Cette imposante exposition est organisée par la Maison des Arts du Belvédère. Samah Habachi, directrice de cette maison est passée maître dans l'organisation des rétrospectives croyant que toutes les rétrospectives se valent. Comme toutes les rétrospectives, celle d'aujourd'hui est vouée à rendre hommage au décorateur Ismaïl Ben Fredj et à ses activités d'enseignant et d'artiste. Cet événement est l'occasion, en principe, pour « l'hôte » du Centre, de nous livrer, nous montrer l'essentiel de son œuvre, sa trajectoire et ses différentes stations artistiques ainsi que son point d'arrivée d'une présence active de près de cinquante ans d'art et de décoration. La « Maison des Arts » a prévu également, la publication d'un catalogue pour marquer l'événement. Le catalogue voué à Ismaïl Ben Fredj comporte quelques témoignages dont celui, franc, incisif et court de Samir Triki. Ismaïl Ben Fredj, en général, peu loquace, reconnaît tout en verve confidentielle, qu'il crée pour échapper quelque peu à une angoisse précoce de la mort. Cette confidence existentielle peu habituelle chez I.Ben Fredj ne l'a pas empêché d'énumérer allègement et immédiatement après, ses sublimations réussies et les succès, rencontrés durant sa carrière d'architecte d'intérieur, son épais carnet de commande (banques, hôtels...) et de ses savoir-faire artistiques en mosaïque, en céramique et également ses savoirs théoriques dans l'élaboration d'une thèse de doctorat...etc. L'hommage que Ismaïl Ben Fredj rend à lui-même, est à l'évidence, quelque peu proche de la mégalomanie, de la prétention et tantinet, provocatrice. Ben Fredj, que nous apprécions depuis les années 60 à Paris, ne cache pas toutes ses qualités... n'aime pas la modestie... la modération et surtout n'aime pas passer inaperçu ! Qu'en est-il de son art... Qu'en est-il de cette exposition ? Cette exposition exauce ses vœux parce qu'elle est à sa mesure ! La décoration En plus du caractère exhibitionniste, l'événement comporte un travail intéressant à examiner sérieusement. L'exposition, en elle-même, est dichotomique. Elle comporte une approche décorative et une autre purement picturale (peinture, dessin,....) et compte un très grand nombre de travaux, tous aussi de grand format, les uns que les autres, souvent réalisés en 2017. La rétrospective est actualisée... Elle est très actuelle ! Elle est composée de travaux de peinture à l'huile, à l'acrylique, des œuvres de gouache, de dessin sur toile, des plages entières de plaques d'arabesques entrelacés, combinés à des représentations figurées toutes en énigmatiques, signes, graphismes tarabiscotes reprenant l'esprit décoratif des arabesques, les signes calligraphiques nous rappelant le travail d'antan de Adel Megdiche. Ce travail est aussi présent dans certaines réalisations purement picturales (nous ne reprenons pas certaines rumeurs sur l'utilisation dans ces travaux de la technique du Photoshop). Tout cela est réalisé dans l'esprit des grandes fresques monumentales très souvent décoratives, fixes et plates. Les thèmes arabesques, les graphismes de la céramique (au marché africain), sont omniprésents dans les travaux récents (de 2014 à aujourd'hui). Les personnages sont « plaqués » et sont collés aux fresques et sont traités comme fixés au support. Tout ce travail est hiératique et ne signifie aucune continuité ni rupture, ou s'il y a rupture, elle n'est pas perceptible. Tout ce travail est un travail de fresque... en somme, très plaisant et résultant d'une approche, de dextérité, de patience et de précision mécanique au niveau de la distribution des graphismes et des couleurs. Ben Fredj les a certainement réalisés pour nous faire plaisir, un plaisir pour les yeux et à ce titre, Ben Fredj réussit son pari de décorateur... de technicien décorateur. La peinture La peinture déployée dans cette exposition semble être plus « historique » ! Que la « décoration picturale » plus récente. Cette peinture colle plus que la décoration à un cursus plus précis avec des dates et des démarches différenciées et à