La chute de l'ancien régime a constitué l'évènement déclencheur d'une série de revendications sociales, refoulées 23 années durant est explosées enfin au grand jour tel une bombe à retardement. Jamais le peuple tunisien n'a eu l'opportunité de crier famine, chômage, injustice sociale et de pointer du doigt tous les signes et les responsables d'une oppression et d'une dictature l'ayant tant privé de vivre en dignité. Il a crié, ce peuple dont la liberté est délestée depuis bien longtemps, et continue de crier, recommandant sur un ton colérique et justifié, la reconstruction du pays sur des bases solides. Les revendications sociales ont ainsi pris une place dans la vie des Tunisiens. Certains s'adonnent à des moyens puisés d'autres cultures jugées comme démocratiques, comme les manifestations pacifiques et les sit-in. D'autres recourent à des pratiques improvisées, des pratiques à la tunisienne qu'ils trouvent, probablement, plus efficaces car plus perturbatrices comme les barrages de routes, l'invasion des milieux de travail ou encore les grèves qui finissent toujours par toucher négativement le rythme de travail et la rentabilité d'une entreprise, voire d'un secteur. Les grèves de la faim, pratiquées depuis des années dans le milieu carcéral par les prisonniers d'opinion et donc passées sous silence prémédité par le gouvernement, voient le jour sous un angle plus notable car au vu et au su de monsieur-tout-le-monde. Vers la fin de l'année 2010, les revendications sociales étaient étroitement liées à un objectif politique visé à la quasi-unanimité du peuple: liberté, emploi, dignité et un «dégage» souligné au parti dictatorial. L'année 2011 a démarré avec l'explosion des revendications à caractère à la fois libérateur quoique toujours fondé sur la turbulence publique, mais aussi à caractère social d'un peuple qui aspire à une justice sociale et à une politique démocratique qui respecte les opinions hétéroclites et de l'opposition. Après le premier scrutin démocratique en date du 23 octobre 2011, et jusqu'à nos jours, les revendications sociales continuent de sonner comme une alarme perpétuelle et imprévisible, rappelant à chaque fois que les attentes du peuple demeurent non assouvies, que le chômage prolifère tel un fléau, que les conditions de travail n'ont point été améliorées, que l'injustice persiste toujours car incrustée dans les systèmes depuis de longues décennies, que le pouvoir d'achat chute ramenant même la classe moyenne à un niveau de vie bien serré, et que le Tunisien s'impatiente de voir, enfin, germer les fruits de sa révolution. Selon les données fournies par le ministère de l'Intérieur, les manifestations ayant pour motifs les revendications sociales, ont connu durant les 11 premiers mois de l'année 2012 et en termes quantitatifs, une baisse notable notamment en comparaison avec la même période pour l'année 2011. Durant l'année qui vient de tirer sa révérence, les diverses pratiques de protestations et de recommandations sociales ont été de l'ordre de 12.270 contre 16.273 pour l'année la précède. Cette régression s'avère plus significative dans les pratiques de protestations touchant la vie professionnelle et la rentabilité du travail. Aussi, découvre-t-on que les grèves enregistrées en 2012 ne comptent que 1.752 contre 2.366 grèves en 2011. Les actions engendrant une perturbation du cours de travail se sont limitées à 939 actions contre 1.043 en 2011. De même pour les sit-in qui semblent pourtant assez récurrents, ils ont chuté pour ne compter que 855 sit-in contre 1.495 en 2011. Quant aux invasions des lieux de travail, le ministère de l'Intérieur avait enregistré en 2011 quelque 1.003 actions de ce genre alors qu'en 2012, ces actions n'ont pas excédé les 191 actions. Cette évolution revient probablement au souci des Tunisiens quant à la préservation de la rentabilité économique à un niveau le moins désastreux que possible surtout avec les indicateurs alarmants engendrés par les perturbations socio-économiques post-révolutionnaires. En revanche, d'autres formes de protestations pour des revendications sociales, notamment celles individuelles ou impliquant un groupe de personnes assez restreint ont évolué vers un sens positif. C'est le cas des grèves de la faim et des barrages de routes. Pour le cas premier, l'année 2012 