Par Abou FAYÇAL* En soixante ans d'indépendance, le peuple tunisien choisira, en novembre ou en décembre prochains, en son âme et conscience, sans pression ni contrainte, le premier président de la 2e République. Il aura à faire son choix parmi un très grand nombre de candidats, le plus grand nombre jamais atteint à tel point que nos concitoyens auront l'embarras du choix et auront des difficultés à trouver la perle rare tant recherchée. Normalement, chacun de ces candidats aura présenté son programme, aura fait tant de promesses au peuple, aura rassuré les indécis, aura tout fait pour conquérir la jeunesse, cette jeunessse à laquelle il est redevable d'avoir créer cet événement historique et de lui avoir permis d'y participer grâce à la révolution qu'elle a menée et réussie, cette jeunesse qui, déçue par la classe politique, semble ne plus s'intéresser aux élections. Il est vrai que parmi ces nombreux candidats, nous en trouverons de toutes les couleurs : des militants qui ont eu le courage de s'opposer aux deux présidents de la 1ère République (Bourguiba et Ben Ali ), certains qui ont séjourné longtemps dans les prisons, d'autres qui ont été victimes de frustrations et de souffrances suite aux violences et aux tortures dont ils ont été l'objet, d'autres ont même été empêchés de trouver un emploi pour faire vivre leur famille et en ont beaucoup souffert, et beaucoup, pour éviter la prison, se sont volontairement exilés à l'étranger, et enfin certains qui, quoique respectables, sont d'illustres inconnus. D'autres critères seront certainement recherchés par les électeurs dont l'âge et l'état de santé, l'expérience acquise grâce aux responsabilités exercées dans les rouages de l'Etat, le charisme, le patriotisme, le rayonnement national et international, les valeurs morales et le niveau intellectuel, entre autres. En plus de tout cela, la Tunisie a surtout besoin de cadres honnêtes, sincères, expérimentés, aux mains propres qui ont servi la patrie sans se servir, sensibles aux préoccupations de nos concitoyens de la Tunisie profonde et qui ont toujours été à leur écoute quels que soient leur origine ou leur niveau social. Il est, cependant, utile de rappeler que ceux qui ont occupé des fonctions importantes sous Bourguiba ou Ben Ali ne sont pas forcément des corrompus ou des incapables et nombreux étaient des cadres d'une très grande valeur professionnelle, compétents, doués et d'une intégrité morale incontestable et la liste, dans ce domaine, est longue. Notre pays a vécu une période transitoire presqu'interminable (trois années pleines) qui lui a fait perdre beaucoup de ses repères et la situation sociale et économique s'est beaucoup détériorée et même dégradée. Des décisions non réfléchies et inappropriées ont été prises dont le recrutement de milliers de fonctionnaires suite à l'amnistie générale, sans besoin réel pour la fonction publique et dont le pays traînera les conséquences financières pendant au moins une décennie. D'autre part, le laxisme, le relâchement, le désordre, l'agressivité, le laisser-aller et le laisser-faire qui se sont agglutinés sur notre comportement et nos habitudes depuis la révolution et qui n'ont jamais été familiers au Tunisien doivent, au plus tôt, disparaître et c'est pourquoi, le pays a besoin d'une très bonne reprise en main, urgente, énergique, soutenue et appuyée par toutes les composantes de la société civile (partis poliques, organisations nationales et associations). Ceci est d'une importance capitale si nous voulons voir notre Tunisie reprendre la place qui est la sienne parmi les pays en développement, continuer à faire partie du monde civilisé et retrouver, au moins, le classement qu'il avait en 2010, et tout cela dans le but de solutionner, au plus tôt, les problèmes fondamentaux qui ont été la cause de la révolution : le chômage et particulièrement celui des diplômés du supérieur, la marginalisation des régions de l'intérieur, l'égalité des chances, la juste répartition des richesses et le bien-être de la population. Il y a lieu d'y ajouter les deux problèmes que subit, d'une manière sérieuse, le pays, depuis deux bonnes années et qui sont le terrorisme et la contrebande, intimement liés par ailleurs. Ces deux nouveaux fléaux, ces menaces qui pour l'une concerne l'existence même de notre modèle de vie, de nos choix politiques, économiques et sociaux et l'autre qui veut détruire notre économie, doivent être, d'une part, les questions prioritaires permanentes du prochain gouvernement et, d'autre part, éradiquées dans les meilleurs délais et