Pour certains, elle a incarné un nouveau départ, pour d'autres elle est synonyme de désillusion. Certains regrettent son arrivée, d'autres louent ses acquis. Certains la qualifient de révolution du jasmin quand d'autres refusent ces termes et affirment qu'elle n'est qu'un simple soulèvement populaire qui a coûté sa place à un dictateur. Que reste-t-il de la révolution du 14 janvier? La date du 14 janvier est à jamais gravée dans la mémoire des millions de Tunisiens. Même si elle ne signifie plus rien pour bon nombre d'entre eux, il n'en est moins que cette date a inauguré une nouvelle ère pour le pays et la Tunisie n'est indéniablement plus la Tunisie d'hier. Mais au fait, que s'est-il passé depuis ? L'un des principaux acquis de la révolution reste sûrement la libération de la parole. Condamnés à un silence forcé pendant des décennies, les Tunisiens ont enfin pu émettre leurs avis, critiquer, condamner et même scander haut et fort des slogans politiques et sociaux. C'est ce qu'on appelle démocratie mais la démocratie pour Khalti Salha, employée dans un hammam dans la zone de l'Ariana, n'a que peu faire dans sa vie. Elle explique : «A longueur de journée et sur tous les plateaux télévisés, on nous dit que nous devons nous estimer heureux par rapport à d'autres pays car au moins, nous, on a la démocratie. Oui mais moi, la démocratie, elle ne remplit pas mon couffin au marché et ne rassasie pas la faim de mes quatre enfants. Avant, on vivait mieux ! » Des nostalgiques comme Khalti Salha ou encore comme Cheima, employée dans un salon de coiffure à l'Ariana également, il y en a des dizaines, voire des milliers. Trentenaire, Cheima avoue qu'elle aurait préféré que la révolution de 2011 échoue et que le président déchu revienne au pouvoir. Ayant récemment vu les photos des fiançailles de Ben Ali, elle dit être triste de voir l'ancien président avancer dans l'âge et ne reconnaît plus en lui, l' « homme fort qui veillait sur la Tunisie il y a quelques années ». Habib quant à lui ramasse des bouteilles en plastique à longueur de journée. Il a six enfants, âgés entre 11 et 20 ans. Il avoue que la révolution et la politique en général lui importent peu. Ce qui le préoccupe vraiment, c'est de gagner sa vie et de nourrir sa progéniture dont certains ont arrêté leurs études et sont au chômage. Il déclare : «Peu m'importe qui est président et qui gouverne. Mon principal souci c'est de gagner ma vie décemment mais le coût de la vie est devenu exorbitant. Je n'y arrive plus. Deux de mes aînés sont au chômage. Sans diplômes, ils peinent à décrocher du travail. Sur les chantiers, les travailleurs d'Afrique subsaharienne leur font de l'ombre car ils travaillent de très longues heures sans rouspéter et acceptent d'être payés moins que les autres. Je peine vraiment à offrir à ma famille le minimum nécessaire et tout est devenu mille fois plus cher. Je n'ai pas d'espoir quant au futur et je sais que les élections à venir n'y changeront rien. Les politiciens vivent sur une autre planète que la nôtre et eux seuls sont les grands gagnants de la révolution». Entre lassitude et espoirs inquiets, entre liberté d'expression et cherté de la vie, entre ras-le-bol de la caste politique toutes orientations confondues et inquiétudes quant au futur, le cœur des Tunisiens balance et ne cesse de leur donner des sueurs froides. C'est qu'ils n'ont jamais le temps de s'ennuyer avec une actualité des plus dynamiques. Prochaines date clé ? La grève générale du 17 janvier et ce qu'elle promet, si elle a lieu d'être, comme conséquences désastreuses sur l'économie du pays, à moins d'un revirement de situation. Les grèves, ça aussi, c'est un acquis de la révolution du 14 janvier mais pas sûr toutefois que les Tunisiens y tiennent désormais beaucoup. Pour preuve, la grogne montante des élèves et de leurs parents face au bras de fer engagé entre le gouvernement et le syndicat des enseignants.