Les deux secteurs jadis "ennemis" font face aujourd'hui à la recrudescence des importations illicites La famille de M. Mansour s'habille "fripe" depuis vingt ans. Il est cadre de banque. Sa femme est employée de bureau. Il peut se permettre quelques costards nouveaux durant la période des soldes et, elle, quelques tailleurs. Non ils sont "abonnés" à trois boutiques dont les propriétaires ne manquent pas de les "biper" chaque fois qu'il y a un arrivage. La famille de M. Mansour n'est pas la seule à affectionner ce genre de fidélité. Elle ne représente qu'un microcosme dans une classe moyenne qui va, dans une proportion des 52% vers la friperie. Les tranches aisées aussi y vont et il n'est pas rare de voir de grosses cylindrées garées devant les magasins de friperie et, même, suivre l'itinéraire des souks hebdomadaires. Recherche de la qualité, d'une griffe, dans ces emballages où l'on tombe toujours sur quelque chose. Et il y a bien sûr les revenus modestes, des familles nombreuses qui ne peuvent faire autrement que de recourir à ces vêtements usagés... et cela fait que, grâce aussi à la friperie, des Tunisiens, grosso modo s'habillent bien. Aujourd'hui, la décélération qui a frappé le secteur du textile a provoqué un phénomène nouveau : jadis la friperie concurrençait le prêt à porter neuf. Aujourd'hui, c'est celui-ci qui va grignoter dans la clientèle traditionnelle de la friperie, puisque les prix, dans les deux secteurs sont désormais presqu'alignés. Cela fait que l'idée selon laquelle la friperie a cassé les "habits neufs" ne tient plus la route. Sauf que si le "Tsunami chinois" a éclaboussé le textile-habillement en Europe et que l'onde de choc a retenti chez-nous - le scénario - catastrophe ne s'est heureusement pas vérifié - la friperie qui habille partiellement une large proportion de tunisiens reste un secteur quelque peu mal organisé du fait du déphasage classique entre le texte et le contexte. Si la friperie existe depuis 1944 en Tunisie - à l'époque, les transactions "import /export" se déroulaient au port - le secteur est longtemps resté régi par des circulaires et en fait, les professionnels se sont arrangé pour l'organiser à leur manière, passant par les étapes classiques : concentration d'intérêts, monopole, puis éclatement, mais avec de nouveaux rapports de force derrière lesquels se trament des conflits d'intérêt... Le décret présidentiel 95/2296 du 2 décembre 1995, puis sa révision par le décret 2005/2035 du 18 juillet 2005 sont venus mettre en place un cadre institutionnel. Ainsi 47 entreprises sont nées sous le régime "Entrepôts industriels" et quatre autres sous le régime "Entrepôts francs".
Paradoxes Qu'est-ce que l'entrepôt industriel ? Il importe la marchandise, procède à l'industrialisation d'une partie d'entre elle, réexporte et place une partie de la marchandise sur le marché local en fonction de la fameuse équation 30/20 : il s'agit de réexporter au moins les 30% des quantités importées ; transformer les 20%, conditions sine-qua-non pour pouvoir aller sur le marché local. Ces entreprises sont de véritables unités industrielles. Elles font des investissements lourds et avec un taux élevé d'employabilité. En revanche "L'Entrepôt franc" entreprise totalement exportatrice n'a pas le droit au marché local. Mais il y a un paradoxe : l'entrepôt industriel est constamment surveillé par un douanier. Lors des opérations d'importation il y a la visite systématique d'un officier des douanes. Et lors des opérations d'exportation, la panoplie est autrement plus renforcée : il y a le douanier, l'inspecteur des douanes et l'officier de la BSR. Par contre à l'entrepôt franc, là où on importe pour réexporter, il n'y a aucune surveillance !.... Et c'est déjà un conflit d'intérêts...
