Par Hamza ESSADDAM(*) Ces deux mots, (maux), combinés ensemble, ont de tout temps servi à écrire l'histoire des peuples. Certains peuples ont choisi la combinaison «civilisation de la force», comme les Romains, les Wisigoths au nord de la Méditerranée..., tandis que d'autres ont fait un choix diamétralement opposé ; celui de la «force de la civilisation», comme les Ptolémée, les Wisigoths au sud de la Méditerranée, les musulmans... Samuel Huntington justifie le choix des premiers par leur venue tardive à la civilisation. «Quand les civilisations naissent, leurs populations sont généralement vigoureuses, dynamiques, violentes, mobiles et expansionnistes. Elles sont relativement non civilisées. La civilisation se développant, les populations se stabilisent et développent des techniques et des savoir-faire qui les rendent plus civilisées». (1) Mais alors, comment justifier le choix des seconds à faire de la civilisation une force partagée entre des peuples différents culturellement et cultuellement, et non une force oppressive, discriminative ? C'est que ces peuples, comme le dit Milliez, pratiquaient la «Tolérance» : «Le message universaliste de l'Islam a bien souvent en outre donné au monde une belle leçon de tolérance : Iraniens, Grecs, chrétiens et juifs ont joué un rôle important dans la naissance et le développement de cette médecine». (2) Une expression de cette intolérance, que nous véhiculons sans nous interroger un seul instant sur la virulence qu'elle instille, est la «division du monde en deux espaces» : Nord-Sud, Est-Ouest, Orient-Occident, développé-non développé, développé-sous-développé, développé-en voie de développement. Ils enfoncent dans nos jeunes, tous les jours un peu plus, le clou de l'incapacité et du ressentiment, les amenant à fuir leur pays, car comme le dit Roland Barthes : «Le langage est une législation, la langue en est le code. Nous ne voyons pas le pouvoir qui est dans la langue, parce que nous oublions que toute langue est un classement, et que tout classement est oppressif...La langue comme performance de tout langage n'est ni réactionnaire, ni progressiste ; elle est tout simplement : fasciste». (3) La révolution de 2011 en Tunisie doit, pour appliquer sa devise : «liberté-dignité», s'atteler à réécrire sans tarder un nouveau dictionnaire des mots. Aujourd'hui, il est urgent que nous nous entendions sur les sens de presque tous les mots, air, eau, os (4), liberté, hammam, agriculture, école...et à commencer par les deux mots les plus utilisés aujourd'hui : démocratie et civilisation, et leur combinaison. Ce travail de sémantique est urgent pour comprendre pourquoi avons-nous interverti force et civilisation. Pourquoi ce pays bâtisseur de deux civilisations, la carthaginoise et la kairouanaise, fondateur de sept universités : quatre en Tunisie (Carthage, kairouan, Ez-Zitouna, Tunis) et trois en dehors de ses frontières (Salerne, El-Karaouine, El Azhar), protecteur des opprimés (Alyssa, Garibaldi, les morisque, les Palestiniens, Fares Ecchediak, Charles Nicolle, Henry Dunant, les juifs livournais, les Russes blancs....), verse aujourd'hui dans la version de la «civilisation de la force». Ce devoir de mémoire est vital, comme le dit le Pr Marcel Sendrail : «Les sociétés ont autant besoin que les individus de se souvenir. Une société qui fait fi de la continuité historique dont elle est issue tarit du même coup les sources de son aspiration vitale. Elle renonce donc à se comprendre elle-même et cède aux puissances de dégradation et de mort. De même, une science qui oublie d'où elle vient, cesse bientôt de percevoir où elle va.» (5) 1- Samuel P. Huntington, le Choc des civilisations, Ed. Odile Jacob Paris 1997 2- Milliez Paul, préface in Ammar Sleim Médecins et médecine de l'Islam Ed. Tougui Paris 1984 3- Roland Barthes, Leçon Ed. Seuil 1978 4- Essaddam Hamza: 1964-2014 : L'orthopédie tunisienne fête ses 50 ans, La Presse de Tunisie 11-7-14 4- Marcel Sendrail in Ammar Sleim Médecins et médecine de l'Islam, Ed. Tougui Paris 1984