Troisième édition de la manifestation «Noirs à l'honneur» et commémoration du 169e anniversaire de l'abolition de l'esclavage en Tunisie à la Maison de la culture Ibn-Rachiq «J'ai le rêve qu'un jour mes quatre enfants vivront dans une nation où ils ne seront pas jugés pour la couleur de leur peau», disait un jour Martin Luther King dans son célèbre discours «J'ai fait un rêve». Nourrie de ce même rêve, l'association M'nèmty (Mon rêve) a vu le jour en 2011, elle a pour but de lutter contre toute forme de discrimination à l'encontre des Tunisiens de couleur. D'après les organisateurs, M'nèmty «est un rêve... Rêve d'égalité et de justice dans une Tunisie belle et plurielle. M'nèmty est aussi un message destiné à faire disparaître le racisme et les différentes formes de ségrégations». Il y a 169 ans, le 23 janvier 1846, Ahmed Bey, étant lui-même fils d'une esclave, annonçait par décret beylical l'abolition définitive de l'esclavage partout en Tunisie. Vendredi dernier, à l'initiative de l'association M'nèmty, une manifestation socioculturelle a eu lieu à la Maison de la culture Ibn-Rachiq pour commémorer l'abolition de l'esclavage en Tunisie et permettre aux Tunisiens, toutes couleurs confondues, de débattre de la problématique de la discrimination ou de la «hogra» (mépris) subies par un grand nombre de compatriotes dont la couleur de peau est différente. Devant une salle comble, une séquence vidéo comportant les témoignages de certaines familles tunisiennes vivant à El Gosba dans la région de Médenine, au sud du pays, a été projetée lors de cette manifestation. «Nous sommes totalement marginalisés et exclus de la société ; nous ne bénéficions pas de notre droit à une vie digne, outre l'absence totale de sécurité et de toutes les commodités», a expliqué l'un des habitants. Saadia Mosbah, présidente de l'association M'nèmty, et animatrice de cette rencontre, nous a révélé que dans cette localité qui compte près de 5.000 habitants, et jusqu'à nos jours, les Noirs sont traités de Abid (esclaves) et les Blancs de libres. «Depuis l'année 2000, suite à un conflit entre les familles, l'Etat a trouvé la solution en mettant en service un bus pour transporter les Noirs et un autre pour transporter les Blancs», a-t-elle précisé. Dans ce contexte, elle a appelé les participants à la manifestation et toutes les composantes de la société civile à se mobiliser le 21 mars prochain à l'occasion de la Journée internationale pour l'élimination de la discrimination raciale pour aller visiter la localité d'El Gosba et revendiquer l'annulation de cette décision discriminatoire. Elle a, en outre, souligné la nécessité de promulguer une loi claire qui incrimine toutes formes de discrimination raciale, d'inculquer aux enfants la culture de la tolérance et de l'acceptation de l'Autre, quelles que soient sa couleur de peau, sa religion ou ses traditions, de renforcer la sensibilisation, d'introduire la culture de la tolérance et la lutte contre toute forme de discrimination dans les programmes éducatifs et d'instituer le 23 janvier de chaque année journée nationale de lutte contre toutes formes de discrimination raciale. Un enregistrement vidéo de l'intervention de Afef Hagi (comédienne et universitaire installée à Florence) a également été visionné. Elle a fait une analyse des mouvements sociopolitiques et culturels en Tunisie et des diverses formes de discrimination : préjugés, indifférence, dénigrement et rejet de l'Autre. «La discrimination par les actes doit absolument disparaître. Il n'y a qu'une seule race et elle est humaine», conclut-elle. Suivront les témoignages d'un nombre de participants, qui, en évoquant leurs expériences personnelles, ont été émus jusqu'aux larmes. On parle de discrimination dans les écoles et dans les institutions, au travail et dans la vie quotidienne. D'autres intervenants ont estimé que la non-reconnaissance de l'existence de discrimination raciale en Tunisie est en elle-même une forme de racisme. La deuxième partie de cette manifestation fut consacrée à la création et à l'art. Salah Barka, jeune designer tunisien «de couleur», dynamique et plein de talent, a présenté sa dernière collection de mode pour hommes. Les mannequins arrivent sur le podium portant des habits et des étoles de toutes les couleurs et de toutes les coupes : les tons «terre», brun, cendré, taupe ou bronze. Ils donnent force et caractère aux hommes qui les portent. Une musique à thème guide leurs démarches soutenues. Le modéliste reste très attaché à ses origines, mais également marqué par la mode européenne : le style des créations se présente comme un savant mélange des genres, où l'original est souvent au rendez-vous. Ce qui ne manque pas d'attirer les spectateurs dans un univers de rêveries du traditionnel arabo-africain... Enfin, place à la musique avec des groupes de jeunes talents tels que: Anis Chouchène (slameur), Ala Bomba (rapeur), Looper Boys (beatbox), Groupe Apothéose... On découvre alors une musique riche, chaude, et d'une énergie vibrante, avec une abondance incroyable de rythmes qui puisent leur originalité dans les profondes racines des Africains. Derrière ces rythmes endiablés, on retrouve également des parfums amérindiens, africains, ou tziganes. La manifestation s'est terminée avec un appel à l'union, à la solidarité, à la tolérance et à la lutte contre toutes formes de discrimination raciale. Une rencontre qui fait fondre les préjugés comme neige au soleil. D'abord parce que l'injustice hurlante de cet état de fait est une gifle pour les non-avertis !