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Habib Ayadi : Les décrets-lois : un régime juridique mal maîtrisé
Publié dans Leaders le 12 - 10 - 2015

Depuis la révolution, la Tunisie a multiplié le recours aux décrets-lois. Le rythme s'en est même accéléré brutalement après l'entrée en vigueur du décret-loi du 23 mars 2011 portant organisation provisoire des pouvoirs publics.
Cependant, même si le juge administratif – en matière de décret-lois sur habilitation – a atteint un degré d'achèvement technique qui en fait un véritable système en droit, il n'en est pas de même pour les textes pris sur la base du décret-loi du 23 mars 2011, qui demeurent, au niveau juridique, marqués par l'équivoque et l'imprécision. Aussi une distinction doit-elle être opérée entre ces deux modes de décrets-lois.
I-Le législateur seul détenteur du pouvoir d'autoriser le recours aux décrets-lois
1) Le cadre constitutionnel de l'habilitation
Sous réserve du régime spécial de l'article 31 de la constitution de 1959, c'est son article 28 qui permet au gouvernement de prendre, en conséquence d'une habilitation législative, des décrets-lois. Le gouvernement peut alors intervenir dans des matières législatives non encore légiférées, d'abroger ou de modifier des lois en vigueur.
Toutefois, ces décrets-lois sont des actes administratifs, de même nature que les décrets. De ce point de vue, ils sont une consécration de l'exercice, dans des conditions particulières, du pouvoir réglementaire général. Ils conservent la qualité d'actes administratifs jusqu'à leur approbation par les assemblées. Ils deviennent néanmoins caducs, si les assemblées n'ont pas été saisies dans les délais prescrits du projet de loi de ratification. Cela signifie, selon le Conseil constitutionnel français, qu'ils disparaissent de l'ordonnancement juridique qui se trouvera rétabli dans son état antérieur. La même conséquence résulterait d'un refus des assemblées de ratifier les décrets-lois. Il en résulte que les décrets-lois pris en application de la loi d'habilitation du 9 février 2011, sont maintenant caducs, si le projet de leur approbation n'a pas été présenté aux chambres avant leur dissolution.
Au-delà de cette définition et parce que ce pouvoir ne s'exerce pas isolément, le juge administratif articule ce pouvoir avec d'autres notions, notamment celle de compétence qui est classiquement appréhendée comme l'habitude d'une autorité administrative à prendre une décision ou à faire un acte, dans les limites du délai d'utilisation du pouvoir. Pour le juge, la compétence a un pendant : l'incompétence qui peut être définie comme le défaut d'aptitude légale à accomplir l'acte déterminé.
La compétence entraîne, pour le gouvernement, le pouvoir de faire certains actes juridiques dans les limites prévues par la loi d'habilitation.
2) Une décision irréprochable : celle du 8 juin 2015.
Rendue dans un climat passionnel, la décision du 8 juin 2015, annulant le décret-loi du 14 mars 2011, n'a pas manqué de connaître un retentissement inhabituel. Annulant un décret-loi du président de la République intérimaire, décidant la confiscation des biens de la famille déchue et de certains dirigeants, fut considérée comme une prise, politique et exploitée comme telle.
Rien n'indique pourtant que cette décision porte la marque de ces passions. Le juge est resté fidèle à des principes traditionnels du juge administratif (en France) depuis plus de cinquante ans.
La décision pose clairement le principe bien établi, selon lequel les lois d'habilitation accordent au président de la République le droit de prendre, dans les limites qu'elles précisent, des décrets-lois qui conservent, en attendant leur approbation par les assemblées, leur caractère d'acte administratif et pouvaient donc être attaqués devant le juge de l'excès de pouvoir.
