Par Ilia TAKTAK KALLEL, Enseignante-chercheure à l'ESC Tunis (Université de La Manouba) Elle est épatante cette jeunesse qui, en moins de deux, envoie un e-mail, est familiarisée avec les techniques de recherche sur Internet, obtient l'information requise en moins de temps qu'il n'en faut, va vers les autres (les individus, les institutions) en un clic, échange en toute liberté et en toute responsabilité des idées avec une maturité et une profondeur dont on ne la croirait pas capable,prend par la main les aînés pour leur permettre de se familiariser avec leur époque et les technologies actuelles et pour rendre leur quotidien et tous les aspects pratiques y afférents plus faciles, rivalise en créativité et en ingéniosité pour imaginer et mettre en œuvre sur le Net des idées, des concepts et des business models à même d'ébranler les firmes les plus anciennes et les plus puissantes et qui est‑—‑de ce fait‑— capable d'impressionner, de séduire et de convaincre les investisseurs et les clients les plus réticents, qui est à l'origine, à peine sortie de l'enfance, de concepts (de jeux, de logiciels, de communication, de marketing…) capables de drainer des millions (ce qu'on appelle les kidpreneurs, les enfants entrepreneurs)… Moins reluisante est, en revanche, la réalité d'une autre jeunesse qui ne retient des énormes potentiels du cyberunivers que ce qui est superficiel et périphérique, qui a du mal à s'approprier réellement les TIC, qui voit dans ces technologies un moyen de facilité, de minimalisme et de paresse intellectuelle, qui y trouve une voie privilégiée de mimer aveuglément des modes de vie et de comportement usités sous d'autres cieux, qui «cracke» illégalement et souvent dans l'impunité des programmes et des contenus, ce qui compromet et banalise l'effort, la créativité et la préservation des droits d'autrui, qui intègre les réseaux sociaux du Net par mimétisme, pour faire comme les autres (les réseaux peuvent alors devenir paradoxalement des lieux de conservatisme intellectuel, d'hermétisme, d'appauvrissement, d'immobilisme voire de régressions collectives !), pour échanger et relayer des fadaises et des banalités voire des non-sens (ce qui ne peut que stimuler l'ennui), ou encore pour encourager un voyeurisme malsain et véhiculer des idées extrêmes et des images violentes et choquantes. Dans la même lignée, on peut évoquer certains jeux en réseau qui renforcent chez certains jeunes l'isolement, la marginalisation, l'addiction, le goût de la violence et l'agressivité (tendances qu'ils sont parfois fortement tentés de ramener au monde réel) et qui ne sont pas à l'abri d'un certain blasement, cynisme, insensibilité voire indifférence. Il n'y a pourtant à ce propos rien ni personne à incriminer. Le cyberunivers avec ses potentialités et ses menaces est une donne avec laquelle les jeunes doivent aujourd'hui composer et qui constitue un facteur plus ou moins important de leur construction identitaire. Il n'y a cependant pas de déterminisme ou de fatalisme qui tiennent en la matière : le système éducatif devrait permettre de faire découvrir les potentialités du cybermonde, mais également d'attirer l'attention des jeunes sur les dérives possibles liées à ce monde et d'encourager chez eux la reflexivité éthique par rapport à leurs cyberusages ; les parents doivent être à la fois vigilants pour ne pas laisser leurs enfants se faire envahir par ce monde dans cet âge synonyme de vulnérabilité et d'influençabilité, et présents et stimulants pour permettre à leurs enfants de tirer le meilleur de ce monde, d'une façon ludique, conviviale et responsable. Malheureusement, les risques évoqués sont plus importants dans les familles modestes qui, même en ayant aujourd'hui toutes les facilités matérielles pour accéder au monde numérique, sont souvent désarmées car dans une ignorance totale de ces risques et/ou des moyens d'y faire face. Bien évidemment, pour le meilleur comme pour le pire des usages qui peuvent être faits du Net, un droit de regard important revient aux principaux concernés, c'est-à-dire les jeunes eux-mêmes (leurs ambitions, leur curiosité intellectuelle, leur créativité, leur éducation, leur sens des responsabilités…). Si, en apparence, les règles du jeu ont changé, les principaux joueurs, les forces par lesquelles ils sont mus et les ressources dont ils disposent restent donc fondamentalement les mêmes.