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Les Africaines de Alia Dérouiche Chérif
Publié dans Le Temps le 03 - 10 - 2018

La galerie des Berges du Lac accueille depuis vendredi 28 septembre une exposition intitulée "Ifriqiyettes". Dans cette nouvelle collection, Alia Derouiche Chérif revient sur des photographies du début du siècle pour leur donner une nouvelle dimension esthétique. A découvrir absolument!
C'est dans un univers sépia et dans des tonalités qui conjuguent toutes les nuances du gris que l'artiste Alia Dérouiche Chérif a installé son dispositif créatif. Entre érotisme et exotisme, elle nous invite à pénétrer dans ce qui fut le harem colonial des photographes du début du siècle.
Quarante prénoms dans un univers de signes et de symboles
Ce faisant, elle nous permet de redécouvrir des pans entiers de l'iconographie tunisienne tout en imprimant sa touche inspirée et ludique au-dessus de ces oeuvres. Car la démarche de Alia Dérouiche Chérif est d'abord un para-discours, une superposition qui transcende les oeuvres du passé pour les sublimer, les relire et les placer dans un nouveau sillage. Dans cette collection qui compte une quarantaine d'oeuvres, chaque détail compte, chaque geste est signifiant, chaque association ouvre la voie à une subtile dialectique entre restitution et détournement.
Ainsi, l'artiste a par exemple nommé ces anonymes des cartes postales du temps colonial, ces modèles qu'on faisait poser avec d'ailleurs la brutale intention de dévoiler la femme tunisienne. En effet, le nu est la règle pour plusieurs de ces photos, cette sorte de nu tout droit surgi du cabinet orientaliste, avec ses suggestions et ses typologies. Réalisés en studio par les photographes d'une époque révolue, les portraits que Dérouiche Chérif nous donne à revoir charrient l'imaginaire d'une génération européenne qui découvrait - au propre et figuré - la Tunisie et cherchait à en posséder toutes les arcanes.
Entre érotisme et exotisme, débusquer les enjeux
Très symboliquement, l'artiste rature ces oeuvres photographiques et les recouvre d'autres significations. Elle renvoie vers la caducité ce qui constituait la charge induite par ces oeuvres pour en abolir le sens premier: celui qui justement établissait un harem colonial, processus iconographique humiliatoire bien décrit par Malek Chebel. Tout aussi symboliquement, l'artiste donne des prénoms à tous ces modèles dont on sait que la plupart étaient des prostituées, des femmes fragiles, sans nom propre, blessées en leur for intérieur mais soumises par atavisme. Les nommer, c'est les faire exister, leur donner une revanche, protester contre l'histoire de ces photos qui effacent leur modèle en l'érotisant et en le dévoilant de manière factice.
Troisième seuil symbolique, les prénoms, Alia Dérouiche Chérif est allée les chercher dans la mémoire tunisienne, celle des femmes, celle trop souvent occultée. Renaissent alors les prénoms sonores et tendres de Mahbouba, Béya ou Zlaikha. Reviennent alors les inflexions nostalgiques de Bakhta, Zina ou Jneina. Et au regard de se demander ce qu'elles sont devenues, ce que leurs vies minuscules ont véhiculé, la manière dont elles portaient ces prénoms. Quarante prénoms revivent et avec eux des arabesques, des signes et symboles, la grâce intacte d'un bijou ou les méandres d'un tatouage. C'est vrai, les nommer, c'est les faire revivre toutes!
La polysémie des oeuvres de l'artiste ne s'arrête pas là. Comme par effraction, elle va nous inciter à décoder tout un patrimoine. Car en regardant ces oeuvres, c'est à Roubtzoff et sa rigueur documentaire qu'on peut penser. Lui, n'a pas photographié mais peint ces femmes et la collection présentée invite à se placer à rebours de cette réalité. Par son esthétique, l'artiste convoque également les mânes d'un Hédi Khayachi qui, pour sa part, s'est contenté de représenter le réel tout en y glissant une patine d'éternité. Alia Dérouiche Chérif sait débusquer ces occurrences et les placer dans une dynamique créatrice, comme elle sait aller chercher chez Klimt ou Gauguin le détail précis qui transfigurera une banale carte postale, désormais réinsérée dans la modernité.
Articuler les signifiants et abolir le harem colonial
Au-delà de ces seuils symboliques qui mettent en abyme les quarante portraits relus par l'artiste, il convient aussi d'évoquer le registre signalétique qui traverse ces oeuvres. Des strates nouvelles ont en effet été déposées sur des traces anciennes, un motif traditionnel viendra ainsi en surimposition, bouleverser l'espace de la toile, le décaler en y insérant une nouvelle logique. Très ludique, la démarche de Alia Dérouiche Chérif s'apparente alors à un jeu avec les formes et les significations. Comment perturber le sens antérieur? Comment lui substituer d'autres équilibres? Comment parvenir à une beauté plastique qui se déploie entre deux signifiants articulés? A ce jeu, l'artiste excelle et sait trouver sa voie dans le labyrinthe. Faisant jouer la technique, elle fait usage de feuilles d'or et de papier d'une grande finesse. En soi, cela permet déjà de sortir de la dimension photographique antérieure pour envisager la nouvelle approche plastique.
De même, l'artiste a fait un remarquable effort en termes d'encadrement. Ce n'est pas le fait du hasard si les tableaux sont encadrés à l'ancienne, évoquant tableaux de famille et galerie de personnages du temps jadis. D'ailleurs, ceci est aussi à mettre sur le compte du symbolique dans la mesure où l'artiste nous invite à adopter ces femmes, les compter parmi les portraits d'une famille en quarante fragments. Enfin, puisque chaque détail importe, les regards de ces femmes sont proprement fascinants.
Alors que le corpus de photographies est immense, l'artiste a choisi cette quarantaine de regards précis. Comme pour suggérer que ces femmes nous regardent à leur tour, que leurs yeux perçants, malicieux, hiératiques ou absents nous jaugeaient, qu'il fallait regarder ces portraits dans les yeux pour embrasser la totalité des trois mouvements de chaque oeuvre. De la photographie-prétexte, nous arrivons au regard-icône en passant par la rature/surcharge/réinformation.
Un travail admirable! Encore ne faudrait-il pas quitter cette exposition sans se demander le sens profond du titre de l'ensemble de la collection car "Ifriqiyettes" renvoie clairement à "Africaines". Toutefois, il faudrait prendre ce terme dans son étymologie tunisienne. En choisissant "Ifriqiyettes", Alia Dérouiche Chérif tourne le dos à "Orientales" et, comme à l'accoutumée, se place à la confluence des interprétations. Une collection des plus attachantes qui plus est magnifiée par les agencements choisis par l'équipe de Musk and Amber Gallery.


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