Autoroutes de la mer... Au premier abord, ces mots sonnent comme une chimère, comme une image fantasque tout droit sortie d'un conte. Ces mots nous ont même renvoyé à une blague que les Tunisiens se racontaient avant en coulisse, celle qui met le président déchu face au génie d'une lampe magique, il lui demande de lui construire un pont le menant directement à son château situé en Argentine. Le génie trouvant cela difficile à réaliser lui donna une autre chance. Le président émit, alors, le vœu d'être aimé par son peuple. Trouvant cela encore plus difficile, le génie préféra construire le pont...Le temps a confirmé les constats du génie, le peuple a fini par chasser son président et les super-ponts ont fini par être concrétisés mais à l'allure d'autoroutes de la mer. Véritable alternative aux autoroutes terrestres, le concept des autoroutes de la mer a été lancé en juin 2001 à Göteborg (...) et s'inscrit dans le cadre de la politique commune des transports de l'Union européenne (UE). Rendues possibles, entre autres, par l'abolition progressive des frontières au sein de l'Europe, ces autoroutes sont destinées à faire voyager camions, conteneurs, véhicules (...) sur des navires, valorisant ainsi le transport maritime. Elles ont été adoptées, entre autres, dans le but de désengorger les grands axes autoroutiers européens, en premier lieu les passages des massifs montagneux, de limiter la pollution et favoriser le développement durable, mais également de renforcer les liaisons intermodales de transport de marchandises et de transport maritime entre l'UE et ses partenaires méditerranéens, ainsi qu'entre les pays méditerranéens eux-mêmes. La toile méditerranéenne La «mare nostrum» des Romains, «Mère des peuples» (Braudel) et carrefour des civilisations, des cultures et des religions a toujours bercé les rêves de grandeur des peuples riverains, ceux de curieux explorateurs, guerriers et autres ambitieux commerçants, des Puniques aux Phéniciens, qui sans cesse repoussaient plus loin leurs horizons. La généreuse Méditerranée, qui couvre 2.5 millions de km2, était déjà, durant l'Antiquité, une autoroute de transport maritime permettant l'échange commercial et culturel entre les peuples de la région et par-delà. A la croisée des chemins, elle a su faire se rencontrer des cultures orientales et occidentales. Et elle continue toujours à le faire: chaque jour, quelque 2.500 buildings navals sillonnent la Méditerranée pour servir un marché de 500 millions de consommateurs au Nord et une centaine de millions au Sud. Plus encore, la Mare Nostrum est au centre d'échanges économiques euro-med-africains qui doivent s'imposer dans un ordre mondial basé sur la vitesse de l'information et la rapidité des flux économiques transnationaux. Dans ce contexte, il est plus que nécessaire de tisser d'étroites relations régulières et profitables entre les pays de l'espace méditerranéen. Ainsi conscients de toutes les possibilités qu'offre l'échange économique entre les deux rives, les pays méditerranéens ont mis en place une série de politiques, de mesures et de projets, dans l'objectif de maintenir des liaisons permanentes entre eux. C'est là qu'entre en jeu le concept des autoroutes de la mer. Elles se distinguent du cabotage ou des liaisons maritimes classiques par la recherche de la performance d'un bout à l'autre de la chaîne de transport. Il s'agit de proposer, entre deux ports, un service fréquent, régulier et cadencé (horaires fixes), à la fois rapide et fiable pour un prix attractif par rapport à son équivalent sur route. Et quand cela se fait avec plus d'indulgence à l'environnement, on ne peut qu'y adhérer. En effet, ce genre de transferts permet de désengorger les axes routiers, en réduisant les émissions de gaz à effet de serre. Sans oublier que la navigation maritime demeure, sans conteste, parmi les moyens de transport les plus sûrs, les plus robustes, les moins coûteux et surtout les moins polluants. Selon des experts internationaux, le transport maritime émet cinq fois moins