Issam Bouguerra a été sélectionné pour les Talents Durban (Afrique du Sud) avec son scénario «10.628» (voir notre édition du 5 août 2020). Malgré la fatigue engendrée par la finition de son projet, il a eu l'obligeance de répondre à nos questions autour de son premier long métrage, tiré d'une histoire personnelle... Pourquoi y avoir posé votre candidature aux Talents Durban ? Issam BOUGUERRA : Tout d'abord, je dois m'expliquer car je ne me rappelle plus très bien quand j'ai fait ma candidature. En fait, cela faisait un moment que j'essayais de finir le scénario de «10.628». Je voulais le présenter à l'appel à candidature pour le fonds d'aide du ministère des Affaires culturelles. J'ai arrêté plusieurs fois l'écriture parce qu'il fallait que je traduise le synopsis en différentes langues afin de présenter le projet à de potentielles aides à travers le monde. Puis, j'ai décidé d'arrêter d'envoyer les candidatures pour me concentrer uniquement sur le scénario, et ce, cinq mois avant la date limite pour ce fonds d'aide du ministère. J'écrivais le scénario en français et les dialogues en dialecte tunisien. Quand la réponse de Durban est arrivée, j'avais oublié quand j'avais envoyé la candidature et pourquoi, d'autant plus que, à cette époque-là, l'écriture du scénario m'avait épuisé. J'ai reçu le programme de Durban sans savoir vraiment ce qui m'attendait. Durban utilise plusieurs logiciels de meeting (NDLR : la pandémie de la Covid-19 a obligé à une session virtuelle des Talents) comme Zoom, House Party, Skype, Hangouts, et ce, à différentes heures. J'ai loupé plusieurs conférences. Il m'a fallu deux semaines pour comprendre le système. - Qu'attendez-vous de votre participation ? - Les Talents de Durban est un programme pour aider à l'écriture du scénario, alors que j'avais déjà terminé le mien quand leur réponse m'est parvenue. Toutefois, j'ai discuté avec mon mentor Moussa (NDLR : Sene Absa, cinéaste sénégalais). Il m'a dit que le scénario était bien. Il m'a fait quelques petites remarques, montré quelques petites rectifications à faire. Maintenant, je n'attends rien de Durban. Je termine la candidature parce que je l'ai commencée. J'aurais dû postuler pour le forum finance. Mais, comme à l'époque de l'appel à candidature, mon scénario n'était pas prêt, j'ai postulé pour les Talents. Je suis satisfait de mon scénario. Il ne me reste plus qu'à le stabiliser au niveau des dialogues selon les personnages. Je dois aller voir un avocat pour avoir le vocabulaire d'un avocat, des anciens détenus, etc. En fait, il ne me reste qu'un travail de finition à faire. - Que signifie «10.628», le titre de votre long métrage ? - «10.628» était mon numéro quand je suis rentré en prison. Le scénario est inspiré de mon emprisonnement en 2015 parce que j'avais frappé un policier. J'ai pris dix mois. J'ai fait appel et la peine a été réduite à trois mois que j'avais déjà faits en attendant la décision. - A quand le tournage ? - J'ai commencé à écrire mon scénario en 2018, et, à l'époque, je me disais que si tout allait bien, je commencerais le tournage en 2022. Tout cela dépend de la réponse du ministère des Affaires culturelles, en décembre prochain. Je verrais après cela si je postulerais pour d'autres aides. Pour le moment, la balle est dans le camp du producteur. - L'action de votre fiction se déroule en 2011, année de la révolution. Pourquoi avoir choisi cette période alors que la bureaucratie et la corruption du système judiciaire existent depuis toujours et continuent d'exister ? - L'action se déroule à la fin de 2011, un peu en 2012, et en 2013. J'ai choisi 2011 parce que c'était la fin d'un système corrompu jusqu'à la moelle. 2011, c'est l'année durant laquelle le peuple tunisien a essayé de comprendre la notion de liberté. Le problème est que cette notion de liberté n'a pas été comprise de la même manière. C'était le chaos. Le peuple tunisien n'a jamais été libre. Il a vécu sous une succession de colonisations, de dictatures. Il a commencé à faire des choses absurdes et du n'importe quoi. J'ai vu des choses «incroyables». 2011 a amené l'absurdité. C'est pour cela que j'ai choisi cette année. - «10.628» est votre premier long métrage... - C'est mon premier long métrage, mais j'ai une expérience de dix ans. J'ai travaillé comme copyright, cinq ans comme designer. J'ai étudié pendant deux ans la production de films. J'ai passé des années à faire des exercices à la télé. Je suis entré à la télé pour pouvoir réaliser mon projet selon les règles, les normes de l'art. J'ai passé dix ans à faire des expériences à la télé afin de forger mon style. - Où se déroule l'action de votre long métrage ? L'on sait que vous êtes attaché à votre ville natale Kairouan... - L'action se déroule à Tunis. Quelques scènes se situent à Kairouan quand le père du personnage principal se rappelle son passé. Je ne me sens pas attaché à ma ville natale. Je ne me sens attaché à rien. J'ai choisi Kairouan parce que je la connais très bien. Je peux dégager de ses rues de très bons plans. Je sais comment ses habitants parlent, pensent. Je connais sa lumière. Beaucoup d'artistes, peintres, comme Paul Klee, et photographes ont parlé de la lumière de cette ville, des réfractions produits par les murs de chaux blanche et de pierres qui font ressortir la beauté de l'image. Je choisis de tourner à Kairouan pour cela et non parce que j'aime tourner dans cette ville. Elle est éloignée de la capitale, si tu ne prends pas tout le matériel de tournage avec toi, tu te retrouves coincé. Les gens ne sont pas habitués aux tournages et cela pose des problèmes. Ils s'attroupent, posent des questions. En plus, Kairouan est la ville des extrêmes : soit l'extrémiste religieux, soit athée à fond. Il y a, aussi, beaucoup de fous. Si tu veux tourner à Kairouan, tu dois le faire cacher dans une maison. Je dis cela même si j'ai tourné plusieurs fois dans la ville.