quel qu'en soit le prix. Nous avons les moyens de le faire s'il y a une volonté politique inéluctable et si tout le peuple tunisien est solidaire de ses forces de sécurité intérieure et de son Armée. Le prochain président veillera certainement, en symbiose avec le gouvernement, et en s'appuyant sur toutes les forces vives de la nation, à éliminer la misère et l'injustice, ces drames et ces malheurs ressentis, davantage par nos concitoyens des ceintures rouges des grandes villes du pays et qui sont de réels générateurs de terroristes potentiels. Alors, quel profil doit avoir notre prochain président ? Compte tenu de la situation dans laquelle a été laissé notre pays qui a été gouverné, durant près de trente mois, par des responsables sans expérience du pouvoir, sans connaissance des affaires de l'Etat ni ceux de l'administration et encore moins des règles élémentaires de gestion, la Tunisie vit une période de sursis et même de perfusion. Ces gouvernants n'ont même pas eu le courage, l'intelligence ou la présence d'esprit de faire appel aux grands commis de l'Etat, ceux-là mêmes qui ont, durant les premiers mois de la révolution, et seuls, assuré le fonctionnement normal des institutions du pays mais qui ont été, aussitôt, démobilisés ou mis à la retraite. Ces nouveaux gouvernants ont déboursé et rétribué sans tenir compte des moyens du pays laissant, à leur départ, les finances dans un état lamentable avec une inflation et une cherté de vie jamais atteintes par le passé. Ne pouvant mieux faire, ils ont même augmenté le budget, en seulement deux ans, de plus de 50% sans pour autant garantir les recettes indispensables et qu'il fallait quémander à gauche et à droite, compromettant ainsi et davantage l'avenir de nos petits enfants. C'est pourquoi, le président de la République qui sera élu et qui demeure, quelles que soient les attributions que lui confère la Constitution, le symbole du pays, le rassembleur et le meneur d'hommes. Il doit être le Chef incontestable et incontesté puisqu'il est élu au suffrage universel : il doit aimer le peuple, il doit déborder d'énergie, il doit être sévère mais juste et il doit être impartial et rigoureux pour remettre les pendules du pays à l'heure. Il doit, impérativement, affirmer l'autorité de l'Etat et son prestige qui ont été malheureusement bafoués depuis la révolution. Aussi, il doit avoir, outre des qualités morales et intellectuelles indéniables et un âge lui permettant résistance et vigueur, une qualité essentielle, celle de n'appartenir à aucun parti politique dans le seul et unique but de servir la patrie et non le parti. Ainsi, il pourra avoir l'appui, le soutien, la confiance, la compréhension, la considération et l'estime de tout le peuple tunisien. C'est pour cela que nous avons tout intérêt à élire comme prochain président de la République un indépendant, un indépendant au vrai sens du terme qui, étant au-dessus de la mêlée et des partisans, appartiendra à tous les Tunisiens. La démocratie acceptant aux partis politiques de foisonner et de participer à toutes les élections, il sera très rare sinon impossible qu'un parti puisse disposer à lui seul de la majorité absolue lors des élections législatives et de la majorité simple à l'élection présidentielle, ce qui lui permettra de gouverner seul le pays. La réalité sera, au moins pour les quinze prochaines années, tout autre : le président élu au suffrage universel appartiendra à un parti ou sera un indépendant mais le chef du gouvernement sera désigné par le parti majoritaire à l'Assemblée nationale. Autant l'entente entre ces deux grands responsables du pays sera possible si le président n'est pas partisan, autant d'énormes difficultés peuvent entraver les relations entre eux si chacun d'eux appartient à un parti dont les orientations sont assez différentes. Cette situation peut engendrer d'énormes désaccords qui ne faciliteront pas le gouvernement harmonieux du pays surtout que notre expérience démocratique est relativement récente, que la cohabitation, cette nouvelle pratique employée par les pays occidentaux aux mœurs démocratiques vieilles de quelques siècles, et non encore usitée dans les pays en développement, peut être la cause de problèmes sérieux. En espérant que ce premier examen se passe dans le calme, la sérénité et la dignité, et que ses résultats ne fassent l'objet d'aucune polémique pour que tout le monde retrousse, aussitôt, les manches et participe à la reconstruction de la Tunisie éternelle. * Ancien cadre supérieur * Ancien auditeur à l'Institut de Défense Nationale