de C02 à la tonne transportée que le transport routier, et treize fois moins que le transport aérien. A l'ère de la mondialisation et du numérique qui restreint temps et espace en un clic, la mare nostrum suit le courant, se faisant, ainsi, une toile d'écumes et de vagues, un moteur de connexion rapide et efficace entre ses deux rives et au-delà. Et la Tunisie alors? En ces temps de crises, les pays méditerranéens ont besoin de mobiliser toutes les ressources de la région pour booster les échanges commerciaux. La Tunisie, en tant que démocratie naissante et qui gagnerait à doper son économie interne, a pris conscience du potentiel des autoroutes de la mer. Plusieurs acteurs du domaine des transports et autres autorités politiques commencent à saisir de plus en plus leurs avantages et leur importance dans le commerce international. Cela s'est vu, entre autres, avec les accords conclus dans le cadre du programme MedaMos (Projet Autoroutes de la mer pour la Méditerranée ) dans ses deux phases. Lancé en 2006 par la direction générale des transports de la Commission européenne et la direction générale EuropeAid et financé par l'UE au titre du programme EuroMed Transport, ce projet vise à améliorer les connexions de transport entre l'UE et ses voisins méditerranéens, à promouvoir le concept des autoroutes de la mer et à aider les pays partenaires à poursuivre la mise en place d'actions dans le domaine du transport maritime et des opérations portuaires. La Commission s'est fixé également un objectif à long terme qui consiste à renforcer les liaisons entre les réseaux de transport transeuropéen et transméditerranéen. La Tunisie a été retenue, la première fois en 2008, pour le projet de liaison maritime entre les ports de Marseille et de Radès (Tunis). Dans la deuxième phase du programme, la Tunisie s'est imposée avec ses partenaires français et italiens, parmi les 12 pays de la rive sud de la Méditerranée, avec le projet sur les axes Radès-Marseille et Radès-Gênes. Choisi comme meilleur projet, il a joui d'une assistance technique efficace du programme régional euroméditerranéen. D'autres lignes existantes, telles que Radès/Barcelone, Radès/La Spezia, Rades/Livourne, ont profité des principes des autoroutes de la mer et de bonnes pratiques. Ces autoroutes sont d'autant plus avantageuses qu'elles contribuent à l'amélioration de la compétitivité des opérateurs en permettant une réduction des surcoûts liés aux retards, avaries, pannes, gaspillage et autres dysfonctionnements, un développement des pratiques conformes aux normes et aux législations internationales en matière de sécurité, sûreté, environnement, une nette amélioration des performances et de la qualité des prestations et une meilleure notoriété auprès des chargeurs et une attractivité du trafic. La Tunisie se présentait, déjà en 2010, en matière de transport maritime, comme étant le pays le plus avancé de la rive sud de la Méditerranée, devançant le Maroc, l'Egypte et l'Algérie. Selon une étude du Réseau Anima sur les ports et la logistique dans le bassin méditerranéen à partir d'un échantillon de 13 pays, la Tunisie se positionnait à la 60e place sur 150, loin devant le Maroc (94e) et l'Egypte (97e), alors que l'Algérie occupe la 140e place. Cela étant, dupliquer les expériences réussies dans le cadre des autoroutes de la mer, qui ont généré de réelles avancées, en les réajustant aux nouvelles donnes, semble une solution aussi évidente que porteuse. Voilà une belle manière de booster l'économie tunisienne, faciliter l'intégration du pays dans l'espace européen et sa connexion aux réseaux de transport euroméditerranéen. Car ces projets des autoroutes de la mer lui permettront de développer des axes de transport performants, de valoriser ses atouts de proximité géographique par le déploiement d'une logistique fiable avec l'Europe en vue de drainer les investissements étrangers, de soutenir l'effort d'exportation et de créer de nouveaux emplois tant nécessaires pour endiguer entre autres le chômage des jeunes..