Bien entendu, on pourrait ne pas être d'accord avec la solution donnée à l'espèce par le juge. Pour le juriste, cependant, la question ne peut porter que sur l'analyse et l'appréciation juridique des divers éléments du raisonnement suivi par le juge. A recenser ces éléments, il apparaît que le juge administratif a été guidé par des principes qui de longue date, gouvernent sa jurisprudence. On connaît les réactions provoquées par cette décision chez les politiques, et également l'émotion suscitée par ces réactions, elles-mêmes, chez beaucoup de juristes qui ont exprimé, avec suffisamment de justesse, qu'une telle attitude de la part des politiques conduit à l'appauvrissement de l'Etat de droit, et porte atteinte à l'indépendance du juge administratif.
Avec le recul et en fonction de l'analyse du décret-loi du 14 mars 2011 et de la jurisprudence du juge administratif, il paraît clair que ce texte, qualifié abusivement de décret-loi, est en réalité un simple décret, pris par le président intérimaire, dans le cadre des pouvoirs qui lui sont reconnus par l'article 53 de la constitution de 1959.
En effet, ce décret-loi ne comporte dans ses visas aucune référence aux articles 28 et 31 de la constitution, ni d'ailleurs à la loi d'habilitation du 9 février 2011. C'est un simple décret illégal, parce qu'il empiète sur un domaine réservé au législateur. Il peut être attaqué devant le juge administratif par voie d'action (dans les limites du délai d'excès de pouvoir) ou par voie d'exception (délai perpétuel).
3) Validation de ce décret.
Cela étant, le principe est que les parties sont tenues par la chose jugée. Aucune considération relevant de l'opportunité ou du droit, aussi sérieuse, ne peut justifier l'inexécution de la chose jugée. Seul le législateur peut libérer l'administration d'exécuter la chose jugée. Son intervention, lorsqu'elle se produit, est destinée à libérer l'administration de l'exécution des jugements d'annulation, en procédant à la validation à effets rétroactifs, propre à supprimer cette obligation.
Le législateur, peut donc intervenir (avant l'arrêt d'appel) pour valider ce décret, à condition que la nouvelle loi ne méconnaisse aucune règle, ni aucun principe de valeur constitutionnelle.
II- Le décret-loi du 23 mars 2011 portant organisation provisoire des pouvoirs publics
Une semaine après l'expiration de la période transitoire, prévue par l'article 57 et en l'absence des recours à l'article 39 de la constitution de 1959, et normalement son retour à ses fonctions de président de la chambre des députés, le Président de la République intérimaire a pris le 23 mars 2011 un décret-loi, lui confiant le titre de Président intérimaire de la République, et le chargeant de l'élaboration et de la promulgation de la loi, après délibération en conseil des ministres. Il a décidé également la dissolution des Assemblées des députés et des conseillers, le Conseil économique et social ainsi que le Conseil constitutionnel.
Ainsi, la question qui se pose est de savoir si, un gouvernement, qui procède directement des circonstances, et qui ne peut se réclamer d'aucun titre constitutionnel, se place nécessairement et radicalement hors du droit.
1) Effets juridiques des révolutions
Il y a des questions qu'on ne peut poser sans courir le risque d'être considéré comme un abstracteur de quintessence. La révolution tunisienne du 14 janvier est de ce nombre. Quelle soit présentée comme un simple soulèvement, ou une revole ou une véritable révolution, elle trouve sa logique dans la loi de l'histoire : la transformation et le perfectionnement continu des sociétés et par là même des institutions.
L'histoire la plus récente nous offre trois exemples de révolution. Cette situation peut se produire selon des modalités bien différentes.
* La révolution appelée partielle ou strictement politique, dont but est de transformer le statut des gouvernants, de manière à rendre plus étroit le contact entre l'idée de droit et ceux qui ont la charge d'en assurer la pénétration dans le droit positif. A cette fin, la compétence du peuple et le fondement constitutionnel de l'autorité des organes de l'Etat subiraient très souvent une transformation.
* La révolution totale implique de son côté un changement de l'ordre social et affecte profondément l'organisation économique, sociale et politique. Plus concrètement, elle implique une réorganisation des rapports essentiels entre l'individu et la société, le capital et le travail, la répartition du produit social, etc. Pour les tenants de cette modalité, il est impossible d'obtenir une réforme profonde des structures économiques, sociales et politiques par les moyens de la démocratie libérale, et l'établissement d'une dictature provisoire ou à défaut une période transitoire est nécessaire.
