Avant que le projet de loi ne passe devant les députés le 5 mai prochain, on essaye de revoir la copie. Objectif : protéger nos forces de sécurité, d'une part, et préserver les libertés publiques, d'autre part Approuvé en Conseil des ministres le 8 avril, le projet de loi relatif à la répression des atteintes contre les forces armées sera examiné en plénière à l'Assemblée des représentants du peuple le 5 mai prochain. En attendant, il a suscité un tollé de protestations de la part des partis politiques et des acteurs de la société civile. Maintenant que les médias ont révélé à l'opinion publique le contenu en détail du projet de loi en question (voir La Presse du mardi 21 avril), l'on se demande : peut-il exister un terrain d'entente entre ceux qui rejettent le projet de loi dans sa totalité et ceux qui pensent que la lutte antiterroriste exige plus que jamais l'adoption d'une telle loi ? En d'autres termes, est-il possible que le projet de loi puisse connaître des modifications dans le but de satisfaire les mécontents ? On ne légifère pas sous l'émotion Abdelmajid Abdelli, enseignant de droit public à l'université El Manar I, est tranchant : «Pour moi, ce projet de loi est non conforme à la Constitution. C'est une loi d'exception. Lorsqu'on légifère, on ne doit pas le faire sous l'effet de l'émotion. La caractéristique essentielle d'une loi est qu'elle doit être abstraite et générale. Le Code pénal tunisien date de 1913. On y trouve des règles qui n'ont jamais changé parce qu'en adoptant ce texte, on était loin de l'émotion ou de la réaction à un événement quelconque. Si on va dans ce sens-là, on sera obligé de légiférer dans tous les domaines et on va arriver à des tonnes de lois. Ce que j'appelle l'inflation juridique. Par exemple, on sera obligé de mettre en œuvre une loi protégeant les mineurs ou les enseignants et personne n'aura rien à dire. Certes, l'agent de sécurité et le soldat doivent être protégés comme quiconque. Il faut le dire, une démocratie qui obéit aux lois d'exception est une démocratie moribonde. En France, à la suite de l'attentat terroriste contre Charlie Hebdo, on a voulu lutter contre le terrorisme, tout en respectant les procédures. Il s'est posé la question : qui va ouvrir les caméras de surveillance et qui va valider leur contenu et ils ont convenu que cette opération doit se dérouler sous la supervision d'un magistrat. A mon avis, le projet de loi en question ne doit pas être soumis au Parlement». Il enchaîne : «Est-ce que nous manquons de textes pour juger et condamner celui qui a tué ou blessé un agent de sécurité ? Et puis, il faut mettre un terme à cette polémique sur la définition du terrorisme et avoir le courage de dire aux Tunisiens qu'il existe aujourd'hui environ 300 définitions du terrorisme dans le monde. Il faut aussi que l'on sache que les lois d'exception causent plus de préjudices aux victimes qu'à ceux qui commettent les crimes incriminés. Je suis convaincu qu'en Tunisie, on n'a besoin ni d'une loi antiterroriste ni d'une loi réprimant les atteintes aux forces de sécurité et de l'armée». Les rectifications à apporter Au syndicat de la direction générale des unités d'intervention, on planche actuellement sur l'élaboration d'un document comportant les propositions relatives aux articles à annuler dans le projet de loi et les améliorations à introduire sur certaines autres dispositions. Lassaâd Kchaou, secrétaire général du syndicat, confie à La Presse : «Nous avons demandé a être reçus par les membres de la commission parlementaire de législation générale au cours de la semaine prochaine afin de leur soumettre nos observations et nos suggestions. Nous attendons qu'ils nous fixent un rendez-vous. Au cas contraire, nous irons déposer notre document auprès du bureau d'ordre relevant de l'Assemblée des représentants du peuple». Quant aux articles qu'il faudrait annuler, les syndicalistes des unités d'intervention pensent que les concepteurs du projet de loi «devraient éliminer les articles menaçant les libertés publiques». On devrait également «améliorer les dispositions prévues dans l'article 18 qui parle de la non-responsabilité de l'agent de sécurité au cas où il causerait, lors de l'accomplissement de sa mission, la mort ou la blessure de l'auteur de l'infraction commise à son encontre. Au syndicat, nous considérons que cet article peut être remplacé par l'article 42 du Code pénal». Pour ce qui est des dispositions relatives aux citoyens qui détiennent des informations ayant trait à des projets terroristes et qui s'abstiennent de les livrer aux autorités, «il faudrait bien les revoir entièrement dans la mesure où on n'encourage pas le citoyen à collaborer avec les autorités. On le met, en fait, sous la pression des poursuites dont il pourrait être victime et on contribue, sans le vouloir, à ce que le citoyen garde le silence de peur des désagréments qu'il pourrait endurer», précise Lassaâd Kchaou. Un projet tiré des tiroirs «Le projet de loi en question est en réalité l'œuvre de Ali Laârayedh à l'époque où il était ministre de l'Intérieur. Nous avons eu vent de ce projet et nous avons réussi à en avoir une copie que nous avons soumise à un séminaire scientifique organisé le 20 juin 2013. Nous avons disséqué les dispositions de ce projet et montré sa dimension dictatoriale», souligne Mme Badra Gaâloul, présidente du Centre international des études stratégiques, sécuritaires et militaires. Elle poursuit : «Malheureusement, le projet est revenu avec le ministre Najem Gharsalli qui prétend que ce sont les forces de sécurité qui poussent pour que cette loi soit adoptée. A ma connaissance, les syndicalistes des divers corps sécuritaires soutiennent le contraire et sont convaincus que cette loi leur porte préjudice. En tant que spécialiste de la question, je pense que la Tunisie n'a pas besoin d'une telle loi. Ma crainte est réelle de voir le climat de confiance et de sympathie entre le citoyen et l'agent de sécurité disparaître et donner lieu aux anciennes pratiques que nous croyions révolues»