La femme violentée cherche des excuses à son conjoint : il boit, il est au chômage, parfois il peut être si gentil... De nombreuses femmes, victimes de violences conjugales, présentent les signes d'un syndrome post-traumatique avec une expérience itérative des événements qui reviennent en des pensées « intrusives », flash-back, ou provoquent des cauchemars. Il peut même se mettre en place des états de désorientation ou de confusion mentale, avec pensées délirantes ou paranoïaques. On peut aussi constater des troubles réellement psychotiques, la violence conjugale pouvant révéler ou exacerber un état antérieur. La peur de parler Malgré cela, les femmes ont une grande difficulté à se plaindre. Elles ont honte de leur situation. Leur vie de couple relève de la sphère privée qui les concerne elles et leurs conjoints, dans l'intimité de leur relation. Il n'est jamais facile de les exposer en public à travers un dépôt de plainte. Cela l'est d'autant moins que la victime est attachée à son image sociale qui se trouve alors dégradée à ses yeux par la révélation de ce qu'elle subit. Par ailleurs il est difficile pour la femme de projeter sur son conjoint l'exclusivité de la responsabilité de cette situation de violence. Elle cherche des excuses : il boit, il est au chômage, parfois il peut être si gentil... Admettre qu'il est à ce point violent et coupable, c'est dans le même temps reconnaître qu'elle s'est trompée sur lui, qu'elle a eu tort de s'engager, d'en faire le père de ses enfants. Se plaindre d'un mari violent, c'est reconnaître son erreur, et donc se mettre en cause et perdre un peu l'estime de soi dans une contradiction : se mésestimer parce qu'on est une femme battue ou se mésestimer d'avoir à s'en plaindre. Le piège ainsi se referme, exposant la victime à la répétition des violences, d'autant que l'auteur peut par période laisser croire qu'il a compris et qu'il ne recommencera plus. Il peut même se constituer alors une « nouvelle chance » décrite parfois selon l'expression de « lune de miel » qui, évidemment, n'est que trompeuse et se conclura plus ou moins rapidement par un nouvel épisode violent. Dans une enquête [2] réalisée au Service de médecine légale du CHU de Saint-Etienne nous avons montré que la précarité sociale et le confinement du logement étaient des facteurs corrélés avec le risque pour la femme d'être victime de violences conjugales. Ce confinement, lié aux lieux, renforce les situations d'emprise (décrite par M. F. Hirigoyen [3]) qui organisent une véritable soumission psychique de la victime par rapport à l'auteur, aboutissant à sa propre culpabilisation. Le silence s'installe, se transforme en une chape de plomb que, parfois, le risque pour les enfants du couple de devenir eux aussi les victimes directes des violences (ils sont les victimes « témoins » c'est pourquoi ils sont toujours en risque de souffrance psychologique) amène la conjointe à solliciter de l'aide ou à dénoncer son conjoint. Cette détresse et cet enfermement peuvent amener la victime à la tentation suicidaire comme seule façon d'échapper à une situation impossible à vivre. La place des médecins Cependant, au cours de cette période, la victime aura l'occasion de rencontrer le médecin pour se faire soigner du traumatisme physique qu'elle explique souvent par des mensonges qui ne trompent pas ses interlocuteurs ; ceux-ci ne savent pas toujours comment réagir. Elle peut solliciter son médecin traitant pour des troubles variés notamment du sommeil, de la concentration ou des angoisses dont l'origine reste vague et peu concluante. C'est pourquoi le médecin doit toujours penser, devant un tableau clinique de ce type, à la violence conjugale. Il doit alors aider la patiente à sortir de son silence. Parce que c'est difficile pour elle, le praticien devra prendre le temps de l'écouter, de la revoir, de lui dire qu'elle peut être aidée, soutenue médicalement et socialement et que la loi dorénavant la protège, que ce qu'elle vit est inacceptable et doit donc être dénoncé. Elle peut déposer sa plainte ailleurs qu'à la brigade de gendarmerie ou au commissariat de son lieu de vie où parfois elle est connue. Ainsi, le médecin doit construire avec la victime « un protocole de sortie » qui mettra parfois du temps, mais qui oblige les soignants face à cette patiente en danger. Tous les services de médecine légale ou d'urgences médicojudiciaires, connaissent des victimes qui sollicitent à plusieurs reprises un certificat de constat de blessures mais ne portent pas plainte pour autant.