Le projet théâtral «Blessées à mort» de l'Italienne Serena Dandini a été présenté dimanche dernier à la salle le 4e Art à l'occasion de la Journée internationale de la femme Après une tournée réussie en Italie, au Mexique, au Portugal, en Géorgie, en Suisse, en France et aux Etats-Unis, le projet théâtral audacieux et original autour du «féminicide» «Blessées à mort» de l'Italienne Serena Dandini, en collaboration avec Maura Misiti, a été présenté dimanche dernier à la salle le 4e Art à l'occasion de la Journée internationale de la femme. Il s'agit d'une initiative de la Fédération internationale des droits de l'Homme (Fidh) et de deux de ses organisations membres en Tunisie, la Ligue tunisienne des droits de l'Homme (Ltdh) et l'Association tunisienne des femmes démocrates (Atfd). Devant une salle archicomble composée d'un public hétéroclite, d'ambassadeurs, de représentants diplomatiques et un bon nombre de personnalités tunisiennes et étrangères, la scène s'ouvre sur un décor minimaliste, plongé dans le noir, dans un coin un DJ qui tient le pupitre donnant le ton qu'il faut et la musique adéquate s'adaptant aux récits qui se succèdent, et de magnifiques portraits artistiques de femmes et de petits papillons —un dessin qui renvoie forcément à la symbolique de la réincarnation et la renaissance— projetés en arrière-plan. Le projet de Dandini, qui existe également sous forme d'un livre publié en italien chez Rizzoli, est un recueil de monologues conçus sur le modèle de la Spoon River Anthology d'Edgar Lee Master dont l'originalité consistait dans le fait de redonner la parole aux défunts. Une forme d'invocation des esprits des morts ou de leur résurrection. Basé sur des faits divers et des enquêtes judiciaires, «Blessées à mort» est un ensemble de récits posthumes et imaginaires au style direct de femmes qui ont été victimes de discrimination, de harcèlement et de diverses atrocités infligées par des hommes (un mari, un compagnon, un amant, un père ou même un frère, etc.) jusqu'à la mort. Outre le genre dont il tire sa force et son originalité, le spectacle, porté par des femmes de divers horizons, connues du grand public, tente d'interpeller l'opinion, les médias et les institutions. Il pousse à la réflexion et à l'analyse du fléau des violences faites aux femmes et à envisager des solutions pour y mettre un terme. On était agréablement surpris par l'apparition sur scène d'un joli bouquet de femmes assez connues du public tunisien et qui ont choisi de faire partie de ce projet culturel militant et féministe pour défendre les droits de la femme. Toutes vêtues de noir, avec toujours une étoffe ou un accessoire couleur rouge-sang symbolisant la blessure qui a conduit à la mort des victimes qu'elles interprètent superbement bien : la journaliste Mariem Belkadhi dans un monologue (El Ghoul ayech maana fiddar), la ministre de la Culture, Latifa Lakhdhar dans (Sonia), la militante Najoua Rezgui dans (Le sens de l'honneur),la blogueuse Lina Ben Mhenni, la chercheuse au CNR Maura Misiti dans (K2), l'avocate Basma Khalfaoui dans (Ennes elkol yaârfou), la secrétaire d'Etat chargée du dossier des martyrs et blessés de la révolution, Majdoline Cherni dans (Kehna), la caricaturiste Nedia Khiari dans (Mes Chanels) ,la comédienne Fatma Saïdène dans (Alba Chiara), Raja Dahmani, membre du bureau exécutif de l'Association tunisienne des femmes Démocrates dans un monologue intitulé (Hommes forts), la metteur en scène du spectacle, Serena Dandini dans ( Petites mariées), la comédienne Jalila Baccar dans (Un kilo de sucre), l'actrice Sondes Belhassan dans (Chère Luisella), l'avocate et députée Bochra Belhaj Hmida dans (Parité), la femme politique italienne Emma Bonini dans (Fleur de Lotus), et la chanteuse engagée Amel Hamrouni dans (Trousseau de clés). Chaque victime est donc ramenée à la vie le temps de quelques minutes pour faire face au monde des vivants. Serena Dandini offre à chaque femme —étant prise au dépourvu, agressée, violentée, puis assassinée, décapitée ou inhumée— l'occasion de témoigner, de se défendre, d'accuser ou de tirer au clair ce qui est resté un mystère après sa mort. Elle relate ses peurs, ses angoisses, ses faiblesses, ses rêves, ses amours, ses erreurs et ses déceptions. Dans le style direct, dialecte tunisien, arabe littéraire ou français, l'écriture est précise, subtile, tantôt poétique, tantôt acérée, variant d'un style et d'une personnalité de femme à une autre. «Blessées à mort» dresse, donc, un état des lieux édifiant de l'inégalité des sexes à notre époque, dénonçant la domination masculine d'une part et la soumission persistante (et admise comme telle) de la gent féminine à la masculine. Elle dénonce toute discrimination dont souffre toute femme aujourd'hui, mis à part son origine, sa nationalité, sa région, son éducation ou sa classe sociale. Elle a su poser les mots justes sur les maux de toute femme et que, à travers lesquels, chaque spectateur trouvera, à un moment ou à un autre, une part (même petite) de ses faiblesses et de son subconscient. Une œuvre «féminine» non seulement réussie, mais à nos yeux nécessaire, voire salutaire. On sort donc amères mais conquises de cette heure et quart pleine d'intelligence et d'esprit.