* La révolution « des révoltés » qui a pris naissance dans la société industrielle et de consommation, principalement par les jeunes qui refusent de s'engager dans la voie que leur trace ces sociétés. L'histoire montre que chaque type de société industrielle porte en lui le gêne de sa propre révolution. Ainsi et au départ, les étudiants révoltés de France en mai 1968 où l'exigence de liberté était devenu l'élan révolutionnaire. Le mouvement s'est propagé ensuite au Japon, en Allemagne, USA, Brésil, etc.
2) La nature politique de la révolution tunisienne de 2011
Le problème qui se posait en Tunisie, au moment de la révolution, est que le Président intérimaire et son équipe ne s'installent pas, selon l'article 57 de la constitution de 1959, pour accomplir une révolution totale, mais au contraire pour assurer la continuité de l'Etat, et de procéder dans le délai de soixante jours à l'élection d'un Président de la République, qui aura pour charge de réintégrer dans l'ordre juridique, l'idée de droit que le régime déchu a exclu. Par ailleurs, l'article 39 de la Constitution de 1959 autorise le Président en exercice à proroger son mandat, en cas d'impossibilité de procéder à l'élection d'un président en temps utile, pour cause de guerre ou de péril imminent. Le mandat du président en exercice est alors prorogé par une loi, adoptée par la chambre des députés, et ce, jusqu'il soit possible de procéder aux élections. La guerre en Lybie et plus particulièrement l'affluence en Tunisie d'un grand nombre de réfugiés, répondaient bien aux conditions prévues par l'article 39. Mais pour des raisons jusque là inconnues, le Président intérimaire a choisi de renier son serment et de dissoudre les chambres des députés et des conseillers, rendant ainsi tout intérim impossible.
1- Sortie du président de ses compétences.
La question est incontestablement grave. Elle est de savoir si le Président intérimaire, à travers des mesures prises par le décret-loi précité, n'est pas sorti de son domaine de compétence ?
Dans un Etat de droit, les règles relatives au statut du pouvoir se ramènent à ceci : d'une part que l'autorité des organes de l'Etat ne peut s'exercer valablement qu'en vertu d'un acte d'investiture, accompli conformément à la Constitution, d'autre part, que les gouvernements ne peuvent remplir leurs attributions et mettre en œuvre leur puissance étatique que suivant les formes et les conditions de la Constitution et de la loi.
Ces principes constituent la légitimité nouvelle de l'Etat de droit, remplaçant celle des monarques et des régimes autoritaires.
Plus concrètement, pour ne pas qualifier d'usurpation l'établissement d'un gouvernement, il importe, et c'est essentiel que les règles constitutionnelles soient respectées et que le pays soit régulièrement consulté.
Telle est la procédure adoptée par la Constituante de 1956. En effet, la résolution de cette assemblée en 1957, mettant fin au régime beylical, précise dans son article 3 « que la charge de chef de l'Etat dans les conditions actuelles jusqu'à l'entrée en vigueur de la nouvelle constitution et lui confère le titre du Président de la République ». Il y a donc un abime entre cette procédure et celle retenue par les auteurs du décret-loi du 23 mars 2011.
La thèse du « consensus » révolutionnaire, avancée pour donner un fondement à ce décret-loi, ne trouve appui dans aucune règle ou principe constitutionnel.
Le terme « consensus » est vague. Il est d'ailleurs nécessaire qu'il en soit ainsi pour que les hommes politiques puissent s'en prévaloir, car sans consensus, leur pouvoir sera affecté par toutes les défiances provoquées par l'absence de légitimité. Au surplus, admettre cette thèse, c'est accorder à une poignée le droit de légiférer.
