le 25 juillet 1957 Ce qui devait arriver arriva. Convoquée le 25 juillet 1957 après une double réunion du bureau politique du Néo-Destour et du Conseil des ministres du gouvernement tunisien, l'Assemblée nationale constituante a voté à l'unanimité une résolution qui tend au triple objectif suivant : – Abolition totale du régime monarchique – Proclamation de l'Etat républicain tunisien – Attribution à M. Habib Bourguiba de la charge de chef d'Etat avec le titre de président de la République. M. Habib Bourguiba exerce cette charge dans les conditions actuelles jusqu'à la mise en vigueur de la Constitution. Il est à noter que Bourguiba avait nettement opté par le régime présidentiel. En guise de conclusion Une chose est certaine, le régime républicain a été l'œuvre du peuple en symbiose avec son leader avec lequel il est lié par un contrat de confiance et d'une union sacrée. Le mérite des Tunisiens est que l'avènement de la République ne fut pas accompagné d'un bain de sang comme souvent ailleurs. Quant à Bourguiba, il possédait tous les critères pour postuler à être le premier président de la République tunisienne après l'indépendance. Son immense popularité, son art de politicien intelligent et rusé, son rôle de héros de la libération de son pays, ses sacrifices multiples à travers lesquels il fut humilié, torturé et frustré dans les prisons tunisiennes et étrangères, mais il ne céda jamais à ses idéaux pour faire respirer l'air de la liberté à ses compatriotes. Bourguiba, bien qu'il soit d'un caractère autoritaire et ambitieux, était un perfectionniste doté d'une bonté de cœur exceptionnelle. Son plan d'action ayant pour objet l'édification d'un Etat moderne au risque des mentalités sclérosées par les ans et terrorisées par de longues années de souvenirs et de misère. La démocratie n'était sa priorité.