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« Ettahrrir s'est permis de défier l'Etat parce que l'Etat n'a plus aucune autorité »
Publié dans Le Temps le 21 - 08 - 2016

Alors que la Tunisie s'apprête à vivre une nouvelle étape, avec l'avènement du nouveau gouvernement d'union nationale, la polémique ne cesse de s'accroître concernant l'éventuelle inconstitutionnalité de certaines mesures prises par la présidence de la République. Tandis que certains appellent à la révision de la Constitution, d'autres tentent d'expliquer qu'une telle mesure serait grave pour la continuité du régime de la deuxième République. C'est pour parler de tout ça que Le Temps a été reçu par Salwa Hamrouni, maître de conférences agrégée en droit public à la faculté des sciences juridiques de Tunis et membre du bureau de l'Association tunisienne de droit constitutionnel.
-Le Temps : L'initiative présidentielle ainsi que la désignation de Youssef Chahed au poste de chef du gouvernement ont amené quelques experts à parler d'action présidentielle inconstitutionnelle. Etes-vous d'accord avec cela ?
Salwa Hamrouni : Je pense que la question n'est pas d'ordre constitutionnel. L'initiative du président de la République est une initiative politique et la Constitution prévoit un certain nombre de cas pour changer un gouvernement. Il y a la démission, le fait que le chef du gouvernement pose la question de confiance à l'Assemblée des représentants du peuple, la motion de censure ou encore le cas où le chef de l'Etat demande à ce que le Parlement revoit la confiance. Habib Essid avait choisi d'aller vers le Parlement pour poser la question de confiance. Jusqu'ici, il n'y a eu aucune inconstitutionnalité puisque le processus constitutionnel et le règlement intérieur de l'Assemblée ont été suivis et respectés. Que l'initiative provienne de la part du président de la République cela n'est pas interdit !
Pour le deuxième volet de votre question, ceux qui ont émis des réserves contre cette désignation sont divisés en deux. Certains remettent en question le fait même de se baser sur l'article 89 de la Constitution ce qui est, à mon sens, une grande aberration juridique: je ne vois pas comment est-ce qu'on peut contester cela puisque l'article 98 lui-même renvoie expressément à l'article 89. Donc, si on y fait recours, c'est parce que la Constitution l'exige. L'article 89 pose toutefois un problème d'interprétation parce que le renvoi est général – il n'y a pas de renvoi vers un paragraphe particulier – or l'article en question comprend tout un processus où toutes les étapes sont liées. Son premier paragraphe parle de la formation d'une équipe gouvernementale suite à des élections donc, tout le débat maintenant c'est sur quel paragraphe on va se baser par rapport à cet article. Force est de constater que la Constitution a été très mal rédigée, il aurait tout simplement fallu préciser, dans l'article, les procédures à suivre pour chaque situation particulière. Se limiter à un simple renvoi à un article comprenant plusieurs dispositions ne peut que nous mettre dans ce genre de situation. Je vous donne un exemple: si jamais le chef du gouvernement désigné n'arrive pas à constituer son gouvernement au bout d'un mois, l'article 89, pour cette situation particulière ne dit rien. Il comprend une précision pour le gouvernement issu des élections qui, selon le même article, si jamais il n'est pas formé au bout de quatre mois, cela donne la possibilité au chef de l'Etat de dissoudre le Parlement. Nous ne sommes pas dans l'une de ces deux situations donc on sera obligé d'aller vers plusieurs interprétations.
-Donc il est vrai que la Constitution est minée ?
Oui. Les textes juridiques sont là pour que nous puissions les consulter lorsque nous devons trancher dans une situation problématique. Malheureusement, notre Constitution, à chaque fois où l'on vit une crise politique, les dispositions constitutionnelles contribuent à l'accentuer et en font même partie. C'est un texte qui n'est pas bien rédigé et je rappelle ici que lorsque l'Assemblée nationale constituante était en train de rédiger la Constitution, beaucoup de députés avait catégoriquement refusé l'aide des experts. Or, les experts ont pour tâche, justement, de prévoir ce genre de faille. Aujourd'hui, nous avons une Constitution qui ne répond pas à sa raison d'être. Ce n'est pas une règle mais une constatation qui se pose dans beaucoup de situation.
-Faites-vous partie des experts qui appellent aujourd'hui à une révision de la Constitution ?
D'abord, une Constitution est un texte juridique et non pas un texte sacré. Cependant, une Constitution est le texte suprême dans l'ordonnancement juridique interne et, à ce titre là, une Constitution doit être prise au sérieux : on ne doit pas s'amuser à la changer à chaque fois où les rapports de force politique changent et qu'elle n'est pas aussi malléable que les exigences politiques. Cela serait grave si l'on se mettait à changer la Constitution à chaque fois qu'elle ne répond plus à certaines aspirations politiques ou à un certain ordre des rapports de force.
