Par Ilia TAKTAK KALLEL (Université de La Manouba) En cette année mondiale de la jeunesse, nous sommes tous appelés à être jeunes dans l'esprit. Loin de défendre l'idée d'un certain jeunisme ou de prôner l'irresponsabilité, il s'agit d'une part, de se rappeler, pour ceux que l'on ne recense plus dans la catégorie des jeunes, de ce qu'ils revendiquaient dans leur jeunesse (idées et idéaux de liberté, d'indépendance, de rêve, de changement) et de tolérer voire encourager ces qualités chez les jeunes et, d'autre part, de faire en sorte de célébrer, de cultiver et de mettre en exergue les valeurs qui portent la jeunesse et lui donnent son élan : dynamisme, espoir de meilleurs lendemains, propension à prendre des risques et à oser des choses, sens de l'initiative et de la créativité. Si l'on ne peut que se plier à la sagesse d'admettre qu'à chacun son époque et que les problèmes intergénérationnels existent et existeront toujours, cette même sagesse édicte de se rappeler les temps de sa propre jeunesse, celle où on bannissait l'immobilisme et le statu quo. Bienheureusement, la jeunesse ne se reproduit jamais à l'identique de ses aînés. Si certains y trouvent sujet à amertume, «tous jeunes» veut dire qu'il est important de positiver et de voir les bons côtés de ce qu'apportent les jeunes générations à leur époque, à commencer par un renouveau et du sang neuf. Vouloir que nos jeunes épousent nos propres visions du monde est non seulement prétentieux, mais également et surtout dangereux, car ce serait condamner les sociétés à se reproduire à l'identique, certes avec ce qu'elles recèlent de meilleur en elles, mais en étant figées dans un passéisme stérile. Bien évidemment, célébrer la jeunesse, la promouvoir, l'encourager, la soutenir, ce n'est pas uniquement lui porter un regard complaisant; c'est également lui être un guide, cheminer avec elle et lui servir de miroir, pour lui faire pointer en temps voulu ses limites et ses dérives. A cet égard, «tous jeunes» veut également dire que les aînés ont, après coup et à l'arrivée de l'âge de la maturité, remercié Dieu ou leur bonne étoile qu'il se soit trouvé quelqu'un de proche d'eux pour jouer le rôle plus ou moins discret de garde-fous, ou pour jouer tour à tour le rôle de stimulateur, de confident, de figure de l'autorité, de conseil, d'appui, de relais, via le symbole ou la parole directe. Combien d'aînés regrettent également — parfois amèrement — que ces différentes figures de la maturité aient fait défaut dans leur jeunesse pour les cadrer et les orienter. Il est étonnant de constater combien de parents et de personnes arrivées à l'âge mûr s'étonnent de ce que sont «devenues» les jeunes personnes à notre époque. Le plus étonnant, c'est qu'ils ne se sentent nullement interpellés ou responsables dans cet état des faits. Pourtant, la jeunesse ne se fait pas toute seule. Ce qu'elle reproduit presque à l'identique est largement attribuable aux manières d'être et valeurs auxquelles elles a été élevée. Démission des uns, compensation par les valeurs matérielles jusqu'à la gâterie et la non-responsabilisation; crise de valeurs et /ou d'autorité pour les autres; permissivité et laisser-aller au nom de libertés et d'un certain «modernisme» affiché; enfants trop couvés jusqu'à perdre le sens des réalités et des responsabilités, vénalité et matérialisme crus transmis aux enfants comme des valeurs absolues et suprêmes… Le sens donné à la vie, aux individus et aux choses se transmet largement comme un héritage voire un déterminisme social. Laisser à la jeunesse la confiance et les marges de manœuvre nécessaires pour s'accomplir, c'est avoir l'humilité d'admettre qu'on a donc failli quelque part — quelqu'en soit le mobile par ailleurs —suivre de près cette jeunesse pour lui faire gagner du temps, rectifier le tir et lui communiquer une partie de l'expérience accumulée de la vie — sans pour autant l'étouffer de convenances, de conformisme et du poids des traditions — c'est accomplir à fond ce devoir de responsabilité et c'est une façon assez intelligente de «rattraper le coup». Sans pour autant tomber dans la tentation ou l'écueil de la compensation ou de la substitution, car à chacun son époque et il faut que jeunesse se passe !