Par Chedly Belhadj Naceur En Tunisie, comme dans beaucoup d'autres pays, il est de tradition que dès la nomination ou plutôt dès la prospection et les contacts en vue du recrutement d'un entraîneur, quelle que soit sa nationalité, à la tête de l'équipe nationale démarrent les critiques fondées ou non, sur sa carrière, ses passages dans des clubs ou des sélections. Tout est passé au peigne fin et rien n'est caché ni bénéficie du droit à l'oubli. On ressort même des déconvenues ou des échecs connus lors du début de sa carrière où il ne faisait qu'apprendre son métier et on omet parfois des ‘'faits d'armes'' en sa faveur. Heureusement que sa vie privée est épargnée. Concernant l'entraîneur actuel de l'équipe nationale de football, on a tout de suite relevé qu'il a été un joueur moyen de football connu pour sa rudesse comme si ce n'était pas une qualité chez les défenseurs et qu'il a échoué avec la sélection algérienne alors qu'il a joué au sein de la sélection de son pays, la Belgique, dont le niveau est supérieur au nôtre, et que la fonction d'entraîneur n'a jamais été subordonnée à la qualité et à la valeur du joueur et non de l'homme et de ses compétences intrinsèques. Il faut noter ici que la plupart des grands entraîneurs n'ont jamais été de grands joueurs comme Arrigo Sacchi, R. Michels, A. Ferguson, Van Gaâl, José Mourinho, Télé Santana, Menotti, etc., Les exceptions sont rares : Zagalo, Trapattoni, Hidalgo, Beckenbauer, Cruyff, C. Bianchi, Guardiola, Chetali en Tunisie, etc., ont été d'excellents joueurs et entraîneurs tandis que les Di Stefano, Mekhloufi, Platini, Zico, L. Mathaus, Gullit, Klinsmann, etc., ont été surtout de très grands joueurs. N'omettons pas de dire qu'il est bien plus difficile de devenir un bon entraîneur que de naître bon joueur ou de mettre le costume de critique professionnel. Les critiques ne cesseront jamais, voire redoublent quand commencent la divulgation de la liste des joueurs convoqués et même avant avec les spéculations sur les noms des probables appelés, les stages de préparation, les matchs amicaux, les tournois et les compétitions officielles. Tout est soigneusement ‘'disséqué'', ‘'passé à la loupe'', discuté et souvent remis en cause par des observateurs, des analystes, le plus clair du temps d'anciens entraîneurs et joueurs reconvertis et des journalistes spécialistes de l'analyse ‘'footballistique'', mode en vogue ces derniers temps dans notre pays, que se disputent et parfois s'arrachent les émissions de TV consacrées presque exclusivement au sport numéro 1 dans le monde, le football. Les avis et les approches divergent et les critiques sont franches, claires, libres et touchent à tout : choix des joueurs, titulaires et remplaçants, des systèmes et tactiques de jeu, des phases importantes durant le long des matchs, de ses coulisses et à côté, des réactions et du comportement du public et des dirigeants et présidents des clubs, de l'arbitre et sa prestation, de l'état de la pelouse, de l'environnement extérieur, des adjoints et des techniciens assistant l'entraîneur, des décisions des instances dirigeant le football. Rien ni personne n'y échappe. Il faut bien remplir la mission et mériter le cachet qui est faramineux dans les pays riches et plus élevé que le salaire d'un bon joueur presque partout. L'entraîneur reste quand même la cible privilégiée, le souffre douleur et souvent le bouc émissaire de tous les problèmes techniques, les mauvais résultats et la mauvaise ambiance au sein du groupe de l'équipe, faisant fi de la crise financière, de la défaillance du bureau directeur, du peu de moyens, des mauvais recrutements, etc., comme le soulignent nos experts quand ils le veulent et quand ils se rappellent leurs déboires. Pour l'entraîneur national, ce sont alors le ou les responsables de sa nomination qui se trouvent obligés de prendre la défense de leur ‘'perle rare'' qu'ils ont recrutée au prix de moult acrobaties pour répondre aux critères tunisiens ( haute qualité, rendement maximum mais coût minimum ou moyen tout au plus). Une véritable atmosphère de pure démocratie. On écoute les arguments de l'autre et on répond, à peine si le ton s'élève ou l'on s'invective et on termine par les embrassades, impératives et inévitables, dans toute sorte d'émission d'ailleurs. Et cela perdure depuis les régimes autoritaires ayant précédé la révolution, eux, qui, a priori, ne tolèrent pas la liberté de parole, d'opinion et de communication et sont allergiques aux vedettes de la création artistique et de la culture et à toutes les célébrités, de tous bords, pouvant leur faire de l'ombre. Comment expliquer ce paradoxe? Parce que le sport est normalement neutre et politiquement correct, et qu'il constitue un fait universel, supra-national et bénéficie d'une vision mystique en raison des bienfaits et des valeurs qu'il véhicule, il serait au-dessus des batailles politiques, des luttes de classe et des conflits armés. Le football est aujourd'hui dans la plupart des régions du monde avec des variations çà et là (le football à la façon américaine le base-ball et le basket aux USA, le rugby dans l'hémisphère sud et en Irlande, le cricket en Inde, l'athlétisme en Finlande, etc.), le plus puissant facteur de rassemblement, et d'interception de foules, avec les très grands concerts de musique, dans un même lieu. Parce que le sport, et le football en particulier, remplit des fonctions sociopolitiques essentielles pour le maintien de l'ordre social par différents mécanismes, il est constamment présenté, avec les autres disciplines sportives, comme un remède, un antidote, une solution immédiate à tous les maux de la société. «Un facteur de progrès et de paix sociale», selon