Quand à l'idée de légitimité des gouvernements « de fait » par la nécessité primordiale de l'ordre, elle ne vaut qu'en cas de vacance du pouvoir ; elle est dépourvue de valeur, lorsqu'il s'agit d'un gouvernement qui se substitue à lui-même.
2- Du gouvernement irrégulier à un gouvernement de fait
Assurément, il est conforme au principe démocratique que les gouvernements soient à l'écoute de l'opinion, pour orienter en conséquence leur politique, surtout lorsqu'ils agissent sous la pression d'une poussée révolutionnaire. Il est admis alors qu'on n'a pas à prendre en considération la manière dont s'est imposé ce gouvernement. Qu'il soit issu d'un coup d'Etat ou d'une minorité révolutionnaire, ce qui caractérise un tel gouvernement, c'est l'expression claire des impératifs du nouvel ordre social, économique et politique à établir.
Dans les premiers moments, ce gouvernement qualifié « de fait » reste toujours illégal. Mais si l'action révolutionnaire, dont il stimule l'élan, trouve vraiment son inspiration dans les idées nouvelles, alors une légitimité profonde viendra recouvrir l'illégalité originaire, et donner finalement naissance à une légalité nouvelle. Ce gouvernement peut alors dissoudre les assemblées et instituer une nouvelle légalité…
La nouvelle équipe dirigeante, établie après le 23 mars 2011, n'a de raison d'être que dans la mesure où elle crée largement un droit nouveau qu'exprime les attentes et les rêves de ceux qui étaient, sous le régime déchu, exclus des centres du pouvoir, et pour lesquels la révolution est beaucoup moins la conquête du pouvoir que l'introduction dans le mode de vie de la société civile, de valeurs nouvelles.
Se cantonner dans l'accomplissement des actes de pures politiques et administratifs, c'est dénaturer le sens même de la révolution. Plus concrètement, si les conceptions nouvelles de la vie collective (sociale, économique, politique) font défaut, ce n'est pas de la révolution qu'il faut parler, mais de simples comportements d'une équipe, se parant des privilèges de la révolution, pour mieux l'ignorer.
Quant à savoir si la nouvelle équipe dirigeante constitue effectivement un gouvernement révolutionnaire, la question n'a d'ailleurs qu'une signification politique et le problème ne pose qu'une question de fait.
Il existe, cependant, une triple constatation : constater d'abord que ce gouvernement n'a aucun fondement constitutionnel, l'effectivité de l'autorité qu'il a exercée et enfin l'absence totale dans ses choix politiques de toute action relevant d'une pensée révolutionnaire.
- Avec le décret du 23 mars 2011, l'équipe au pouvoir doit avoir une autorité fondée juridiquement, car cela est indispensable pour garantir un minimum de stabilité juridique. Malheureusement, il n'en est rien. On a assisté, dès le départ, avec ce gouvernement, à un resserrement des pouvoirs au niveau de quelques personnes. La séparation des pouvoirs, que l'on a coutume de considérer comme la pierre angulaire de la démocratie et de la liberté, est supprimée : les fonctions législatives et exécutives sont exercées par une minorité. La Constitution qui opère le partage entre les pouvoirs et lui donne une réalité de fait, parce qu'elle est au dessus des pouvoirs, a cessé d'exister …
On est conduit à s'aligner sur la thèse soutenue par certains auteurs qui, impressionnés par un gouvernement, se formant en dehors de toute investiture régulière, inclinent à ne lui reconnaître qu'une compétence limitée. Celle-ci se ramène à l'expédition des affaires courantes.
Par ailleurs, cette équipe gouvernementale se caractérisait, avant même que toute consultation régulière du peuple soit organisée, par une activité législative et réglementaire considérable. Le gouvernement était réel, c'est-à-dire capable de prendre des décisions et de poursuivre leur exécution.