Frontières rigides... Le taux d'employabilité du secteur (chiffre arrêté au 31-12-2006) donne 4800 postes permanents et entre 500 et 1000 temporaires, pour des charges salariales de 24 MD par an. C'est dérisoire, dit-on, par rapport au taux d'employabilité dans le textile - habillement. Sauf que la friperie fait travailler 321 grossistes et 11 mille détaillants, sans parler de ces ambulants qui passent d'un bar à un autre, d'un quartier à un autre pour liquider deux ou trois blousons. Pourquoi n'accorde-t-on donc pas de patente aux vendeurs à la sauvette ? Et quel statut pour les marchands ambulants qui font tous les souks à travers la République mais dont la situation reste floue... La pomme de discorde porte donc essentiellement sur "Le contingent national de la mise à la consommation". L'article 12 du décret (95) stipule que "le contingent annuel de la friperie trillée destinée à la mise à la consommation est fixé par le ministère du Commerce après avis du ministre de l'Industrie. Ce contingent est fixé à 10500 tonnes qui devraient correspondre aux 12% de la consommation nationale en textile. Et pour être cohérent, ce contingent devrait être de 16000 tonnes.
Un deuxième hiatus : l'administration autorise les entrepôts francs à vendre dans des zones franches : ce n'est donc plus de l'export. Et puis, à l'heure de la globalisation et au moment où des souks, et des étalages font du commerce parallèle, un grossiste ne peut pas vendre sa marchandise à un détaillant d'un gouvernorat autre que le sien.
Un troisième hiatus : la chaussure (friperie) est interdite à la vente sur le marché local. Comment se fait-il qu'elle inonde carrément les souks, les points de vente et par quelles filières y entrent-elles si ce n'est par les circuits parallèles ? Les professionnels proposent qu'on coupe la poire en deux ; qu'un quota pour la chaussure soit accordé à la friperie par la Fédération nationale Cuir et Chaussures à hauteur de 2%.
Un quatrième hiatus : Parfois on saisit les blousons en cuir (le cuir étant interdit à la consommation locale) alors que l'article 11 du décret stipule ceci : "sont considérés comme déchets les chaussures, les espadrilles, les jouets, les sacs à main, les couvre-chefs (...)". Nulle mention de blousons cuirs : et puis il n'y a pas le feu : nous n'avons pas de tradition dans la confection du cuir... Jusque-là, le secteur a apporté des solutions "sociales". Aujourd'hui il a besoin d'être réorganisé et de faire face lui aussi à l'intrusion des produits illicitement importés. Car ce que M. Mansour achète pour ses enfants n'est que la face immergée de l'Iceberg : derrière cette paire de chaussettes Dior tout un processus s'était déployé... Car la friperie garde la vocation classique, mais elle change de concept : c'est une industrie lourde, une industrie de transformation, avec des machines trop chères. Et c'est pour cela que les propriétaires des entrepôts industriels trouvent que "les entrepôts francs" "se la coulent douce et se permettent des virées sur le marché local, cependant que, toujours selon eux, les IDE (toujours selon eux) n'apportent rien". Entre temps, la friperie coûte plus cher pour le consommateur. L'offre baisse en effet, car l'Europe envoie de la marchandise à l'est alors qu'à quelques encablures de chez nous, les Algériens se mettent à nous faire de la concurrence. Raouf KHALSI
* Quantités de friperie importées en 2006 : 89 mille tonnes pour 68 MD * Quantités exportées 30 mille tonnes pour 21 MD * Quantités transformées pour une valeur de 24 MD * Quantité mise dans la consommation locale : 10500 tonnes.
Investissements dans les entrepôts industriels 98 millions de dinars, dont 12 millions au Sers, gouvernorat du Kef. En l'occurrence SICOFRIP, SOTUMAC Nord et SOFRINORD ont été appelées à investir au Sers aux fins de réemployer les ouvriers de la mine de Bougrine qui avait fermé.
Le processus industriel * Trillage * Coupe chiffon * Effilochage * Tissus non tissés TNT * Feutre * Wate (cela sert pour les matelas hiver / été. Il y a donc perte de grosses quantités et cela se fait avant l'introduction sur le marché local.