Cette semaine semble promise à une vague de conjectures sur l'avenir de l'actuel gouvernement de M. Fakhfakh. Même si les résultats relatifs au traitement du coronavirus font l'objet de sourdes luttes de clans quant à leur apport politique, d'autres dossiers « capitaux » et qui s'étaient greffés sur l'actualité sanitaire durant la période de confinement, sont déjà sur la liste des cartes à faire jouer dans la perspective d'un changement de gouvernement, si Ennahdha est de la partie, ou d'un simple remaniement en cas de sursaut de Carthage. Parmi ces dossiers qui pèseront sans doute sur la suite à donner l'actuelle formation, il y a la corruption. A elle seule, elle se présente comme étant désormais un pilier de gouvernance incontournable. Car la corruption se conjugue à tous les temps, à toutes les configurations, et à tous les modes d'exercice partisan du pouvoir. Force est de constater, à l'orée de l'après corona, qu'en dépit de cette armada d'instances, de cellules administratives, et de l'existence d'un grand département dédié à la lutte contre la corruption, les résultats de la traque de ce fléau demeurent maigres, chétifs, voire insignifiants et nuls. Dire que la corruption a réussi à ravir une place prépondérante dans l'appareil de l'Etat c'est aller vite en besogne, pour ne pas dire se déclarer complice ou, à tout le moins, passif face à ce phénomène. Les dossiers se comptent par centaines, voire par milliers. Certains datent de plus de dix ans. D'un trou à l'autre dans ce labyrinthe juridique et institutionnel, ils ne risquent pas, selon ce mode, de progresser. Et si l'on s'est trompé d'arme ? A la veille de 2011, le pays était bel et bien doté d'un arsenal juridique des plus performants, mais ligoté uniquement par deux forces « majeures » : La famille présidentielle et son entourage, laquelle négociait sa mainmise avec les « familles » citées sur les colonnes du journal Le Monde par l'ambassadeur de l'Union Européenne à Tunis. 400 familles à ce qu'il avait déclaré. Soit, vulgairement, le même nombre de débiteurs des crédits carbonisés ayant mis à genou l'économie tunisienne. Déjà les nouveaux arrivants en 2011, n'ont jamais déclaré ouvertement de volonté d'asseoir les bases d'un traitement radical de cette situation de monopole scandaleux, avec ses ramifications corruptrices à tous les étages, qui lestait l'économie du pays. Pourtant la lutte contre le monopole et la corruption figurait bien en tête des revendications populaires de l'époque. Au lieu de s'en remettre au seul code pénal, moyennant de simples amendements de délais, le « nouveau régime », avec feu Béji Caïd Essebsi, a opté pour un traitement politique, lequel a réduit le dossier de la corruption en une multitude de dossiers individuels… de marchandage politique. Une bouffée d'oxygène lâchée à des gens qui, pour certains, avaient préparé leur valise, pour une fuite à l'étranger, et pour la prison pour d'autres. La messe est dite : Béji Caïd Essebsi a opté pour « une réconciliation nationale » non pas avec les « fauteurs » de l'ancien régime, mais avec les titulaires des crédits carbonisés, sans garanties, qui ont plongé le système économique dans un marasme qui se poursuit jusqu'à nos jours. Lors des élections de 2012, le parti islamiste fraichement débarqué, et sans racine dans le tissu économique, s'est trouvé face à un Béji Caïd Essebsi, entouré d'un bouclier imparable : La crème des familles que l'appareil judiciaire commence à enquiquiner pour fraude, corruption, monopole illégal, contrebande et autres facéties. C'est ainsi que de fléau à vite éradiquer, la corruption et le crime économique et financier se sont taillés le statut de facteurs de pression sur toute la classe politique vacillant entre les rêves d'ados, comme la gauche, et le désir irrésistible d'une part de lion dans le tissu du pouvoir en construction, comme les islamistes et autres nationalistes arabes. Multiplier les interfaces… A la barbe et au nez des constitutionnalistes de la place, dont certains bavaient déjà pour un strapontin à Carthage, la Kasbah ou Le Bardo, l'entente entre les deux « vieux » a été axée sur le meilleur moyen de faire oublier à la populace ce lourd dossier, étant établi que personne ne peut gouverner sans l'argent de ces milieux qui continuent à faire suer le pays, dans une impunité céleste. Grâce à la clairvoyance de nos vieux, une solution est aussitôt improvisée : Multiplier les « interfaces » entre la Justice et les justiciables. Sans trop de sophisme, la corruption, quel qu'en soit les dimensions, est déracinable par le concours des seuls ministères de l'Intérieur, et de la Justice. Les institutions compétentes de l'Etat sont à la disposition de ces deux départements, à toute réquisition, du début à la fin de toute procédure. Non seulement le ministère de l'Intérieur a été amputé de sa DST (Direction de la Sécurité de l'Etat), arbitrairement remplacée par la direction de la Sécurité extérieure, les nouveaux responsables de la révolution ont opté pour la multiplication des services et départements « indépendants » dédiés à « combattre la corruption » ! Une noyade qui a été une aubaine pour les partis politiques en mal d'expérience et de programmes bien structurés. La corruption s'installa donc en arme de combat de politique politicienne, et les dossiers ont été servis à qui les demandait, pour les besoins de « sa » cause. Le congélateur tout indiqué fut l'INLUCC (Instance de Lutte Contre la Corruption). Et pour relever la sauce, un super ministère a été destiné publiquement au même idéal. Une forme assez futée de distinguer la corruption dans le secteur public, et celle des privés. Comme le privé ne peut corrompre qu'en milieu public, la lutte contre la corruption devint la preuve irréfutable non seulement d'une absence totale de volonté de lutter contre la corruption, mais d'une redynamisation de l'alliance sacrée entre les deux pôles de la corruption, l'administration publique et les privés. Cela fait dix ans que l'on attend l'issue d'un seul dossier de corruption ou de crédit carbonisé. Rien ! Plus encore, certains corrompus ayant pris peur au lendemain immédiat de la révolution, se sont rétractés sur leurs maigres promesses de 2011 et 2012. Prenant confiance à la « réconciliation nationale » de Caïd Essebsi, ils se sont mis ouvertement à faire chanter l'Etat et la société, en révisant à la baisse les montants qu'ils avaient promis, sous la coupe de la peur et des intimidations des voraces partis politiques actuels. Ceux qui nous gouvernent nuit et jour. Dans une intervention télévisée, Abdelkrim Harouni, d'Ennahdha, a repris l'historique des tractations qui avaient mené à la formation de l'actuel gouvernement. Parlant de Mohamed Abbou du parti Attayar, il dit qu'ils (Ennahdha) étaient prêts à lui céder le ministère de la Justice… et un « morceau » (Lagcha) du ministère de l'Intérieur, le département de l'instruction. La lutte contre la corruption serait-elle le seul vrai martyr de la Révolution ?