a été marquée par 170 grèves de la faim contre seulement 94 en 2011. Quant aux blocages de routes, leur nombre a atteint 1.571 alors que l'année d'avant, ils n'ont pas dépassé les 1.043. Grèves «légales» en hausse Revenons aux grèves, à leur évolution et aux répercussions qui en résultent sur le milieu du travail. Il est clair que ce moyen de pression sur les autorités gouvernementales soient-elles ou hiérarchiques relatives aux directions des institutions et entreprises concernées a connu une régression durant 2012 par rapport à l'année 2011; une baisse estimée par le ministère des Affaires sociales, de la Solidarité et des Tunisiens à l'étranger de 4% appuyée de surcroît par la baisse du nombre des grévistes de 11%. Toutefois, ce phénomène gagne un peu plus de terrain avec une légère évolution du nombre des institutions faisant objet de grève de 1%. Par ailleurs, ce phénomène tend, visiblement, vers une nette légalisation. En effet, 55% des grèves effectuées en 2012 ont été qualifiées comme « légales » car encadrées et annoncées dix jours avant leur organisation ; soit une évolution des grèves légales de l'ordre de 66%. Il est important à souligner que ce moyen de pression a touché, en grande partie, le secteur des services et de la sous-traitance avec un taux de 22% mais aussi celui de l'industrie minérale et mécanique et celui du textile, du prêt-à-porter et des chaussures. La cartographie des grèves place la région de Sfax en haut du podium. La «capitale du sud» a, en effet, été le site des grèves par excellence avec, notamment, une contribution de 24% en 2012 contre 12% en 2011. Le gouvernorat de Ben Arous vient en deuxième position avec un taux de 15%. Aussi contraignante que les grèves, les menaces de grèves ont connu une augmentation de 28% par rapport à 2011 puisque les services d'inspection de travail et de la réconciliation ont noté, en 2012, quelque 926 menaces de grèves contre 722 en 2011. Quant aux sit-in, leur mode semble s'estomper peu à peu avec une régression de 15%. Cependant, ils continuent à mobiliser la majorité écrasante des ouvriers qui, une fois le sit-in organisé, s'unissent pour crier leurs revendications. Des revendications qui tournent essentiellement autour de deux préoccupations majeures: l'amélioration des conditions de travail et l'obtention des salaires et des indemnités de droit. Protestation syndicale ou populaire ? Ce qui est, par ailleurs, répandu comme préjugé, c'est que toute manifestation ou action de protestation et de revendication revient, d'une manière évidente, au mouvement syndicaliste. L'Union générale des travailleurs tunisiens (Ugtt) constitue depuis des décennies la référence en matière d'actions similaires. Après les évènements du 14 janvier 2011, la majorité des sit-in et des revendications sociales est référée, à tort ou à raison, à l'Ugtt. Pourtant, les sit-in, les blocages de routes et autres actions de protestations ne font pas partie des traditions de cette organisation. «Le seul moyen de pression auquel recourt l'Ugtt est la grève. Les sit-in et autres pratiques de pression sont généralement des actions populaires, menées par les citoyens. Ces actions ont été assez nombreuses depuis le 14 janvier 2011. Mais avant cette date, les seules situations favorables aux sit-in touchaient essentiellement le secteur privé, notamment des entreprises qui menacent de fermeture», explique M. Nasredine Sassi, directeur du département des études et de la documentation au sein de l'Ugtt. Avec l'émergence croissante des actions de protestation et de revendications sociales, le rôle de l'Ugtt consiste entre autres à intervenir en tâchant de créer un climat de concertation et de compromis, une intervention qui s'impose surtout dans les protestations qui dégénèrent sur des grèves régionale ou sur des dossiers qui touche l'opinion publique. «L'Ugtt tend à établir le dialogue entre le citoyen et le gouvernement. Mais en cas de réticence et de la part du gouvernement, l'Ugtt se place du côté du peuple», renchérit M. Sassi. Si ces actions sont reconnues en tant que moyens de pression en vogue dans notre pays depuis deux ans, leur efficacité demeure, pour l'instant, non confirmée. Un travail d'évaluation des sit-in et des revendications pour l'année 2012 serait entrepris par l'Ugtt dans les mois qui suivent.