feu Pierre de Coubertin, le père de l'olympisme moderne. Pour toutes ces raisons, en Tunisie, la liberté d'expression en matière sportive est non pas instituée mais tolérée depuis longtemps, que ce soit sur les colonnes des journaux ou sur les plateaux des télévisions qui ont beaucoup de succès et affichent de très bons scores à l'audimat en fonction surtout de la célébrité de leurs invités. En vérité, les gouvernements, surtout ceux impopulaires pour différentes raisons, notamment l'absence de démocratie et de politique efficace prenant en main l'épanouissement des jeunes, conscients qu'ils sont des bénéfices qu'ils peuvent tirer pour eux et leur régime des succès et exploits réalisés à titre individuel ou collectif par des sportifs qu'on encadrera et ‘'chouchoutera'', ont fait et font encore du sport la seule vitrine, la seule façade de leur pays vis-à-vis de l'étranger, ou même une fixation au point qu'on a dit que le ‘'sport était l'opium du peuple'' (le football au Brésil) rappelant la pensée de K. Marx auquel on attribue la déclaration que «la religion était l'opium du peuple» (il semble qu'il ait dit plutôt «les misères religieuses») pour détourner la population de la politique et des misères sociales. D'où la manie pour ces régimes d'organiser, quand ils en ont les moyens, d'organiser de très grandes manifestations sportives dans le but d'embellir et d'enjoliver leur image qui reste une hantise permanente pour eux. De nos jours, le sport est touché par plusieurs gangrènes dont la corruption est la plus dangereuse alors que la violence, sous maintes formes, s'est installée dans les stades des pays fussent-ils démocratiques ou riches, où un vent de mécontentement et de contestation par la jeunesse du modèle de société souffle, dans une impunité et une sorte d'immunité qu'on ne peut expliquer que par la récupération par le régime au pouvoir du sport, ce phénomène sociétal mystique, dont il a fait son enfant ‘'chéri''. C'est dans ce cadre ‘'paisible'' qu'officient nos télé-animateurs et journalistes sportifs. Les Etats civilisés ont toutefois commencé à sévir contre les dérives en interdisant, notamment, aux plus perturbateurs des ‘'hooligans'' l'accès aux stades. Et c'est justement là où le bât blesse. On assiste de plus en plus, peut-être dans un souci d'amélioration de l'audiométrie et du tirage ou un désir de confirmation ou de distinction personnelle, à un manque d'objectivité dans les analyses techniques des matchs, à un dénigrement ou le contraire de la qualité de certains joueurs ou de l'entraîneur, à une méconnaissance relative de l'environnement des rencontres et celui des diverses contraintes auxquelles doit faire face l'entraîneur (méforme de joueurs, blessure de dernière minute, incidents ou cas de force majeure, circonstances exogènes au groupe, etc.). On assiste parfois aussi à une critique négative de toutes les déclarations et réactions de l'entraîneur même s'il s'évertue à satisfaire les plus intransigeants. C'est plus intolérable quand ces critiques proviennent de collègues (entendre de même métier) qui sont censés savoir ce qui se passe avant, pendant et après les matchs. On voit de temps à autre des entraîneurs ou ex-entraîneurs qui n'ont fait que ‘'vociférer'' quand ils exerçaient contre les arbitres qui les ont lésés, les joueurs qui n'ont pas appliqué les consignes, la qualité du gazon et du terrain, le vent qui les ont gênés, et même contre le peu de clémence du ciel et la colère des Dieux qui étaient contre eux, pour expliquer la défaite de leur équipe, se transformer en ‘'redresseur de torts'' en évoquant un reproche adressé à l'arbitre par l'entraîneur national, pourtant adressé de manière beaucoup plus ‘'soft'' et diplomatique que le leur. Des journalistes de TV ou de presse, pas tous bien entendu, se voulant plus audacieux, plus savants et mieux informés que les techniciens ou ayant une ‘'dent‘' contre un coach pour le seul motif qu'il leur a refusé un entretien ou s'est montré sec ou peu coopératif selon leurs critères ou un motif encore plus banal, profitent de la moindre occasion, d'un échec ou d'un demi-succès pour s'en donner parfois à cœur joie pour le ‘'démolir''. Néanmoins, il faut reconnaître que des critiques positives et des remarques et conseils pertinents sont également professés d'autant que l'émission n'est pas réservée aux blâmes systématiques, et n'en porte pas le nom. La modestie qui est la vertu des grands ne semble pas étouffer nombre de nos journalistes sportifs et nos chers technicien-animateurs ès. Pourtant, ils savent mieux que quiconque que le métier de coach d'une sélection n'est pas une sinécure et qu'un zeste de reconnaissance ne leur ferait pas de mal, bien au contraire. Alors, de grâce, pour la fois où nous avons un sélectionneur compétent mais non infaillible, qui a réussi à protéger l'harmonie et l'entente du bloc en n'hésitant pas à fermer la porte devant le meilleur avant-centre actuel pour préserver son groupe, qui sait écouter et prendre en compte tous les bons conseils et les critiques constructives, qui a réussi le meilleur bilan depuis fort longtemps (une seule défaite en 10 matchs, celle contre la Guinée équatoriale exclus) qui a fait ses preuves en hissant la sélection de Belgique au 5e rang mondial, qui n'a que rarement ‘'snobé'' les médias, qui nous a rendu l'amour de notre équipe nationale malgré le peu de temps qu'il a passé à sa tête, alors reconnaissons-lui ses mérites sans le glorifier et unissons-nous derrière notre sélection qui semble solidaire et en osmose avec son entraîneur et laissons-le continuer son travail et achever sa mission dans la confiance et la sérénité. Le temps des comptes n'est pas encore venu.