Les conflits de légitimité entre le Bardo et Carthage, les cafouillages du gouvernement et les bisbilles presque quotidiennes à l'ARP ont fini par remettre la question d'un changement de régime et l'avènement d'une IIIème République sur les devants de la scène. La nouveauté cette fois réside dans le fait que les appels s'élargissent et posent la question de la cohérence même du concept. Le sujet n'est pas en soi une nouveauté. Plusieurs partis et personnalités politiques ont appelé à l'avènement d'une 3ème République dans des discours, des programmes ou encore à travers les médias. Ce qui constitue une nouveauté en revanche c'est l'arrivée de nouvelles parties, politiques ou autres sur ce registre. Ainsi, en plus du Président de la République qui a fait de la critique du régime politique actuel sa marque de référence et ce longtemps avant son élection, on a vu ces derniers jours l'UGTT rejoindre cette initiative, des partis qui n'ont rien de commun avec Kais Saïed, comme Machrou Tounès, Nida Tounès, et d'autres personnalités de divers horizons. Il faut aussi se rappeler que feu Béji Caïd Essebsi avait, lui-même, esquissé cette possibilité dans plus d'une de ses interventions avant et après son élection à la magistrature suprême ! Cependant jusqu'à récemment, les critiques se concentraient souvent sur la loi électorale et sur la nature du régime semi-parlementaire issus de la Constitution de 2014 sans évoquer expressément le changement de régime. Les raisons de ces nouveaux ralliements sont certes multiples et explicables. Il faut dans ce cadre observer que la transition politique que vit le pays dure depuis 10 ans sans pour autant savoir si elle nous conduira vraiment vers la démocratie ? Au vu des batailles de légitimation qui font rage aux sommets de l'Etat et même au niveau local comme ces municipalités en flagrant délit de désobéissance, au vu des problèmes socio-économiques inextricables, au vu de l'absence prolongée de la Cour Constitutionnelle et de la déliquescence des instances « indépendantes » comme l'ISIE ou la HAICA, on est en droit de poser la question de changement de régime ou du moins l'appel à explorer les voies « légales » pour atteindre ce but. Le pays est confronté à une situation difficile et surtout à un avenir incertain, ce qui demande qu'on se penche sur les moyens à même d'éviter le pire. Il n'y a pas à ce sujet de moyens tabous. Le plus raisonnable serait le rassemblement d'états généraux politiques avec la participation la plus large pour faire émerger un consensus sur les urgences. Sans sauter vers un chamboulement constitutionnel, impossible d'ailleurs sans la Cours Constitutionnelle pour l'appel à un referendum. L'amendement des lois électorales, d'organisations des partis, de financement des élections, des associations, sont déjà des chantiers suffisamment énormes pour épuiser toute cette législature. Mais ce qui nous manque crûment, en cette période difficile et ouverte sur tous les inconnus, c'est un projet politique qui donne aux Tunisiens la possibilité d'un rêve, d'une grande ambition pour nous même et pour notre pays. Les temps changeants que nous vivions sont une vraie opportunité, mais il nous faut aussi les hommes qui en ont l'étoffe.