Après son arrestation à l'aéroport TunisCarthage et son placement en résidence surveillée, un mandat de dépôt a finalement été émis, par le pôle judiciaire financier, à l'encontre de Chokri Cheniti et de deux de ses compagnons d'affaires. Quatre officiers de la Douane seraient également impliqués et seront bientôt entendus par la justice. Accusé de blanchiment d'argent, d'infractions douanières et de détournement de fonds, Cheniti n'est peut-être pas connu du grand public, lui qui est monté en puissance après la révolution et est devenu l'un des barons de la friperie, un secteur prospère au fil des années qui soulève bien des questions et à bien des égards. Fin décembre, l'homme avait tenté d'embarquer à bord d'un avion en direction de l'Europe afin échapper aux accusations qui allaient bientôt lui être portées. C'est qu'il devait assurément savoir qu'il était dans le viseur des autorités dans le cadre de la campagne anti-corruption ordonnée par Youssef Chahed, qui a fait tomber de puissants hommes d'affaires et qu'il a préféré fuir avant d'être rattrapé par la justice pour ses nombreux délits. Heureusement, ses desseins ont échoué et il devra désormais répondre de ses actes. Les ouvriers de son usine de friperie, située à Kairouan, ont quant à eux observé jeudi un mouvement de protestation, bloquant la route qui relie « El Baten » à la ville, exigeant la reprise des activités de l'usine et le paiement de leurs salaires. Maintenant que leur patron croule en prison, ne risquant pas d'en sortir avant longtemps, tant les faits qui lui sont reprochés sont graves et nuisibles pour l'économie nationale, quel avenir pour ces dizaines d'ouvriers ? Quel avenir également pour le secteur de la friperie puisque d'autres commerçants seraient également sur la sellette et devraient être prochainement entendus pour des infractions douanières ? Enfin, saura-t-on jamais le vrai du faux sur ce secteur, ô combien vital pour le citoyen lambda, mais qui suscite tant d'interrogations. En octobre 2016, le ministère du Commerce avait dû publier un communiqué réfutant la rumeur ayant pour objet la prochaine interdiction de la vente de vêtements, et chaussures, usagés. Cette rumeur, largement propagée, avait suscité la grogne des citoyens qui, toutes classes confondues et à quelques exceptions près, ont recours aux marchés de la friperie pour compléter leurs garde-robes tant les prix du neuf sont devenus, en quelques années, mirobolants. Mais ce n'est pas tout ! Le marché de la friperie s'est largement diversifié ces derniers temps et l'acheteur d'acquérir non plus seulement des vêtements et des chaussures surtout de fin de séries, mais également des accessoires de mode, des ustensiles de cuisine, des appareils électroménagers, des jouets, des objets de décoration et autres babioles en tous genres. En parallèle, au fil des années, les prix ont considérablement augmenté, là aussi. Autre fait remarquable, surtout dans les souks de la friperie de la capitale et notamment à El Hafseya, de plus en plus d'Algériens, viennent désormais faire leurs emplettes dans ces antres des bonnes affaires. Ils viennent généralement d'Annaba et de ses environs et font le voyage en louage qui stationne à proximité du Port de France à Tunis. Nejib, commerçant de friperie, confirme ces observations et ajoute : « Cela a commencé depuis plus de deux ans. Des familles entières se déplacent à Tunis et viennent au souk pour y faire des emplettes, surtout à l'approche de la rentrée scolaire ou encore au début de chaque saison. Ils achètent surtout des chaussures ou encore des manteaux quand c'est l'hiver. Je dois dire que ce sont de bons clients car ils ne négocient pas trop les prix, contrairement aux Tunisiens. » A « Souk lahad » de Sousse , le dimanche, ce sont des touristes qui viennent aussi dénicher des vêtements, chaussures et autres sacs à main de marque. Mystères, mystères... Selon la Chambre nationale syndicale des commerçants grossistes fripiers, la Tunisie importe, chaque année, plus de 80 mille tonnes de vêtements usagés. Cette marchandise est ensuite répartie sur les dépôts situés dans différentes régions du pays. Ayant fait son apparition depuis des décennies, ce secteur qui emploie près de 200.000 personnes à travers le pays est demeuré quasiment anarchique bien que drainant des sommes folles. Mais les questions subsistent sur les mécanismes d'importation de ces marchandises usagées. Sont-elles, réellement, collectées dans des pays développés et destinées à être revendues en tant que friperie ou bien ont-elles été cédées par leurs acquéreurs initiaux à d'autres fins et ont été récupérées par des personnes malintentionnées pour en faire du commerce. Aussi farfelue soit-elle, cette thèse tient pourtant la route comme le confirment de nombreux faits avérés et indices et notamment cette incroyable histoire d'amitié, entre un Tunisien et une Américaine, qui est née quand le jeune homme a acheté un sac à dos d'El Hafseya et y a trouvé les coordonnées de la jeune New-Yorkaise ». Prenant contact avec elle, la jeune femme lui a affirmé ayant cédé ce sac ainsi que d'autres affaires à des associations caritatives. Par ailleurs, la ville de Montréal est de plus en plus exigeante voire sceptique sur la collecte de vêtements usagés dans des bennes de rue destinées à cet usage par des associations et pour cause ! Il a été prouvé que des entrepreneurs spécialisés dans le recyclage de vêtements tiraient profit de ces actes de charité et revendaient les vêtements collectés à des sommes conséquentes. Selon une journaliste canadienne ayant mené une enquête à ce sujet, le conteneur serait vendu entre 17 000 $ et 55 000 $ (environ 21 000 et 165 000 Dinars), en fonction de son contenu. En 2014, près de 77 000 tonnes de vêtements usagés auraient quitté le port de Montréal, en direction de la Tunisie, du Maroc, de l'Inde ou encore du Pakistan. Toujours selon cette même journaliste, la Tunisie serait la principale destination de ces marchandises et est considérée comme le plus important centre de tri sur la planète avec l'acquisition pour 3,6 M$ ( 10,8 MD) de vêtements usagés en 2014.