ce titre elle est davantage éclectique et plus problématique que la décoration. Evidemment, l'image produite est celle d'une évolution continue de ses différentes expériences et n'est pas homogène et ceci au niveau aussi bien du style, de la technique, de l'inspiration que de l'impression. Le tableau-fresque de 1982 (2000x1100 m), intitulé « l'arrêt du bus un jour de pluie », composé frontalement, est une représentation d'une foule compacte, serrée. L'espace libre est occupé par la pluie reflétée par les lumières. Cette partie reflétée en bas de la toile, dynamise la toile et réduit la fixité de la représentation, Ben Fredj était alors capable de peindre une oeuvre réaliste, critique sociale du système de transport inadapté de l'époque ! Cette dimension sociale a disparu depuis 1982 dans le travail de Ben Fredj. Les travaux sur les hammams de 1989 semblent être en répression par rapport aux travaux de 1982, du point de vue de la représentation de plus en plus tirée vers l'orientalisme folklorique, ethnologique teintée de naïvisme. La représentation des femmes (Hammam N'sa), reprend l'iconographie de Botero, sans restituer l'esprit débonnaire, critique de ce grand peintre. Les femmes de Ben Fredj sont grosses, sans grâce aucune ! Les autres réalisations, celles de 1995, adoptent une nouvelle iconographe. La figure disparaît et les registres auxquels le peintre se réfère sont de l'ordre de l'abstraction. Les tableaux « Souk de Tunis », sont vides de la foule bigarrée des souks, qui, depuis, subissent un traitement chromatique (couleur blanche) qui rejette des représentations et le tableau devient jeu de couleurs autour d'une tâche blanche centrale. La logique plastique n'est plus de l'ordre de la représentation figurée, ses références voltigent. Ben Fredj peint comme cela vient ! Il est tantôt sensible aux signes et symboles du patrimoine, quelquefois il est orientaliste (scènes du hammam), tantôt figuratif, libre, moderniste (couple au jardin de Luxembourg, 1961), et tantôt expressif : Les tableaux (les 3 belles, 2017), (La lisseuse, 1993), (Les 3 grâces) ou (Le sacrifice d'Abraham, 2017), n'ont aucune parenté entre eux. L'historien de l'art perd son latin dans l'examen de la production de Ben Fredj. L'imbroglio stylistique est total : Quelquefois le peintre se réfère à Botero, d'autre fois à Picasso, à Adel Megdiche et parfois même à Bouabana. Le champ de coquelicots ! Le soldat Ben Fredj doit être sauvé Quelquefois, mais c'est rare, Ben Fredj nous surprend agréablement quand surtout il décide d'être sincère, simple et de suivre son inspiration et d'exploiter ses possibilités plastiques réelles et nombreuses ! Nous avons constaté cette surprise heureuse à deux occasions : la première fut constatée avec le tableau de la « Liseuse, 1993 » où Ben Fredj s'est appliqué et a pris son temps de nous offrir une « liseuse » solide compositionnellement et pleine de vie où l'on sent le personnage dialogue avec le texte, avec le livre et établir une relation, une scénographie iconographique originale. Malgré la grande instabilité stylistique, iconographique et de traitement technique inégal, malgré un éclectisme prononcé et une tendance à rester à la superficie des choses, Ben Fredj, comme fortuitement, comme par accident, réussit à nous surprendre en nous proposant de temps en temps, au niveau pictural et non décoratif (où il excelle), une œuvre de qualité esthétique et de facture vraiment artistique surtout par rapport au traitement des couleurs chaudes et vives comme son utilisation du rouge qu'il nous étale et sert dans le tableau de 2016intitulé « Le champ de coquelicots », qui, s'il est authentique, relève des grandes œuvres de notre mouvement pictural. Cette œuvre (180x150 cm) n'est pas monumentale pour rien et mérite qu'on en parle sans autre forme de procès pour dire qu'elle est l'œuvre qui nous fait oublier toutes les vaines grandiloquences de Ben Fredj, et nous fait retrouver un Ben Fredj réellement intéressant créateur et dont nous pouvons être fier, peut-être, de nouveau.