Taïeb Baccouche : « Si la coopération avec la partie libyenne échoue dans ce dossier, nous saisirons la Cour pénale internationale » A l'occasion de la séance plénière d'hier, le président du groupe des sociaux-démocrates, Iyed Dahmani, a adressé une question au chef de la diplomatie, Taïeb Baccouche, autour du sort encore mystérieux des deux journalistes Soufiène Chourabi et Nadhir Ktari, enlevés dans l'Est de la Libye il y a neuf mois. « Qu'a fait l'Etat tunisien ? Le flou autour du dossier n'est-il pas lié au flou dans les relations avec les parties libyennes ? N'est-il pas une résultante d'un échec à la fois de renseignements et de diplomatie ? », a demandé le député. Loin de défendre les efforts de la diplomatie tunisienne sur ce dossier, le ministre des Affaires étrangères, lors d'une réponse de près de trente minutes, a fait porter le poids de la responsabilité au gouvernement précédent, celui de Mehdi Jomaâ. Selon lui, la cellule de crise formée plus d'un mois après le signalement de la disparition était composée de personnes incompétentes en matière de crime terroriste. « J'ai consulté les procès-verbaux des réunions tenues par ladite cellule, et je me suis rendu compte que ces personnes n'avaient rien fait d'utile concernant l'affaire », a fustigé le ministre. Tir à boulets rouges Selon le chef de la diplomatie tunisienne, son prédécesseur aurait traité le dossier avec une certaine légèreté et se demande pourquoi les téléphones portables des deux disparus n'ont pas été tracés à temps, c'est-à-dire quelques jours après l'enlèvement des deux journalistes. Il s'interroge également pourquoi l'Agence tunisienne d'internet (ATI) n'a pas été mise à contribution dans ce dossier, surtout qu'elle avait la possibilité de tenter de localiser les disparus grâce à leurs comptes « Facebook ». En effet, après une première arrestation le 4 septembre 2014 à l'est de la Libye, les deux journalistes avaient fait usage à plusieurs reprises de leurs téléphones et des réseaux sociaux. Rien non plus n'a été entrepris auprès des chancelleries amies et partenaires de la Tunisie dans la guerre internationale contre le terrorisme. Ceux-ci disposent de moyens plus sophistiqués qui auraient permis de fournir des informations à la partie tunisienne. « Les autorités à l'époque s'étaient contentées de traiter avec les diplomates libyens établis en Tunisie, accuse le ministre. A notre arrivée aux affaires, nous avons tout de suite rétabli les relations avec les gouvernements de Tobrouk et de Tripoli ». Rôle de la chaîne française Taïeb Baccouche s'interroge aussi sur le rôle joué par l'employeur de Soufiène et Nadhir, la chaîne First TV, que le ministre tient à préciser que « c'est une télévision française dirigée par un Tunisien ». Selon lui, la direction de la chaîne, et malgré les mises en garde du gouvernement tunisien contre les déplacements dans les zones à risque, n'a pas informé les autorités tunisiennes de l'envoi de ces deux journalistes en mission «d'investigation». Ce qui intrigue notamment Taïeb Baccouche, c'est cet employeur qui refuse jusqu'à présent de coopérer avec les autorités tunisiennes. Le ministre des Affaires étrangères assure néanmoins que son gouvernement prend au sérieux le dossier et espère, d'ici la fin du mois, établir la vérité sur le sort des deux journalistes. « Le problème majeur, dit-il, est que les versions émanant parfois des mêmes sources sont contradictoires », et il ajoute : « Nous ne traitons pas avec un Etat, ni même deux Etats, mais avec deux gouvernements régnant chacun sur une partie, géographique du territoire libyen ». Le juge d'instruction envoyé en Libye pour interroger les terroristes arrêtés en Libye a, semble-t-il, trouvé beaucoup de difficulté pour faire son travail. Manque de confiance «Les détenus ont affirmé au juge d'instruction qu'ils ont été témoins de l'exécution par Daech des deux journalistes qui auraient été enterrés dans une ferme », a déclaré le ministre tout en indiquant qu'il ne prenait pas ces aveux pour de l'argent comptant puisque « jusqu'à présent, nous avons encore des informations selon lesquelles les deux journalistes seraient en vie ». «Si la coopération avec la partie libyenne échoue dans ce dossier, nous saisirons la Cour pénale internationale », a menacé le ministre. Pour la partie tunisienne, l'enlèvement et la séquestration de ressortissants tunisiens est un crime international. Le ministre ne prend pas non plus très au sérieux les affirmations de la partie libyenne, qui affirme que la soixantaine (ou plus) de Tunisiens enlevés récemment allaient être libérés ce soir (hier soir) car, dit-il, « je n'ai plus confiance en les promesses des Libyens ». Une dernière déclaration qui fait réagir un certain nombre de députés à la sortie de l'hémicycle. Pour eux, ce genre de déclarations est maladroit dans pareilles situations. Iyed Dahmani, de son côté, a déclaré que si le gouvernement piétine encore dans ce dossier, l'opposition se saisirait du dossier en formant une commission d'enquête spéciale, conformément aux dispositions du règlement intérieur de l'Assemblée.