-Mais aujourd'hui, en Tunisie, tout le système politique est critiqué.
Tous les systèmes politiques sont critiquable. Il n'existe aucun système qui soit parfait. Je ne suis pas contre la révision de la Constitution d'une manière absolue mais peut-on, aujourd'hui, parler d'une pareille révision alors que le texte en question n'est pas encore mis en œuvre ? Est-ce que la Constitution est mise en œuvre ? Est-ce qu'on a une Cour constitutionnelle ? Est-ce qu'on a un Conseil supérieur de la magistrature ? A-t-on commencé la mise en œuvre de la décentralisation ? Est-ce que les instances constitutionnelles indépendantes – qui constituent un réel contre-pouvoir – sont instaurées ? Donc comment voulez-vous que l'on change une Constitution qui n'a pas encore dit son mot et qui n'a pas encore fonctionné normalement ? Je pense que ceux qui appellent à cette révision ne mesurent pas l'importance de cet acte et je crains que l'on rentre dans la même logique qui a mené à la disparition de la Constitution de 1959. Le fait de changer la Constitution lorsqu'elle ne répond pas aux aspirations politiques des uns et des autres est grave.
-Pour revenir aux instances et au concept du contre-pouvoir, le président de l'Instance de lutte contre la corruption, Chawki Tabib, a expliqué qu'il serait mieux de confier cette mission exclusivement à l'Instance appelant ainsi à la suppression du ministère de la lutte contre la corruption. Etes-vous d'accord avec cela ?
Je viens de lire le décret qui a précisé les attributions du ministère de la lutte contre la corruption. C'est un ministère dont le texte juridique vient tout juste d'être mis en place. Du point de vue de l'opportunité de cela, je crains cette instabilité institutionnelle qui n'est pas bénéfique pour le pays. Ce que j'entends dire par là c'est le fait de créer, à chaque fois, des ministères, les supprimer, les fusionner etc. Nous avons déjà une instabilité politique qui ne doit pas se traduire en une instabilité institutionnelle. Cette instabilité peut même devenir contreproductive. Il faut bien évidement qu'il y ait un partage clair des attributions. A mon sens, un ministère ne peut aucunement avoir la même vocation qu'une instance constitutionnelle indépendante. Par définition, le ministère représente l'Etat et l'Administration, donc, la politique étatique dans le cadre de la lutte contre la corruption et nous en avons besoin. C'est une politique transversale qui résulte de l'ensemble des choix des structures étatiques. Mais, nous avons aussi besoin d'une instance indépendante qui représente le contrepouvoir qui peut coopérer avec le ministère. Le seul problème c'est comment éviter les recoupements dans les fonctions. Il faut qu'il y ait une coopération entre les deux. N'oublions pas que l'instance est indépendante et a, donc, un statut administratif et a plus de flexibilité et plus de souplesse dans sa gestion ce qui lui permet d'être plus efficace qu'une structure étatique. L'un n'empêche pas l'autre.
-Mais comme presque toutes les autres instances, celle de la lutte contre la corruption n'est pas encore constitutionnelle.
Je pense que tout est en cours, il y a un grand chantier aujourd'hui qui a malheureusement été interrompu par cette crise politique qui a cassé le rythme de construction des instances. Cette construction commence par les textes juridiques relatifs aux instances. Je sais que plusieurs instances ont un texte qui est déjà prêt et d'ailleurs cela fait partie des priorités des députés. C'est une question de priorités aujourd'hui et la crise politique a bloqué ce travail. N'oublions pas que c'est le pouvoir exécutif qui prépare ce travail là. Le ministère de Kamel Jendoubi a beaucoup avancé dans son sens : il y a une consultation nationale sur l'ensemble de ces projets qui était prévue pour le mois de septembre mais la question gouvernementale a pris le dessus.
-Donc vous êtes de l'avis de ceux qui ont critiqué le timing de l'initiative présidentielle ?
Je ne saurais pas vous dire si c'est une bonne ou mauvaise décision là et maintenant. Depuis l'annonce de la constitution d'un nouveau gouvernement, les ministères travaillent en veilleuse, ceci est un constat. Cela ne devrait avoir lieu puisque nous avons le principe de la continuité de l'Etat mais il y a eu cet effet qu'on le veuille ou pas. Cela a cassé le rythme du travail, c'est un fait.
-Lors de son remaniement ministériel, Habib Essid avait supprimé le secrétariat d'Etat. Aujourd'hui, il est très probable que l'on revienne vers cette fonction et qu'on laisse tomber l'idée des pôles ministériels. Est-ce que cela fait partie de l'instabilité institutionnelle dont vous avez parlé ?
