Présentée au Marché des Arts du Spectacle d'Abidjan 20200 (MASA/Côte d'Ivoire), la pièce de théâtre ivoirienne «Il va pleuvoir sur Conakry» a été un hommage au cinéaste guinéen Cheick Fantamady Camara, décédé en 2017, qui avait réalisé, en 2007, le film éponyme. Mais là où le réalisateur a joué sur le drame, les metteurs en scène, à savoir Souleymane Sow et Annabel Thomas, ont préféré s'amuser du drame. «Les morts ne sont pas morts, ils sont toujours parmi nous les vivants», ainsi est la justification par Karamoko Touré, directeur général de TSK Studios, producteur, de la pièce «Il va pleuvoir sur Conakry». Reprendre un film d'un réalisateur guinéen, décédé, à savoir Cheick Fantamady Camara, et le mettre en scène est l'un des plus beaux hommages que l'on puisse rendre à une personne qui a beaucoup œuvrer pour le cinéma de son pays. La version théâtralisée du film ne s'est pas faite dans une ambiance dramatique, même si, à un moment, le drame était bel et bien présent avec le sacrifice d'un bébé, un «bâtard» refusé par une partie de la famille paternelle. Les metteurs en scène, Souleymane Sow et Annabel Thomas, qui était la productrice du film, ont préféré donner une touche d'humour pour parler des thèmes de «Il va pleuvoir sur Conakry». Le poids des traditions Bangali, Bibi, est un jeune caricaturiste dans un journal de Conakry. Dans sa famille, seule sa sœur connaît son secret. Son père, Karamo, est trop ancré dans la religion, d'autant plus qu'il est un imam reconnu dans la capitale guinéenne, pour comprendre que son fils veut une vie moderne loin de la tradition ancestrale. Bangali a aussi une petite amie, Kesso, la fille de son patron. Cette dernière tombe enceinte. C'est un bonheur pour Bibi mais aussi une catastrophe. Comment l'annoncer à sa famille et surtout à son père qui veut faire de lui un imam ? L'orage couve comme il a couvert Conakry en attente d'une pluie salvatrice. La famille de Bangali se scinde en deux : d'un côté la mère et la sœur de Bibi qui prennent partie pour lui et de l'autre le père, le frère et la grand-mère du jeune homme. L'enfant naît mais il sera sacrifié sur l'autel des esprits par la grand-mère de Bangali pour laver l'honneur de la famille. Dans «Il va pleuvoir sur Conakry», différents conflits s'ouvrent et s'offrent au public. Le premier est ce face-à-face entre la modernité et la tradition, symbolisé par Bangali et son père, mais aussi par le choix des metteurs en scène de mettre les différents décors sur la même scène : la cour de Karamo, le journal où travaille son fils et le salon du patron de ce dernier. Un choix ou une obligation, quand on sait que la salle où s'est jouée la pièce n'était pas adéquate pour un changement de décor. Heureusement que les lumières et la scénographie ont aidé à suivre le changement de lieux. Une cour avec un arbre en son milieu. Un arbre qui symbolique et résume à lui seul les conflits qui se jouent : des racines ancrés dans la terre et des branches désignant le ciel. La terre des ancêtres et le ciel une ouverture vers ailleurs. Et, paradoxalement, la terre où l'on peut semer le futur et le ciel une voie vers le mystique, le divin, la religion. Ambiguïtés Et voilà le deuxième conflit planté : celui de la religion et de la modernité. Karamo est extrémiste dans ses décisions, s'appuyant sur la religion. Il veut à tout prix appliquer les lois divines. Or, la seule chose qu'il applique c'est un mélange de religion, de politique, et de culture ancestrale. Un amalgame qui fait de lui un homme hermétique à toute ouverture et à toute tolérance. Un dictateur en puissance. Mais son masque d'homme religieux tombe quand il s'agit de sacrifier un innocent sur l'autel des esprits : le «bâtard» de son fils. Karamo donne son accord à sa mère pour se débarrasser de cette honte en faisant appel aux esprits. Et l'on peut se demander comme un homme qui se veut bon musulman -cela aurait pu être un chrétien- continue à adhérer à une croyance se rapportant aux âmes et aux esprits. Ambiguïté qui continue d'exister encore dans de nombreux pays de notre continent. Djibril Diakhaté, un sociologue sénégalais, n'a-t-il pas déclaré : «(...) le Sénégal est composé de 95 % de musulmans, 5 % de chrétiens et d'autres croyances, mais aussi 100 % d'animistes» ? Ce qui est vrai pour le Sénégal est vrai pour d'autres pays africains, avec des chiffres autres pour les religions monothéistes mais toujours avec 100 % d'animistes ; même si beaucoup s'en défendent. Il n'y a qu'à voir, par exemple, la fête du vodoun au Bénin, chaque 10 janvier, pour s'en convaincre... Du lever au baisser de rideau, tout se joue sur les contradictions, soutenant ainsi une critique assez virulente du poids des traditions dans les sociétés africaines, poussant les jeunes à se révolter pour pouvoir exister. Mais le tout est fait avec tellement d'humour et un bon jeu de comédiens qu'on arrive à en oublier le drame au premier degré, pour ne le voir qu'au second. «Il va pleuvoir sur Conakry» est, aussi, métaphorique. D'ailleurs, dans la note d'intention de la mise en scène, Souleymane Sow et Annabel Thomas ont été très clairs là-dessus. Ils ont déclaré : «Nous ressentons ces états climatiques naturels comme la métaphore des rapports humains : une sécheresse qui vide et épuise les consciences, l'orage qui gronde, fait entendre sa voix, déclenche les passions, la foudre qui déchaîne les esprits, la pluie salvatrice qui soulage les âmes».