Badreddine Ben Henda vient de publier son premier roman qui est aussi le premier récit tunisien sur la crise sanitaire actuelle et sur le confinement. « Dormances… » se veut d'abord œuvre de témoignage sur ce que la Tunisie et le monde entier ont subi comme épreuves les premiers mois de 2020. Mais c'est également une fiction propice au rêve, à l'évasion et à l'émotion. En même temps, et à la faveur de plongées multiples dans l'univers intime de chaque personnage, le roman invite au questionnement et à la réflexion sur des réalités et des enjeux complexes que la pandémie a aggravés sous nos cieux et partout ailleurs. Pour en savoir plus sur « Dormances… », nous avons rencontré son auteur qui a bien voulu nous accorder l'entretien suivant : Le Temps : On connaît Badreddine Ben Henda le poète avec ses six recueils de poésie, le nouvelliste avec son recueil de nouvelles « Le sein de Sourour » et l'essayiste surtout avec ses deux livres écrits sur Gustave Flaubert. Aujourd'hui, on découvre Badreddine Ben Henda le romancier avec un nouveau roman intitulé « Dormances… ». Comment s'est effectué ce passage d'un genre littéraire à un autre ? Badreddine Ben Henda : En fait, lorsque l'on suit l'évolution de mes créations littéraires, on constate vite que le récit est intégré assez tôt dans mes recueils poétiques à travers diverses « histoires courtes ». Ensuite, il y eut des nouvelles et d'autres histoires courtes dans « Le Sein de Sourour ». De sorte que le genre narratif était là bien avant le roman ; je veux dire que, d'une certaine manière, les récits brefs préparaient « Dormances… », l'annonçaient, l'anticipaient. D'un autre côté, je dois avouer que le rêve d'écrire un roman m'a toujours caressé, mais comme ma poésie plaisait aux lecteurs, j'ai dû différer la réalisation du rêve « romanesque ». - Dans quelle mesure le confinement a-t-il été, pour vous, une opportunité pour l'écriture romanesque ? - Dans l'enseignement, nous étions déjà en vacances quand le confinement a été décidé. Je ne pouvais tout de même pas passer vingt jours sans rien faire. C'était donc l'occasion idéale pour écrire un roman, et donc pour m'occuper utilement. - En général, les écrivains observent un certain recul pour relater des événements vécus. Pourquoi avez-vous choisi d'écrire votre roman sur le vif, en plein confinement ? Quel en est l'avantage ? - La vérité, c'est que la crise sanitaire n'est pas le sujet premier de « Dormances… » ; c'en est le prétexte et la toile de fond. D'autre part, mais toujours au sujet du coronavirus, mon roman fait la part belle aux analyses des autres, plutôt qu'aux miennes, en rapportant très souvent des commentaires entendus ou lus par les héros de l'histoire. Toujours est-il que le lecteur peut percevoir entre les lignes quelques-unes de mes opinions relatives à la situation en Tunisie ou à travers le monde. - C'est votre premier roman, mais aussi l'unique roman tunisien écrit et publié en temps de confinement. Vous réalisez ainsi une grande prouesse. Qu'en dites-vous ? - Oui ! Je l'avoue : je voulais être le premier Tunisien à publier un roman sur cette actualité très propice du reste au retour sur soi, aux débats intérieurs et à toutes sortes d'interrogations cruciales. - Si vous nous présentiez le roman en quelques mots, que diriez-vous ? - « Dormances … » est donc un roman sur ce qui nous enchaîne au quotidien bien avant la crise du Covid-19 et le confinement. C'est un roman à plusieurs voix, polyphonique si vous voulez, qui exhume ce que chacun « confine », couve, au fond de lui : il peut s'agir d'angoisses, de frustrations, de pulsions refoulées, de projets réparateurs, de modestes rêves d'émancipation et d'affirmation de soi. A travers des existences très diverses, je raconte un grand rêve foncièrement tunisien : voir mon pays respirer l'air sain et embaumé qu'il mérite. - Réalité et fiction coexistent dans ce roman (description de la crise et narration des aventures amoureuses…) Quels rapports y a-t-il entre l'une et l'autre ? - Il y a plusieurs niveaux de lecture et d'analyse, mais comme vous l'avez flairé, ils restent indissociables les uns des autres. C'est la fiction qui plante son décor dans une Tunisie et dans un monde en crise, d'où les réflexions critiques multiples portant sur la réalité complexe qui environne mes personnages, et qui nous environne tous, en fait. Mais « Dormances… » se veut drôle aussi, et suffisamment décalé même par rapport à ses héros et à l'histoire qu'il raconte. A un certain moment, le lecteur peut se demander s'il ne s'agit pas d'une grosse blague, d'une farce et d'une supercherie déguisées en roman. Remarquez par ailleurs qu'une place de choix est réservée à la poésie, et dans ce sens, on peut lire mon roman comme une vaste métaphore sur les hommes et la condition humaine. - Les personnages de votre roman ne portent pas de nom. Serait-ce un choix ? - Oui ! C'était même un pari personnel : garder le roman lisible et cohérent sans avoir besoin de nommer aucun de ses héros. Ce n'est pas par leurs noms que les personnages romanesques sont plus vivants. La preuve, c'est que beaucoup d'écrivains se contentent d'initiales, de sobriquets, de prénoms invraisemblables pour désigner leurs héros. Dans mon livre, seule la femme de ménage, une femme du peuple, porte un semblant de nom. C'est voulu, de ma part ! Et je laisse au lecteur la liberté d'en expliquer la raison. - Dans ce roman, vous faites part notamment des angoisses, des souhaits, de l'état d'esprit des protagonistes par rapport à cette crise. A part cela, y a-t-il des enseignements à tirer ou des messages à transmettre quant à l'avenir de l'humanité ? - Comme je l'ai laissé entendre dans une précédente réponse, on peut ne rien attendre comme leçon de ce roman-piège, qui déroute même son propre auteur. Mais pour parler plus « raisonnablement », je dirais que « Dormances… » déplore un certain nombre de dérives qui font que la Tunisie va mal, suffoque ! Des dérives à plus large échelle aussi qui font que la planète entière va mal et suffoque. -Quels seront vos prochaines créations littéraires ? - Pour l'instant, j'aimerais d'abord connaître le sort que les lecteurs réserveront à ce premier roman. Demain est un autre jour ! J'ai toujours des projets qu'on peut deviner en consultant régulièrement mes publications sur Face book. Chez moi, c'est par là que ça commence la plupart du temps.