Me Yahyaoui, coordinateur général du Mouvement dignité et développement (MDD) qui a tenu à associer Me Fethi Trabelsi, l'un des membres-fondateurs de son parti, à l'interview, a voulu signifier que le plus dur, dans l'action politique à venir, sera de parvenir à la logique du nouvel Etat que tous les Tunisiens attendent avec impatience. Comment jugez-vous le paysage politique de l'après-Ben Ali alors que les partis prolifèrent ? J'estime que la situation actuelle souffre de l'absence de légitimité. Jusqu'à présent, nous ne sommes pas parvenus à passer de la mentalité du pouvoir à celle de la Révolution et ceci rendra difficile la transition démocratique qui est le passage de la Révolution à l'Etat. Quant à la prolifération, je trouve qu'elle est normale et saine au regard de la situation transitoire. La psychose à propos des mouvements islamistes en général et du Mouvement Ennahdha en particulier vous semble-t-elle justifiée ? Tout cela prend sa racine dans le manque de connaissance et de dialogue. Les mouvements islamistes, dont Ennahdha, sont responsables dans la mesure où ils n'ont pas présenté de vision intellectuelle qui répond aux appréhensions du public. Quant à l'Intelligensia, elle doit faire l'effort de chercher à savoir et comprendre, sans arrière-pensée, les nouveautés greffées au nouveau discours islamiste. Certains partis actuels vous semblent-ils assez proches pour nouer une coalition? Je pense que les coalitions partisanes sont difficiles en Tunisie, contrairement aux coalitions électorales. Le paysage politique tunisien manque encore d'objectivité et se trouve très influencé par les questions purement personnelles. Je pense cependant que la prochaine coalition électorale ne se fera pas sur la base d'une assise idéologique, par exemple Ennahdha pourrait se lier avec le POCT... Le MDD, notre parti, pourrait également se lier aussi bien avec Ennahdha qu'avec le POCT. Estimez-vous que la parité de représentativité proposée pour l'Assemblée constituante devrait être reprise dans les instances des partis politiques? Par principe, je suis contre les quotas de toutes sortes car cette parité imposée est une «humiliation» pour les femmes. La femme tunisienne mérite aujourd'hui les meilleures positions mais il faut qu'elle le fasse de manière naturelle et non «commandée». Je suis convaincu que si nous lui ouvrons simplement les portes, elle trouvera le moyen de s'imposer. Je voudrais également souligner que la Haute Instance pour la réalisation des objectifs de la Révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique, à cause de sa constitution, a abordé la réforme politique dans une logique de féodalité intellectuelle et politique. Le MDD aurait souhaité que cette instance soit plus représentative. Quant à la loi électorale, nous voudrions qu'elle soit organisée sur la base des personnes et dans de petites circonscriptions car, avant le 14 janvier, nous n'avions pas une vie politique saine qui aurait permis aux Tunisiens de connaître les acteurs politiques. L'exemple turc finira-t-il par transparaitre en Tunisie? La réussite de l'expérience turque, surtout sur le plan économique et stratégique, lui ouvre les portes d'une présence auprès de tous les pays arabo-musulmans comme modèle qui a réalisé la symbiose entre l'identité et la modernité. Et Bourguiba? Je pense qu'il serait intelligent de ne pas reproduire le bourguibisme car c'est lui qui a produit le système totalitaire: son modèle a fini, par ricochets, par donner naissance au phénomène Ben Ali. Cependant, nous pouvons tirer tout bénéfice de ses politiques en matière d'éducation, de santé et dans le domaine de la famille et de la femme. Manoubi AKROUT Du côté de la pensée des lumières Le Mouvement Dignité et Développement réunit en son sein des avocats, des médecins, des hauts fonctionnaires... avec un projet qui se place dans la vision du mouvement islamiste turc AKP, à cette différence près qu'il est en phase avec la réalité tunisienne. Leurs lectures s'inspirent directement de penseurs modernes du monde arabo-musulman comme Mohamed-Abed el Jabiri, Hassan Hanafi, Mohamed Arkoun, Hichem Jaïet... pour signifier qu'ils sont, en vérité, des progressistes qui se situent du côté de la pensée des lumières dans la culture arabo-musulmane, ses valeurs et sa moralité universelles. Ce souci de clarté vient du fait que la conception qu'ont en général les Tunisiens des mouvements islamistes est fortement empreinte de suspicion et M. Yahyaoui en convient, jouant à fond la carte de la transparence.