Les bonnes volontés se manifestent, même si les associations classiques telles que La Rachidia et Carthage ne donnent pas signe de vie. Quelques semaines après «les journées musicales de Carthage» dans leur deuxième session, la chanson tunisienne se trouve frustrée et ses amateurs quelque peu trahis ! Il est vrai que cette manifestation s'est avérée, en fin de compte, très basée sur une musique plutôt savante, réservée à une «élite» universitaire. Il fallait s'y attendre : le monde très hétéroclite qui gravite, d'une manière ou d'une autre, autour de la chanson, se trouve uni subitement en réagissant mal, aussi bien au fond qu'à la forme de cette manifestation, ouverte, qui plus est, sur la musique arabe et africaine. Toutes les langues se délient pour crier au scandale. Nous n'irons pas jusque-là, car nous estimons qu'il y a malgré tout des aspects positifs aux JMC, et gardons le bon souvenir d'avoir été membre du jury de la première session. Il n'en reste pas moins vrai que la chanson tunisienne mérite tous les égards, compte tenu de son importance dans la définition de l'identité nationale et du plaisir que nous avons à l'écouter, sans parler des milliers d'artistes, de musiciens, de techniciens de toutes sortes qui en vivent. Contrairement à ce qui se dit, le festival de la musique tunisienne, et avant lui, celui de la chanson, ont bien fourni un certain nombre d'œuvres mémorables qui ont enrichi notre mémoire collective. On peut même remonter au festival de Saliha démarré en 1959/60 qui prouve tant et si bien que la Tunisie a toujours fêté sa chanson. Nous avons toujours du plaisir à rappeler que l'honneur du premier vainqueur est revenu à Naama dans une composition de Khemaïs Tarnène et un texte de Amor Ben Salem : layaatni bchid el hawa ya Douja. Une chanson qui donne le même plaisir aujourd'hui encore. Ayadi mais aussi les autres.... Dans ce contexte particulier, les bonnes volontés se manifestent, même si les associations classiques telles que La Rachidia et Carthage ne donnent pas signe de vie en ce qui concerne leurs projets et leur stratégie, et que les radios (en dehors de la Radio nationale) continuent d'ignorer la chanson tunisienne. La troupe nationale, elle, fait ce qu'elle peut une fois par mois mais notre chanson mérite plus. Un fait marquant a eu lieu la semaine dernière : le retour d'Abderrahmane Ayadi sur la scène, et la remise sur pied de la Troupe « El Watan El Arabi » pour le quarantième jour du décès de feu Hédi Kallel, organisé par le ministère de la Culture. Trente musiciens ont fait vibrer la scène de la salle « Ibn Rachiq », dirigés par la baguette magique du maestro, visiblement heureux et virevoltant. Hatem Ben Amara, en présentateur, retraça l'histoire de cette troupe et présenta les artistes venus « gratuitement », de leur plein gré, moins pour saluer l'âme de Kallel que pour soutenir Ayadi. Il est vrai que les rapports de ce dernier sont très forts avec les chanteurs : Zouhaira Salem, Soulef, Hassen Dahmani, Belghith Sayadi, Mounir Mehdi, Najha Jamel et autre Raouf Abdelmajid, et ce, depuis toujours. Nous n'allons pas faire une évaluation artistique de cette soirée, mais constatons que la présence très chaleureuse du public (averti) montre à quel point la chanson tunisienne a besoin de ses hommes, de tous ses hommes. Abderrahmane Ayadi jouit d'une admiration et d'une grande confiance ; ses œuvres en témoignent. Compositeur de talent, il a été à l'origine de la carrière de feue Dhikra (Ila hodhni ommi) et de certaines chansons de Amina Fakhet dont (inta mouradi) ; sans parler des grands spectacles sur la scène de Carthage et ailleurs. Comme tous les fans de la chanson tunisienne, nous nous réjouissons de ce retour. Nous le soutiendrons, comme nous soutiendrons tout projet de tout autre compositeur. Mais nous sommes en droit de dire que nous sommes excédés par ces reprises de chansons mâchées et remâchées à en perdre le goût sous prétexte de relecture musicale, aussi géniale soit-elle. Fêter Hédi Kallel et par là Ridha Kalai, soit ! Mais un élan créateur est plus que vital, désormais, pour redonner goût aux jeunes qui désertent cet art. Il y va de la vie même de la chanson tunisienne. Ayadi est un compositeur-créateur doué, et un maestro qui sait découvrir de nouvelles voix. C'est à ce titre que nous suivrons ses pas. Alors, bonne chance à la troupe retrouvée et à son directeur qui a hâte de se mettre au travail.