La réorganisation des filières agricoles permet la formation d'un panier transfrontalier commun composé de produits de haute qualité Concurrents ou partenaires ? Les agriculteurs des deux rives de la Méditerranée, ainsi que certains responsables, avancent des réponses très divergentes à cette question qui recèle plusieurs niveaux de lecture. «Dans une vision globale, nous (agriculteurs de la Méditerranée Ndlr), chacun à lui seul, nous n'avons pas d'avenir», prévient le Coordinateur général du projet Servagri, Sergio Campanella, qui anime le stand de l'Observatoire italo-tunisien des services agricoles, aménagé lors de la onzième édition du Salon international de l'investissement agricole (Siat). En Italie comme en Tunisie, ajoute-t-il, nous bénéficions de la grande expérience de petits agriculteurs qui produisent de la grande qualité, avec une bonne traçabilité et qui assurent la sécurité alimentaire. Mais nous ne sommes pas capables, même avec ce niveau de qualité, de passer à un autre palier de croissance. Les agriculteurs de la région ne sont pas en mesure d'assurer les quantités demandées par les marchés émergeants, notamment les Bric, où des centaines de millions de personnes y sont très exigeantes en termes de qualité des produits agricoles. «Ce sont des marchés bloqués pour nos agriculteurs, bien qu'ils soient bien placés pour assurer une bonne qualité de leurs produits», regrette-t-il. Toutefois, nous prenons notre avenir, rétorque-t-il, si on crée une force de frappe, ensemble, dans toute la Méditerranée, à commencer par l'Italie et la Tunisie, en vue de produire des produits de qualité, selon des normes communes dans l'objectif de créer un panier transfrontalier commun. Là, nous aurons notre avenir en main. «Dans la même vision globale, nous pouvons vendre à ces marchés qui restent, actuellement, inaccessibles», Plaidant en faveur de la complémentarité entre les opérateurs du bassin méditerranéen, il souligne : «En ayant différentes variétés, nous pouvons élargir le panier de nos produits, filière par filière, de telle manière à ce qu'il soit plus riche en produits et plus étendu dans le temps». Et d'expliquer : «Les saisons des récoltes varient selon les régions, ce qui permet d'élargir la période de l'offre. De plus, certaines cultures sont spécifiques à des régions bien définies, d'où il n'y a pas de la concurrence, mais plutôt de la complémentarité et de la richesse du panier». Pour ce faire, une série de mesures sont à mettre en œuvre pour valoriser nos atouts naturels et de savoir-faire, « autrement, nous sommes condamnés à rester dans la pauvreté, car nos marchés classiques sont déjà saturés», martèle-t-il. Et d'insister : «Il faut s'attaquer à ces marchés émergeants avec cette force de frappe. Sinon on restera à la marge». A cet égard l'observatoire qu'il dirige a pour fonction de stimuler la cohésion entre l'ensemble des petits agriculteurs, notamment ceux des exploitations familiales, et les institutions, dont des instituts de recherches, des universités et même des banques. L'objectif est de créer des synergies en vue de moderniser les filières agricoles. «Nous avons commencé avec des filières pilotes, dont l'oléiculture et l'apiculture, et on compte élargir notre champ d'activité autant que possible, jusqu'à la pêche», rappelle M. Campanella. Dans le cadre des activités de modernisation de la filière oléicole, des experts de renommée mondiale ont été invités par l'observatoire pour former de petits exploitants tunisiens sur le champ, ainsi que des fonctionnaires de l'Etat, «qui doivent changer les règles pour encourager l'innovation», souligne-t-il. Intervenant sur toutes les activités de l'oléiculture, de la cueillette à la mise en bouteille, ils ont réussi à démontrer qu'on peut produire des huiles de grande qualité, de même qualité qu'en Italie. «Le deuxième jour, le nombre de participants à doublé», relève-t-il. Le but de l'observatoire est de moderniser et de réorganiser toutes les filières ainsi que de favoriser de nouvelles techniques, notamment de vente. Pour ce faire, «Nous avons organisé pour la première fois, en avril dernier, dans un hypermarché de Tunis, deux journées de marché paysans. Une vente directe organisée de produits de qualité sous la marque Servagri», affirme-t-il. «La vente directe sur le champ est un exercice habituel pour les paysans, mais l'organisation d'un espace de vente directe dans un lieu commercial est nouveau», précise-t-il. Dans un avenir proche, l'observatoire va faire appel à un incubateur de micro-entreprises, principalement juvénile et féminine, confie-t-il, en vue de compléter l'offre des produits et services qui manquent encore aux opérateurs ruraux, à l'instar de l'éco-emballage, ferme sociale... «Le tout pour satisfaire les besoins des exploitants dans le milieu rural, à 80% des femmes, afin de promouvoir la qualité des produits agricoles», résume-t-il. Ainsi, la vision de l'observatoire est d'amorcer un cercle vertueux : réorganiser les filières, améliorer les produits, promouvoir la qualité, assurer la sécurité alimentaire et stimuler la conscience des acheteurs pour bien manger et vivre sainement, d'où moins de dépenses publiques de santé. «C'est un grand résultat qu'on pourrait obtenir si on fait ce chemin ensemble», soutient-il. Mettant l'accent sur la complémentarité, il ajoute : «Nous avons commis des erreurs par le passé dans ce chemin vers la qualité. Vous pouvez bénéficier de cette expérience, ne serait-ce qu'en évitant les erreurs. Puis, il faut passer à un autre plan visant à conquérir ces nouveaux marchés et vendre la production à l'avance». Et de conclure : «En deux mots, l'observatoire peut faire ça». L'adhésion à l'observatoire, rappelle-t-il, est très facile et totalement gratuite, mais il faut suivre certaines règles pour bénéficier de la marque Servagri. Sans se tracasser par la bureaucratie, une simple adhésion en ligne permet de consulter les chartes de qualités élaborées pour chaque filière, ajoute le directeur de l'observatoire qui compte, actuellement, plus de 80 instituions adhérentes.