"Mon oncle me disait : "Si une femme t'aimait, et si tu avais la présence d'esprit de mesurer l'étendue de ce privilège, aucune divinité ne t'arriverait à la cheville." Oran retenait son souffle en ce printemps 1962. La guerre engageait ses dernières folies. Je cherchais Emilie. J'avais peur pour elle. J'avais besoin d'elle. Je l'aimais et je revenais le lui prouver. Je me sentais en mesure de braver les ouragans, les tonnerres, l'ensemble des anathèmes et les misères du monde entier." Yasmina Khadra nous offre ici un grand roman de l'Algérie coloniale (entre 1936 et 1962) - une Algérie torrentielle, passionnée et douloureuse - et éclaire d'un nouveau jour, dans une langue splendide et avec la générosité qu'on lui connaît, la dislocation atroce de deux communautés amoureuses d'un même pays. Coup de coeur ! ce livre va me suivre sur mon île déserte ! Il est possible que d'autres lecteurs ne partagent pas ce sentiment mais cette oeuvre, sous forme de livre audio m'a parlé et continue à résonner dans mon esprit. Ce que le jour doit à la nuit, c'est d'abord un récit poétique, une écriture merveilleusement musicale ! C'est ensuite un récit d'un style particulier : Jonas, le narrateur se raconte en livrant les moindres recoins de son existence à Oran, puis à Rio Salado. Personnage transparent qui se pose en témoin des événements heureux, tragiques, violents qui sculptent son être. Ce que le jour doit à la nuit, c'est le roman des amoureux de l'Algérie que dis-je des amoureux, des nostalgiques de ce pays perdu pour eux, pays où les confessions se côtoyaient pacifiquement, se respectaient et partageaient leurs richesses, c'est le cri de l'Algérie déchirée par la guerre, c'est l'histoire d'un amour magnifique parce que défendu. Yasmina Khadra emmène le lecteur dans l'Algérie d'autrefois sans mélanger romantisme avec excès d'historique politique, n'étant pas le but. Car c'est avant tout un roman sur l'amour, l'amitié, le fait de donner sa parole, l'honneur, l'amour de sa patrie. Un roman sur la complexité des relations entre les êtres humains de cultures différentes et où chacun est attaché à son lieu de naissance: l'Algérie. On a un développement concret et entier de l'intrigue, qui prend bien le temps de se mettre en place, de se dérouler et de se conclure. L'immense avantage de l'histoire est de s'ancrer dans des évènements précis tout en ne s'y attardant pas trop longtemps. Les évènements constituent simplement un contexte dans lequel est placé une romance, qui du coup passe beaucoup mieux elle aussi. On suit l'évolution des personnages au travers de ces longues années, le changement de comportement, leur amitié... Certes l'amour contrarié à perpétuité des deux protagonistes suscite plus l'agacement que l'émotion, mais permet de survoler une tranche de notre histoire qui laisse encore des plaies ouvertes. Ce roman est profondément humain, généreux. Et il nous ramène à la dignité d'être, et de ne rien oublier, du pire mais du meilleur aussi. Il parle des racines, de tout ce qui construit une vie, du courage d'être, sans mièvrerie, sans concession, sans facilité, et sans mensonge. Il est vrai. Il témoigne de la complexité d'être … entre deux rives. Et il se veut réconciliant, ce qui, par les temps qui courent, tient de la bouteille à la mer. La terre appartient-elle à ceux qui l'on vu naître? À ceux qui la défendent? À ceux qui croient en elle? Ne pourrait-elle simplement appartenir à ceux qui l'aiment?... Quelle qu'elle soit... J'aime la sagesse que prend l'oeuvre de l'auteur, et le travail remarquable dont il fait preuve. " L'avenir appartient à ceux qui croient à la beauté de leurs rêves."... Des vérités pour chaque âge de la vie « Un jour, sans doute, on pourrait rattraper une comète, mais qui vient à laisser filer la vraie chance de sa vie, toutes les gloires de la terre ne sauraient l'en consoler. » Ayant vu récemment le très beau film d'Alexandre Arcady, je n'ai eu de cesse de lire le roman original. C'est désormais chose faite et ce premier contact avec Yasmina Khadra a sonné pour moi comme une révélation. Dans l'Algérie rurale des années 30, la famille du jeune Younes a tout perdu avec l'incendie de ses récoltes. le père va tenter sa chance à Oran, mais le mauvais sort s'acharne... Confié à son oncle pharmacien, Younes devenu Jonas est sauvé de la misère ; il ne reverra plus jamais les siens. C'est à Río Salado, bourg fertile proche d'Oran, où son oncle et sa tante déménagent, que Jonas va grandir, nouer de solides amitiés, puis s'éveiller à l'amour sans se douter des conséquences de cet élan de jeunesse... L'écriture de Yasmina Khadra – de son vrai nom Mohammed Moulessehoul – est intense et poétique, pleine de sagesse et de bienveillance, à la gloire de l'amour et d'une terre : l'Algérie. Grâce à des personnages réalistes, dont certains, comme l'oncle de Younes, véritable humaniste, sont très attachants, l'auteur fait passer un message d'ouverture et de tolérance. Il rappelle aussi la place primordiale des femmes dans la société, à l'heure où l'islamisme cherche à les exclure. Choisir pour pseudonyme littéraire les prénoms de son épouse est un symbole fort qui montre son attachement à cette cause. Livré aux caprices du destin, Younes / Jonas est le spectateur de sa propre vie et de la guerre qui déchire l'Algérie. En amour comme en politique, il retarde le moment de l'engagement, s'embourbant dans une situation ambigüe qui le frustre et le fait souffrir. Dans cet homme presque étranger à lui-même, sous le soleil de plomb d'Oran la luxuriante, on pourra déceler un clin d'oeil à Camus. Mais le parallèle s'arrête là, car sous cette apparente retenue, l'attirance de Younes pour Emilie a la force de la passion entre Solal et Ariane dans Belle du Seigneur. Sauf qu'ici le héros n'ose pas braver les interdits pour enlever sa belle, causant un gâchis à la démesure de leur amour. Sur fond d'histoire coloniale, "Ce que le jour doit à la nuit" appréhende la complexité de l'être humain, le poids du passé et des origines dans la construction d'une personnalité, la part d'ombre et de lumière en chacun de nous. Une pépite à lire, et certainement à relire, tant on y trouve de vérités pour chaque âge de la vie.