Par Ilia TAKTAK KALLEL, enseignante-chercheuse à l'ESC Tunis (Université de La Manouba) L'enfance est une période charnière de la vie humaine. Ce n'est pas pour rien que les psychologues, quelle que soit leur orientation ou coloration, sont assez unanimes sur l'importance de cette phase de vie; il est également éloquent de constater combien de personnes arrivées à l'âge mûr et qui peuvent occulter ou oublier des pans entiers de leurs existences, sont en mesure de restituer des vécus d'enfance comme s'il s'agissait d'un passé très proche. Certains ne se remettront jamais de leurs séquelles d'enfance, qu'elles soient physiques ou morales. Au pire, ils perpétueront les mêmes violences avec leurs propres progénitures — comme une espèce de revanche inconsciente ou parce que c'est le seul modèle de référence qui s'impose à eux —; au mieux, ils seront dans un schéma de compensation aux antipodes de ce modèle, ce qui n'est pas toujours le schéma le plus idéal de structuration de la personnalité de l'enfant, tout excès étant néfaste. Du reste, cet argumentaire n'est en rien une remise en question de l'autorité parentale ; bien au contraire ! On sait combien cette autorité est structurante pour la personnalité de l'enfant et du futur adulte, on connaît les dérives des familles divisées, monoparentales et incapables d'avoir la moindre autorité sur leurs enfants. Mais l'autorité n'est en rien synonyme de violence physique ou de frustrations morales. Du moins, ne doit-elle pas l'être car il y va de l'intégrité physique et morale des individus, de l'image de soi, du respect de soi et des autres, de la vision du monde et des formes de sociabilités que la personne va développer avec son entourage (camarades; amis; collègues, conjoint; enfants). Par ailleurs, les formes de la violence ne sont pas toujours celles qu'on croit, ni celles qui sont les plus évidentes. Certaines formes de violence laissent des séquelles beaucoup plus profondes : faire vivre à un enfant des contraintes, problèmes et déchirements d'adultes et le priver ainsi de son enfance, lui faire du chantage, l'ignorer et faire preuve d'indifférence à son égard ne sont pas les moindres formes de la violence. Si les lois et chartes et leurs perpétuels aménagements œuvrent sur les formes visibles de la violence, les formes les plus insidieuses restent à la discrétion des parents et il y va de la morale, de la responsabilité et de la subtilité des parents. Certes, l'exercice n'est pas aisé; il relève de l'art, du sens de la mesure et de la nuance : entre responsabiliser un enfant et lui dérober son enfance; entre la privation en tant que sanction constructive — et souvent bénéfique dans la mesure où elle fait comprendre la valeur des choses —, et la privation en tant que sanction génératrice de frustrations profondes et irréversibles — donc destructrice de l'individu et de sa confiance en soi —; entre la petite fessée sans conséquences et la gifle humiliatrice; entre la sanction en tête-à-tête et la sanction en public… Et il y a bien évidemment la règle de la sanction qui doit nécessairement être proportionnelle à l'erreur. A tous ceux qui se sentent menacés par les dispositifs légaux et réglementaires que notre pays ne cesse de renforcer et de réaménager toujours en faveur de l'enfant, et dans le respect des dispositifs internationaux les plus aboutis, à tous ceux qui craignent que leur autorité parentale ne soit sapée par ces dispositifs, gageons que la raison et l'amour filial l'emporteront sur l'orgueil — souvent mal placé — et les amalgames entre amour filial, droit légitime au respect dû aux parents et aux aînés et appropriation de la vie d'autrui, même — et surtout — lorsqu'il s'agit de celle de ses propres enfants. L'asymétrie (de pouvoir, de savoir) entre parents et enfants est évidente et naturelle. C'est donc aux adultes de faire –au quotidien- les bons choix.