«Un homme en colère» de Salim Bachi : magnifique livre qui décrit la colère, la révolte et la douleur d'un jeune-homme devant l'incompréhensible et l'inacceptable. Incompréhensible et inacceptable l'attentat au Bataclan, incompréhensible et inacceptable la mort de sa jeune soeur, incompréhensible et inacceptable la vie qui continue autour de lui, dans l'oubli du drame. Ce roman reprend le ton d'un roman d'apprentissage. Le narrateur y fait une critique sociale à la fois lucide et acérée de la société contemporaine et en particulier du milieu des élites bourgeoises. On suit Tristan, le narrateur, le temps d'une journée dans Paris où il cherche une échappatoire à sa colère suite au traumatisme de la mort de sa soeur. Le texte est souvent humoristique et sarcastique dans la façon dont il dénonce l'hypocrisie de la société sur pas mal de sujets mais est aussi émouvant car c'est aussi l'histoire d'un deuil très difficile pour le jeune homme qui ne sait contre qui ou quoi retourner sa révolte. Tristan, le narrateur, a dix-huit ans. Rien ou presque ne trouve grâce à ses yeux dans le monde d'aujourd'hui. Sa mère est une snob ; son père, écrivain à succès, ne produit selon lui que des nullités. Il est en colère contre tout : les livres, les peintures, les filles? D'où vient cette révolte qui s'exprime dans un langage très savoureux, à la fois cru et raffiné ? On le devine peu à peu : Eurydice, la soeur bien-aimée de Tristan, est morte à Paris dans des circonstances tragiques. Sous le soliloque radical et rageur contre l'époque, ses hypocrisies et ses faux-semblants, affleure le chant d'amour à ce qui est perdu. Un homme qui vomit le monde qui l'entoure Le jeune homme a survécu aux attentats du Bataclan. Plusieurs mois après il n'a toujours pas repris le dessus. Tristan vomi le monde qui l'entoure, personne ne trouve grâce à ses yeux. Fils d'un écrivain célèbre, il traine sa colère dans les fêtes branchées des grands appartements haussmanniens, il ne peut oublier Eurydice, sa soeur morte dans ses bras le 13 novembre 2015. Il ne se rend pas compte qu'en se nourrissant de l'indifférence du monde qui l'entoure, sa rage est en train de le détruire peu à peu. Court et efficace roman sur l'après Bataclan, le récit de Salim Bachi, après son récit ‘'Dieu, Allah, moi et les autres'', rappelle « L'attrape coeurs » de Salinger. Roman moral sur une remise en question dans un monde superficiel que rien ne semble ébranler, Tristan après son errance aura grandi. L'apprentissage de la vie passe toujours par la perte précieuse de personnes aimées. Cette douleur qui, au début, se traduit par un regard exacerbé et incisif sur tout ce qui l'entoure, juste ton de la jeunesse, et qui, à la fin, révèle souvent des élans poétiques voire métaphysiques. Comme si le deuil trouvait un arrangement avec l'au-delà pour que la vie puisse continuer malgré tout. « Je veux pour l'éternité être charrié par le Meltem, ce vent qui souffle entre ces îles où la lumière du soleil pleut, où le ciel et la mer se déploient, mêlés comme deux amants aux corps immenses dont les voiles translucides flottent et dansent à des hauteurs inconnues. Je veux nager parmi ces poissons d'argent, dériver entre ces archipels brûlés, rouler avec les coquillages et les sables, emportés par les courants marins qui circulent, éternels naufrageurs, au large des rives. », écrit-il Le texte est cru, ont pourrait même le trouver humoristique, pour décrire la force du chagrin de Tristan. On a beaucoup d'empathie pour ce jeune homme que l'auteur nous rend sympathique malgré son vocabulaire. On comprend son chagrin, on a envie d'être là pour lui, de l'écouter, de le réconforter et d'envoyer promener tous les autres. Depuis le décès de sa soeur, le chagrin de Tristan est sans remède. Il n'envisage plus la vie de la même manière depuis « cette horrible nuit où furent déchiquetées ses illusions et sa soeur en même temps. » Un homme qui ne supporte plus l'hypocrisie sociale Ces anciens amis d'avant ne lui parlent plus, ont disparu sans donner de nouvelles, lui donne l'impression de compatir à son chagrin avant de lui reprocher sa tristesse. Tristan se rend compte que ces amis d'avant non pas changé, n'ont rien appris depuis les attentats, sont toujours aussi peu consistants. Ils ont versé des larmes les premiers jours mais sont vite passé à autre chose au point maintenant de ne plus comprendre la tristesse toujours vive de Tristan. Tristan est désormais seul face à son deuil. Il ne s'exprime plus qu'avec des injures, c'est sa façon à lui d'extérioriser son chagrin. Il cherche un exutoire à sa tristesse et l'a enfin trouvé dans l'usage de la violence. Il est en colère, il en veut à la Terre entière! Il parcourt Paris à la recherche des fantômes qui le hantent. Salim Bachi nous offre un roman poignant, émouvant mais aussi une critique sociale de notre société contemporaine et du milieu des élites bourgeoises habituées à vivre dans leurs petits cocons et dont il dénonce l'hypocrisie. Je me suis senti très proche de ce jeune homme, parcourant les mêmes rues que moi, errant dans les mêmes lieux que moi: rue Lepic, le cimetière de Montmartre, et bien d'autres... On ne restera pas insensible à ce garçon qui a tout perdu, à sa douleur et son chagrin. « Paris est rempli de Charles-Henri qui vivent sur le nom de leurs parents. S'ils se contentaient juste de bouffer les miettes qu'ils leur laissaient, mais non, il fallait encore qu'ils en fassent des tonnes, jugent ceux qui n'avaient pas eu les mêmes chances qu'eux, empêchent les meilleurs de prendre leur place au soleil. Certains tentaient de faire oublier d'où ils venaient, mais ils étaient rares. La plupart s'en enorgueillissaient comme d'une naissance royale et s'attendaient à des égards de votre part. » lit-on.