Un an après des manifestations monstres inédites, les Libanais marquaient hier le premier anniversaire d'un soulèvement populaire ayant secoué une élite politique accusée de corruption et d'incompétence, sans que cela aboutisse à de véritables réformes dans un pays en plein effondrement économique. Deux gouvernements ont démissionné depuis le début de la contestation le 17 octobre 2019. Mais les mêmes politiciens --souvent d'anciens seigneurs de la guerre civile (1975-1990)-- les mêmes partis et les mêmes familles patriciennes monopolisent toujours le pouvoir. «Tous veut dire tous», ont scandé les protestataires pendant des semaines, réclamant le départ de l'ensemble de la classe politique, avant que leurs rassemblements ne se raréfient. Samedi, des dizaines de manifestants brandissant des drapeaux libanais ont commencé à rallier l'emblématique place des Martyrs, épicentre de la contestation à Beyrouth, a constaté un photographe. «Système confessionnel, corruption, faim», pouvait-on lire sur une pancarte sur laquelle figure une carte du Liban. Dans l'après-midi, un cortège doit se rendre au port, où une explosion cataclysmique a fait plus de 200 morts et 6.500 blessés. Une veillée est prévue à 18H07 (15H07 GMT), heure à laquelle Beyrouth basculait dans l'enfer le 4 août. Près du site de la déflagration, des protestataires ont installé une sculpture en métal représentant une torche, sur laquelle était gravé en arabe «révolution du 17 octobre». «Je n'ai pas encore perdu espoir, parce que nous sommes toujours dans les rues, les uns avec les autres, face à un gouvernement corrompu», assurait Mélissa, militante et manifestante infatigable. Mais dans un pays traumatisé et éreinté par la crise économique, les rassemblements monstres des débuts, mobilisant certains jours des centaines de milliers de personnes, sont devenus de plus en plus sporadiques et ont été violemment dispersés par les forces de l'ordre. La contestation avait éclaté en raison d'une taxe gouvernementale sur l'utilisation de WhatsApp. Malgré la suppression de cette mesure, le soulèvement avait gagné l'ensemble du pays, illustrant un ras-le-bol généralisé contre un système sclérosé et des services publics quasi inexistants. «Songe d'une nuit d'automne», titre samedi sur un ton shakespearien le quotidien Al-Akhbar, en référence aux aspirations des premières heures. Malgré les «nombreux efforts» des contestataires, le politologue Jamil Mouawad déplore sur Twitter un «manque de programme politique et de leadership» au sein du mouvement ce qui rend les «progrès plus difficiles». Depuis un an le pays traverse une grave crise économique marquée par un effondrement de la monnaie nationale et des restrictions bancaires draconiennes sur les retraits et les transferts à l'étranger. A cela s'ajoutent une inflation galopante, des dizaines de milliers de licenciements et des coupes salariales. Des difficultés accentuées par la pandémie de Covid-19. La moitié de la population vit dans la pauvreté et de plus en plus de jeunes fuient le pays. «Tout au long d'une année catastrophe, les griefs et les demandes légitimes des Libanais n'ont pas été entendus», a déploré le coordinateur spécial de l'ONU pour le Liban, Jan Kubis. «Tout cela a encore aggravé le manque de confiance des Libanais envers leurs dirigeants.» A Tripoli, ville pauvre du nord devenue un des épicentres de la contestation, les manifestants se sont mobilisés dès vendredi soir. «Nous saluons notre révolution, elle continue, elle ne mourra pas tant que nous n'aurons pas concrétisé nos revendications», assène Taha Ratl. Mais la classe politique est toujours là, absorbée par des marchandages interminables visant à former un gouvernement, ignorant les appels de la communauté internationale à enclencher des réformes. Le gouvernement de Hassan Diab a démissionné dans la foulée de l'explosion, dont la responsabilité est imputée par une grande partie de l'opinion à l'incurie des dirigeants. De l'aveu même des autorités, l'explosion a été provoquée par une énorme quantité de nitrate d'ammonium, stockée depuis plus de six ans «sans mesures de précaution». Initialement prévues jeudi, des consultations parlementaires visant à désigner le futur chef du gouvernement ont été reportées d'une semaine par le président Michel Aoun. Ironie du sort, Saad Hariri, ancien Premier ministre qui avait démissionné en octobre 2019 sous la pression de la rue, se dit désormais disposé à prendre la tête d'un nouveau gouvernement.