Cette obéissance du peuple (par conviction, résignation ou indifférence) ne légitime pas pour autant le pouvoir du gouvernement. Elle ne crée pas non plus l'autorité juridique du gouvernement. En effet, entre l'adhésion du peuple et l'autorité du pouvoir, il n'y a pas un rapport de causalité. Il y a un simple parallélisme des fins, dès lors que, quelles que soient les circonstances de son établissement, ce gouvernement ne peut être légitimé et qualifié de révolutionnaire que par une action politique visant une rupture avec l'ordre juridique, économique et social qui était en vigueur. C'est l'adhésion à ces idées nouvelles qui confirme la légitimité de l'équipe gouvernementale.
On ne peut alors songer à attribuer à un tel gouvernement la qualification de révolutionnaire ou même de gouvernement de fait, dès lors qi'il a mis l'accent seulement sur les aspects politiques, ignorant du coup totalement les impératifs de la vie collective.
Le fondement juridique que ce gouvernement trouve dans la légitimité de la révolution qu'il a acceptée et qui conditionne l'étendue de sa compétence a fait totalement défaut ; son pouvoir doit se limiter à l'expédition des affaires courantes. En prenant en considération l'idée que dans un ordre juridique, la suprématie du droit n'est établie que si une hiérarchie des normes est assurée. En Tunisie, cette hiérarchie repose sur une conception formelle de la norme. Ainsi, la constitution étant établie par le pouvoir constituant, sa suprématie exprime la hiérarchie des règles découlant de la hiérarchie des organes.
En plus clair, c'est parce que le pouvoir constituant se trouve au sommet de la hiérarchie des organes que les normes qu'il édicte sont supérieurs aux autres.
Edicté par un Président de la République, qui n'a ni titre constitutionnel ni titre juridique, le décret-loi du 23 mars 2011 - de caractère constitutionnel - n'a pas sa place dans l'ordonnancement juridique. Il en est de même des décrets-lois ayant comme fondement ce décret-loi fondateur. Le président aurait été mieux inspiré juridiquement s'il avait soumis ce décret-loi au peuple.
-Le manquement de la Constituante à ses obligations
Ce qui est encore plus grave, c'est que la loi constituante du 16 décembre 2011, censée mettre fin à ce désordre juridique, l'a encore aggravé. Un principe admis par la jurisprudence et la doctrine reconnaît qu'il existe une solidarité entre un gouvernement irrégulier et son successeur légal, et que ce dernier, doit donner pleine validité aux actes du prédécesseur, dès lors que les deux gouvernements se réclament de la même conception de l'ordre juridique. Ce qui est manifestement le cas du gouvernement de la Troïka et les gouvernements qui leur sont succédés.
Au niveau pratique, on peut admettre que la loi du 16 décembre 2011, en visant le décret-loi du 23 mars pour l'abroger ensuite (article 27), a approuvé ce texte et lui a donné valeur juridique. Mais cette loi est restée muette quant au sort réservé aux décrets-lois pris sur la base de cet acte fondateur.
A plusieurs reprises, la constituante a été invitée à régulariser cette situation. Précisément, suite à l'abrogation du décret-loi du 23 mars, une question reste posée, à savoir celle des décrets-lois pris sur la base du texte abrogé. A priori et au niveau juridique, il faudrait admettre que faute d'une approbation explicite par la constituante, l'incompétence de l'autorité ayant pris les divers textes rejaillirait sur leur anéantissement. Il paraît cependant aventureux, au regard du principe de sécurité juridique, de considérer que l'abrogation du texte fondateur aurait pour corollaire, nécessaire et systématique, la disparition de tous les autre textes. Il pèse alors sur la constituante de régulariser cette situation.
Mais, les constituants, sourds à ces recommandations, n'ont pas cru nécessaire d'assumer leurs obligations. C'est donc à la nouvelle assemblée d'exécuter cette obligation en requalifiant de lois à effets rétroactifs ces décrets-lois, avec la précision que les nouvelles lois ne doivent méconnaître aucune règle ni aucun principe de valeur constitutionnelle. A défaut, il fallait se contenter de la procédure d'approbation.
Habib Ayadi
Professeur émérite à la Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis II


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