Depuis quelques mois, Sameh Habachi est en train de donner de nouvelles couleurs à la Maison des Arts du Belvédère. Non contente de brasser large en organisant des expositions internationales ou rétrospectives, l'animatrice de cette galerie liée au réseau du ministère de la Culture a aussi largement ouvert cet espace aux photographes. Ainsi, il y a peu, la Maison des Arts accueillait neuf photographes arabes de six pays pour une exposition documentaire, vibrante de créativité, organisée avec le concours de la section tunisienne de l'Union des photographes arabes. Le public a pu découvrir l'univers en bleu de George Maher (Egypte), les étranges silhouettes de Adel Hana (Palestine) et les superpositions savantes de Salah Ostedh (Emirats arabes). Deux photographes marocains et un autre algérien participaient à cet événement ainsi que le Tunisien Amor Abada Harzallah, l'un des meilleurs reporters tunisiens qui démontre ses approches esthétiques. Il est intéressant de noter que la direction des Arts plastiques au ministère de la Culture, aujourd'hui dirigée par Noura Ben Ayed, met en oeuvre une approche consensuelle, fédératrice. Ouverts à tous les artistes, les espaces publics répondent ainsi à leur vocation et rendent à la Maison des Arts son statut de lieu de reconnaissance et de confirmation qu'elle avait un temps perdu pour une séquence plus expérimentale lors du passage de l'artiste Sana Tamzini à la direction de cette institution. Sur un autre plan, le monde de la photo continue à frémir et voir se multiplier les initiatives dont la plus prometteuse a vu le jour en décembre avec la création par Wassim Ghozlani de la Maison de l'image, un espace culturel engagé qui a le vent en poupe et un projet propre: celui de réunir les tenants de l'iconographie en Tunisie. Approches plastiques et recherches formelles C'est dans ce contexte, également marqué par les grandes expositions de printemps qui associent pleinement les photographes, que Slim Gomri se prépare à un grand retour en exposant une nouvelle collection et une rétrospective de ses oeuvres à la Maison des Arts, à partir du 17 avril 2015. Slim Gomri est loin d'être un inconnu pour le grand public qui a pu le découvrir dans son univers photo et aussi dans ses approches plastiques qui utilisent pour socle la photographie. Sa première grande exposition remonte à 2008. A l'époque, il révélait une profonde maitrise des volumes et une capacité à sublimer le réel qui n'ont jamais été démenties depuis. Jouant avec la lumière, les ombres et les reflets, Gomri transfigure les objets et parvient à capturer leurs textures les plus intimes. Son exposition "A la rencontre de la matière" avait ainsi valeur de manifeste qui proclamait l'intention de l'artiste: Gomri ambitionnait de pétrir la matière par la lumière, nous la montrer sous un autre jour et surtout instaurer un regard qui va au delà de la surface du visible. Mohamed Ali Saadi qui accueillait cette exposition dans son espace carthaginois ne se trompait pas en saluant la naissance d'un grand photographe qui allait approfondir les recherches formelles initiées par Ridha Zili et Mohamed Ayeb. C'est d'ailleurs ce dernier qui invitera Gomri à investir l'espace Ain de ces oeuvres en décembre 2012. Pour cette exposition, le photographe allait prendre le parfait contre-pied de ses premières oeuvres en revenant aux fondamentaux techniques du portrait, du paysage et du décalage du regard lorsqu'il s'agit de créer des hiatus signifiants dans l'espace d'un cliché. Dés lors, cette exposition fut un nouveau pas pour Gomri qui démontrait son savoir-faire technique pur, au delà des distorsions et du projet formaliste. La collection fut un succès critique et commercial car le public s'est trouvé face à des oeuvres qui, avec une touche singulière, revenaient vers l'univers tunisien d'un Jacques Perez ou d'un Salah Jabeur. Intitulée ""Nostalgie", cette exposition prenait alors la valeur d'un pont jeté entre la tradition tunisienne du portrait et de la photo de paysage et le projet artistique de Slim Gomri. Ce photographe allait ensuite revenir à son laboratoire, à ses tentations et ses démons structuralistes. Dans "Second Life", Gomri allait surprendre tout le monde en installant une fusion entre photographie et métaux d'acier et de fer. Par de subtiles alchimies qui utilisent la photo comme socle, Gomri allait opérer par métamorphoses successives pour parvenir à de surprenantes sculptures entre futurisme des matériaux et brouillage industriel. Occupant en novembre 2013 les cimaises de la prestigieuse galerie Médina, le jeune photographe allait une fois encore engranger un succès qui allait au delà de l'estime puisque les collectionneurs et l'Etat seront au rendez-vous de ce novateur soutenu dès ses débuts par Edifia, un mécéne pleinement engagé à ses côtés. Se libérer des limites du réel Bien entendu, outre ces trois moments forts, Gomri a eu plusieurs présences, notamment à l'échelle internationale avec des expositions à Washington, Damas et Paris, au sein de l'emblématique hall Miro. Ceci sans évoquer sa toute première collection qu'il consacrait à un grand reportage en Amérique mettant en exergue monuments et tissu humain sous les yeux et la sensibilité d'un Tunisien. Voici maintenant Slim Gomri au seuil de la Maison des Arts pour une nouvelle confirmation et probablement un temps-pivot dans sa jeune carrière. Sa nouvelle collection ne porte pas encore de titre même si celui de "Métamorphoses" lui irait fort bien. Dans ce nouveau travail, Gomri crée des photomontages à partir de paysages et de fragments. Ces fragments qui sont aussi bien des débris de céramique, des reflets ou des calligraphies inattendues donnent une nouvelle fonction au paysage en abolissant la notion de beauté conventionnelle au profit de celle de beauté plastique. Toute en décalages, cette nouvelle collection révèle de singulières superpositions, à l'image des travaux d'un Mark Rothko. C'est un autre réel qui nait sous nos yeux tout en posant sous notre regard des paysages connus, allant d'un majestueux Boukornine à une Takrouna absolument sublime. Le photographe effectue le même travail sur des paysages cairotes ou jordaniens. Parfois, il laisse aussi jouer la nostalgie en reconstruisant certaines fulgurances du grand Jalel Ben Abdallah. Prochainement, la Maison des Arts nous offrira de découvrir le Gomri nouveau, celui des métamorphoses, celui de la déstructuration du paysage, celui de la recherche obsessionnelle d'une photographie libérée des limites du réel.