Le fait que l'on abandonne l'idée des pôles, pas substantiellement mais en tant que tel, est une bonne chose parce que la question des pôles ministériels a été décidée bien avant l'arrivée de Youssef Chahed, si l'on revient à la Constitution qui stipule que parmi les responsabilités du chef du gouvernement, existe la conception, la suppression et la création des ministères. J'aurais mal vu un chef du gouvernement à qui prépare tout et à qui on limite la marge de manœuvre. C'est à lui de réfléchir sur le fait de maintenir ou d'enlever les différents ministères. L'abandon de cette structure est raisonnable et pragmatique parce que nous n'avons aucune idée sur les conséquences pratiques des changements institutionnelles. Avec toute la lourdeur administrative, les nouveaux ministères viennent tout juste d'avoir leur texte juridique. Lorsqu'on crée un ministère, il faut penser à son cadre juridique, à son budget etc. Je pense qu'il ne faut pas s'amuser, dans cette situation critique, à créer et à supprimer des ministères ; perdre du temps pour restructurer cela avec toutes les implications humaines qui vont avec peut être contreproductif. Il faut que les nouveaux ministres commencent à travailler dans l'immédiat sans perdre du temps.
-Etes-vous de ceux qui sont pour ou contre le concept du quota partisan dans la formation du nouveau gouvernement ?
Le régime parlementaire impose au parti majoritaire de gouverner, ce même régime choisi par la Constituante. Le choix de Nidaa Tounes a été autre : au lieu de gouverner et de laisser ceux qui n'ont pas remporté les élections être dans l'opposition – on aurait pu avoir un parti qui gouverne et plus d'autres qui s'opposent – le mouvement a choisi un schéma tout à fait différent. Depuis le début, on était dans une logique ‘d'union nationale', le terme n'était pas dit mais l'idée était de faire participer le maximum de partis représentés au Parlement. Le problème qu'a rencontré le gouvernement d'Habib Essid était l'absence de vis-à-vis politique. Ce même problème s'est posé, et continue aujourd'hui d'ailleurs, avec nos partenaires étrangers qui ne savent pas qui est leur vis-à-vis. Avec le gouvernement sortant, la grande question était de savoir qui était responsable de la situation, était-ce Habib Essid, les partis politiques, tout le monde ou personne ? La responsabilité politique est diluée par cette coalition et c'est l'aspect négatif de ce concept.
-Sur un autre volet de l'actualité, le parti radical, Hzzeb Ettahrrir a vu ses activités gelées pour une trentaine de jours. Ce parti serait-il le deuxième à être dissous en Tunisie postrévolutionnaire ?
Ce parti n'aurait même pas dû exister. Je me posedes questions quant à ceux qui ont examiné son dossier avant de lui accorder le visa légal. La loi organisant les partis politiques est très claire et elle est faite pour être appliquée à ma connaissance. Cette loi oblige les partis politiques à reconnaître et à respecter la République et les droits humains. La raison d'être de Hzzeb Ettahrrir est l'instauration du Califat. De ce fait, ce parti est anti-républicain et n'aurait donc jamais dû exister. Avec ce verdict, le gouvernement nous donne l'impression de vouloir rectifier le tir en gelant les activités du parti. C'est malheureux parce que certains peuvent penser qu'il s'agit-là d'un acte de répression limitant les libertés alors que c'est un parti qui n'aurait tout simplement pas dû exister.
-En dépit de ce verdict, Ettahrrir a organisé une conférence de presse et personne n'était venu le déranger. Cela est-il normal ?
Ettahrrir s'est permis de défier l'Etat parce que l'Etat n'a plus aucune autorité et là on revient à la question du respect de la loi. Nous avons plusieurs lois qui ne sont pas respectées ? Combien avons-nous de violation de lois qui passent inaperçues sinon qui sont facilitées voire encouragées par les pouvoirs publics ? Je pense que c'est l'un des plus graves problèmes que vit la Tunisie. Cela fait des années qu'à chaque fois que l'on rencontre un problème, on adopte une loi de suite après. D'accord, et après ? Dans toute démocratie qui se respecte et si on veut vivre dans un Etat de droit, la règle juridique doit émaner d'un processus participatif et de la majorité. Mais, une fois cette loi adoptée, il faut qu'elle soit appliquée. Parmi les promesses électorales de Nidaa Tounes, on avait droit au fameux prestige de l'Etat. C'est quoi le prestige de l'Etat ? C'est l'application de la loi. Aujourd'hui, rien qu'en se promenant dans la rue, nous pouvons constater à quel point les lois ne sont pas respectées dans notre pays.
S.B


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