Par Hamma HANACHI Dimanche 8 mars. Ciel chargé de nuages, pluie incessante, ce qui n'a pas empêché les femmes et les hommes de défiler sur l'avenue Habib Bourguiba pour la Journée internationale de la Femme. Bras levés, cris, sourires, couleurs, banderoles, mots d'ordre et revendications légitimes. Rien n'arrête la détermination de la femme à consacrer le droit à l'égalité. Les écrans diffusent les défilés : dans toutes les villes du monde, marches, calicots et vœux d'un monde meilleur qui n'exclurait pas la moitié du ciel. Il faut croire que le globe est divisé entre pays où la femme jouit de ses droits et d'autres où elle vit comme vivaient ses ancêtres au Moyen Age. Le monde arabe ? Les forces obscurantistes veulent qu'hommes et femmes vivent dans deux univers séparés. Pire, à voir sans pouvoir agir l'endoctrinement religieux des enfants, l'esclavage des jeunes filles dans les zones de guerre, la violence au nom de l'Islam, leur exploitation sexuelle et le silence complice de nombre d'Etats, on est en droit de penser qu'en ces temps de régression morale, intellectuelle, spirituelle, économique... la femme arabe est la première victime des systèmes en place et ses aspirations à un avenir meilleur sont étouffées. Tristes temps, atterrante réalité. Soit. Inflation d'éloges, de commentaires, de références, d'exemples à suivre et d'autres à dénoncer, abondance d'interviews sur les journaux, les stations radio, les chaînes télé, les blogs et autres réseaux sociaux. La femme est célébrée et même idéalisée...pour un jour. La chaîne culturelle Arte a fait un choix judicieux en consacrant une programmation spéciale, matinée, soirée et nuit à la Journée de la femme. Juste avant un merveilleux concert d'Angela Georghui consacré à Puccini, Verdi ... nous avons apprécié un documentaire sur la place de la femme dans l'histoire de la peinture. Partout, les galeries des musées sont pleines de femmes, elles sont nues, à demi nues, habillées, de face, de dos, de trois quarts, cheveux en l'air, coiffées, en portrait, en entrant ou en sortant de l'eau, sous la lumière d'une bougie, ou sous une raie de lumière, en plein air, portant une jarre, en pique-nique, dans un atelier, elle est partout sur les tableaux historique, classique, romantique, impressionniste, moderne, belle, laide, charnue, osseuse, capricieuse, lascive, naïve, maligne, innocente, meurtrière. Bref, elle est omniprésente, mais y a-t-il des femmes peintres ? Question pertinente que pose Manuelle Blanc à travers ce documentaire fouillé et instructif, inédit de 55 minutes, «Artistes femmes, à la force du pinceau». Depuis la Renaissance italienne, jusqu'à l'époque contemporaine, des femmes ont pratiqué la peinture, le public, les mécènes, les amateurs d'art jusqu'aux historiens, même les étudiants des Beaux-Arts, ignorent la présence des femmes peintres. Ces femmes, l'histoire officielle ne les a pas retenues. Il se trouve des toiles, apprend-on dans ce beau documentaire qui sont indûment attribuées à des hommes. On croisera des caractères forts, parmi lesquels Sofonisba Anguissola (1532-1625), portraitiste talentueuse. On citera Artemisia Gentileschi (1593-1625), ignorée par le public et l'histoire, ou Elisabeth Vigée-Lebrun (1755-1842), qui, déçue, dira «Les femmes régnaient en souveraines et la Révolution les a détrônées».Ou encore Rosa Bonheur(1822-1899), peintre animalière, d'une force extraordinaire qui a exécuté des tableaux monumentaux, adopté les comportements masculins en fumant et en portant un pantalon masculin, elle arrache sa place dans le monde des arts et atteint une cote démesurée, son aura dépassera les frontières de l'Hexagone et sera récompensée par la Légion d'honneur pour fait artistique. La 2e partie du 19e siècle connaît une révolution : l'impressionnisme. Le documentaire insiste avec intérêt sur la personne de Berthe Morisot (1841-1895). Issue d'une bonne famille, elle se passionne pour la peinture impressionniste. Chevalet sur le dos, elle se consacre à la peinture de plein air, travaille durement pour se faire accepter dans un groupe d'hommes. Ses œuvres sont comparables à celles des grands, Monet, Renoir ou Pissarro mais à part quelques artistes et le poète Mallarmé, elle aura très peu de reconnaissance. Quant à l'histoire de l'art, elle s'est montrée ingrate et retiendra moins son nom comme artiste que l'amante de Manet avec qui elle a eu une passion amoureuse. L'Ecole des Beaux-Arts à Paris s'ouvre enfin aux femmes et, en 1903, celles-ci sont autorisées à participer au concours de Rome. Une sorte de consécration. Trop tard, puisque l'Ecole à cette époque est devenue académique, sans grand intérêt, l'art est ailleurs : rayonnisme, cubisme, surréalisme. Les femmes gagnent leur place et deviennent des artistes à part entière, Suzanne Valadon, Sonia Delaunay, Frida Kahlo, la liste est longue. Elles sont très présentes aujourd'hui dans toutes les expressions et formes artistiques, photo, peinture sur support, visuel, optique, réaliste, néoréaliste, abstrait, conceptuel... Elles se manifestent dans les grands combats. Exemple : pendant cette Journée internationale de la femme, pour combattre le harcèlement sexuel dans son pays, une artiste afghane, Kubra Khademi, s'est promenée dans un quartier populaire de Kaboul, vêtue d'une armure. Et à Tunis ? Le paysage artistique regorge de talents féminins. A la lumière des expositions, elles semblent même dépasser les hommes en nombre. Une conquête à mettre sur le compte de la lutte pour l'égalité homme-femme.
