A l'aube de l'indépendance avaient fleuri des festivals où l'on avait le sentiment de voir coïncider le jeu dramatique avec le jeu même de l'histoire. Le spectacle théâtral était alors le pivot incontournable des réjouissances. Dans l'esprit des promoteurs de cette politique culturelle, notamment Chedly Klibi et surtout, un peu plus tard Béchir Ben Slama, le théâtre devait éduquer, instruire, évidemment divertir, mais renvoyer plus à ce que Habermas appelle « la culture discutée » par opposition à la « culture consommée ». L'aspect pédagogique n'était donc pas occulté. Ce qui devait concourir à consolider l'affirmation d'une forme populaire d'intelligente sociabilité. Mais il faut reconnaître que cette politique a fini par s'essouffler ; pour différentes raisons elle n'a pas su résister à la pression de l'histoire. Essayons d'en cerner les causes .A l'ère bourguibienne a succédé sur le plan de l'animation culturelle, une époque totalement hédoniste privilégiant l'amusement facile. On a même pu observer la curieuse mutation du Comité Culturel National présidé naguère par Lamine Echebbi (frère du célèbre poète Aboulkassem) en une sorte de studio d'impresarii pour recruter les petites starlettes de l'Orient, afin de remplir ces espaces naguère dévolus à la création, et transformés en cafés chantants sans omettre le souci d'égayer les soirées de mariage de l'oligarchie régnante. Les festivals d'aujourd'hui n'ont toujours pas su retrouver le souffle d'antan. La notion de développement culturel implique dorénavant le dépassement d'une animation réservée à une élite festivalière, comme cela a été le cas sous l'ère de Ben Ali et même après le soulèvement du onze janvier 2011 où l'on a constaté la poursuite de la même politique des différents ministres de la Culture post soulèvement .Imperturbables ces dits ministres ont poursuivi la stricte même politique que celle des ministres de la Culture du régime révolu. Pas de vague, on continue à ramer imperturbablement à contre-courant de l'histoire. Il n'est plus seulement question de l'offre artistique qu'il faut revoir mais d'une action globale qui doit viser à insérer la culture au cœur de la société, dans la vie quotidienne des gens. A titre d'exemple : aiguiser la sensibilité des enfants aux œuvres d'art, revivifier le théâtre scolaire, aller au devant du public des adultes, maîtriser le cadre de vie et les techniques audiovisuelles pour les tourner vers ces objectifs. La notion de développement culturel implique le dépassement d'une animation réservée à une minorité de festivaliers estivants. Elle implique au contraire l'extension de la culture à tous et d'abord à ceux qui sont victimes d'inégalités résultant du niveau d'instruction, du niveau de vie, de l'habitat, car ce sont ces défavorisés qui subissent le plus fortement les contraintes d'un système appauvrissant, dépersonnalisant et se trouvent en situations d'objets passifs ou de spectateurs ahuris. Souvenons nous des copains du terroriste qui s'était fait sauter avec les douze martyres de la garde républicaine .Aux journalistes qui étaient venus les voir pour en savoir un peu plus sur le milieu ,l'habitus du terroriste, ils ont déclaré qu'il souffraient de deux inconvénients : le chômage et le manque d'activités culturelles ! A bon entendeur salut. Mais y-a-t-il d'entendeur ? La culture ne se décrète pas, elle se construit, se vit et se réinvente dans une pluralité de pratiques sociales .C'est ce que n'ont pas su saisir les divers ministres de la Culture post-soulèvement. La légitimité d'une politique publique de la culture ne peut pas être posée à jamais ; elle relève d'un travail de définition permanent auquel participent les responsables politiques, les intellectuels, les enseignants, les acteurs du monde des arts et de la culture. Elle suppose une philosophie d'action prêtant un sens et des finalités à un ensemble de mesures nécessaires. Pour ce faire le ministère de la Culture actuel doit prioritairement faire une véritable révolution interne ; revoir ses rouages, ses structures surannées datant de l'ancien régime. Le lamentable et non moins cuisant échec des Journées Cinématographiques de Carthage et l'accueil, plutôt mitigé, de celles dites théâtrales ne sont que le douloureux reflet du mode du fonctionnement des services de ce ministère qui se sont bureaucratisés jusqu'à la caricature... A quand un assainissement salutaire ? Ne pas omettre l'idée largement partagée que la politique publique de la culture participe de la construction de la République et de la démocratie. M.K.