Par Bady Ben Naceur Même le beau temps s'y est mis ! Il était de la partie, ce 26 octobre. Un beau dimanche printanier avec un ciel bleu-pastel, un ciel délavé. Comme aux premiers jours de la révolution. Et plus de vent ni de remue-ménage de nuages noirs moutonniers de la veille. Une belle journée ensoleillée où le temps avait suspendu son vol lamartinien. Rien que pour aller voter. Voter librement, gaiement et sans souci d'être ou du paraître. Et le cœur vaillant. Cœur battant, cœur sauvage comme s'il s'agissait d'un examen de conscience — et c'en fut un — un examen de minuit en plein jour. Et que l'on voulait réussir à tout prix. Et on l'a réussi. Des foules entières, endimanchées, sorties de leurs foyers, dès les premières lueurs de l'aube. Marchant docilement, respirant à pleins poumons. Une belle chorégraphie initiée par quelque maître de ballet, ingénieux, soucieux de remettre de l'ordre et une esthétique soignée dans le tohu-bohu des désordres passés. Des mois et quatre années d'attentives perceptions critiques de nos réalités, bien tunisiennes, bafouées. Des réalités changeantes et remuantes, à ne plus savoir quoi en faire. «A tout berzingue !», comme l'aurait dit le cher Léo, le libertaire éveilleur, réveilleur des consciences. Ou bien Gabriel Celaya, poète espagnol du temps du franquisme et pour qui la lutte des déshérités pouvait devenir,un jour ou l'autre, «une arme chargée de futur». Les Tunisiennes car, sans conteste la femme tunisienne est l'avenir des Tunisiens — sont aussi des poètes, à l'image de ce «Rimbaud tunisien». J'ai nommé Aboulqacem Chebbi pour qui le «Destin» lui-même se devait d'obéir à la volonté du Peuple. Et advienne que pourra ! Car cette révolution dite des «jasmins» fut, plutôt, celle des coquelicots sauvages, du sang versé par nos martyrs, les Chokri Belaïd, les Mohamed Brahmi et tant d'autres. Fleurs d'un rouge garance parsemées dans nos champs de blé. Champs de graminées nourricières. «Si le grain ne meurt», comme l'évoquait, naguère, André Gide... Alors, en ce jour mémorable, tous ces grains de blé, après avoir été semés à tout vent, ont fortifié nos champs de claire conscience. Ils se sont rejoints grain à grain, pour former des tonnes et des tonnes de quintaux pour assurer notre pain quotidien. Oui, nos concitoyens possèdent bel et bien ce gai savoir nietzschéen toujours prêt à s'assumer, même durant les pires des épreuves. Depuis la révolution —révolution volée et bafouée par des intrus extramuros—, on n'a fait que punir notre société, voulant la débarrasser de ses vraies valeurs. Valeurs séculaires, millénaires. Sous l'habit emprunté d'un pseudo-djihadisme, on a cherché à étouffer ses élans vitaux, à la violer, comme on a violé nos filles et fait de notre belle jeunesse de la chair à canon en Syrie et ailleurs. On a créé des lois punitives à l'encontre des intellectuels pour qu'ils cessent de penser et de cultiver ce gai savoir. Des lois punitives à l'encontre des journalistes pour qu'ils cessent de parler juste et d'écrire vrai, c'est-à-dire conforme aux normes de notre société civile. On a créé des lois punitives à l'encontre de nos artistes afin de baillonner leurs voix, leurs accents émouvants, leurs images, leurs gestuelles. Que de bâtisseurs de l'imaginaire n'a-t-on pas détruits! Et détruit même le sens du «civisme» et de la «civilité» qui sont le propre des Tunisiens. Nietzsche, à ce propos, dit ceci (in : Le Gai savoir): «C'est se méprendre grossièrement que de voir dans le code pénal d'un peuple, une expression de son caractère; les lois ne révèlent pas ce qu'est un peuple, ce qui lui paraît étrange». Ce qui paraît étrange à notre peuple aujourd'hui, c'est le fourre-tout, qu'il y a dans la nouvelle Constitution. Espérons que le prochain gouvernement élu démocratiquement revisitera ce «fourre-tout» pour débarrasser la Constitution de tant d'inepties votées souvent à sens unique. En attendant, ne crions pas déjà victoire. Qui sait ce qu'il adviendra demain? Gardons l'esprit alerte même si le beau temps, en ce dimanche ensoleillé, nous invitait au repos, au calme, à la sérénité.