C'est en partenariat avec l'association des amis de Carthage que la galerie Imagin présentera à partir du 4 décembre, la nouvelle collection de l'artiste Olga Malakhova. Avec plus d'une cinquantaine de tableaux, cette collection est un bréviaire amoureux de l'Antiquité tunisienne, avec la touche personnelle d'une artiste talentueuse qui ose le pari du métissage de plusieurs traditions. Un regard singulier sur le patrimoine Si la nouvelle collection de l'artiste Olga Malakhova révèle une chose, c'est bien la continuité esthétique dans son projet actuel. Que ce soit au niveau des couleurs, de l'agencement ou de la profusion des signes, il existe une constante évidente qui relie entre elles, les oeuvres récentes de Malakhova. En fait, au-delà de l'aspect strictement formel, cette collection nous place dans une triple continuité qui, de plus en plus, structure les approches de l'artiste dont les racines sont multiples. Russe d'origine, Estonienne de naissance, Tunisienne d'adoption, Malakhova brasse les identités pour les fondre dans sa peinture. Entre la nécessité intérieure invoquée par Kandinsky et la profusion joyeuse d'un Chagall, Malakhova se situe dans une confluence fertile qui ne renie pas les artistes tunisiens ayant nourri son regard. Par touches subtiles, des réminiscences de Gorgi, Ben Abdallah ou Dhahak, traversent ses oeuvres passionnément métissées. Toutefois, il s'agit là de matrices, de grammaire d'une oeuvre qui fait se rencontrer plusieurs traditions qui habitent littéralement l'artiste. Les continuités que nous évoquons sont ailleurs et tout d'abord dans un rapport essentiel au patrimoine. L'œuvre de Malakhova est un éloge immuable des éclats de patrimoine qui sont notre héritage commun. L'artiste a depuis longtemps installé son dispositif quelque part entre notre inconscient collectif et les archétypes qui résonnent en nous. Certaines peintures parviennent à s'incruster dans notre for intérieur et c'est le cas pour celles de Malakhova dont l'imagerie et les signes nous interpellent. Ce rapport au patrimoine est fondamental chez cette artiste. Non pas au nom d'une propension à reproduire notre héritage mais grâce à une capacité innée à le sublimer, le mettre en mouvement, le transfigurer. Cette continuité précise irrigue la nouvelle collection de Malakhova. L'artiste puise dans différents registres qui vont de l'Antiquité au vingtième siècle, mêlant allègrement masques carthaginois, mosaïques romaines, calligraphie arabe et poupées russes ou siciliennes. La patine des siècles traverse chaque tableau, générant de surprenants téléscopages et comblant des hiatus entre les figures toujours frémissantes de notre legs immémorial. Il y a enfin une dimension impalpable, difficilement perceptible dans ce rapport au patrimoine. Malakhova instaure dans son approche, une sorte de rituel qui vient rappeler fort à propos que l'art hier, était inséparable de l'exercice de la foi. L'imaginaire de l'artiste semble fécondé par une esthétique qui n'a pas coupé les liens entre la création artistique et la religion. La puissance et la fragilité celées dans chacune des œuvres évoquent fortement cette tentation prométhéenne ainsi que la vocation de l'artiste à tutoyer les idoles. Un matrimoine est-il possible ? Une autre continuité remarquable dans la démarche de Malakhova est représentée par la présence diffuse, irradiante et allégorique de la femme. Source de vie, acteur de l'histoire, symbole de vertu, le sexe faible est remis à sa juste place et contribue fortement à l'univers malakhovien. On pourrait à juste titre évoquer une peinture du matrimoine qui vient instaurer un second versant à l'héritage du père. Les femmes sont partout dans cette nouvelle collection de Malakhova qui en cela poursuit une recherche à la fois esthétique et historique. Comment écrire ou plus précisément peindre quelques fragments de l'histoire des femmes ? Comment rendre compte de la beauté qui jaillit du geste d'une fileuse antique ou de la majesté légère d'une bédouine? Ces équations, Malakhova les résoud avec bonheur, avec une joie presque enfantine, qui restitue grandes figures et anonymes exemplaires. De Elyssa à Jazia, de Kahéna à Othmana, les femmes du récit national sont présentes dans le bouillonnement de l'œuvre où elles prennent valeur de métaphore du destin, du courage et du sens de l'histoire. Autant que le patrimoine, l'éloge du féminin est une constante incontournable dans l'œuvre de Malakhova. À proprement parler, ce sont là les deux socles de la méthode d'une artiste qui sait subjuguer par sa sémiotique, par le sens qu'elle donne à chaque fragment, par la cohérence esthétique à laquelle elle aboutit. Cette nouvelle collection est l'occasion pour Olga Malakhova de suggérer une troisième continuité dans son travail. Le recours à l'humour constitue cette autre dimension dans la démarche de l'artiste qui dissémine dans ses tableaux, des personnages, des animaux, des objets inattendus et une indéniable profusion visuelle. Cette gaîté fondatrice est partie intégrante de l'univers de Malakhova. Sans elle, les oeuvres deviendraient convenues, platement allégoriques et sans surprise. Au contraire, tout en ne perdant jamais de vue la charge symbolique, Malakhova instille dans ses oeuvres, une multitude de détails, un foisonnement perpétuel qui, très souvent, fait la part du jeu et du sourire. Le monde de Malakhova est ainsi: peuplé de mythes et de lurons, de totems sans tabous, d'un brouhaha qui remonte les siècles, d'un jaillissement chromatique aux allures de vertige. À la frontière poreuse entre la stratégie d'une conteuse facétieuse et celle d'une plasticienne aux mille et un ressorts, Olga Malakhova devient la narratrice décalée d'un patrimoine/matrimoine toujours réinventé. Une touche d'humour et de surréalisme Bien sûr, l'œil critique pourrait déceler bien d'autres continuités dans l'œuvre récente de Malakhova. Son art de faire fusionner iconographie byzantine et motifs des terroirs tunisiens n'est pas le moindre de ses atouts. L'artiste ne marie-t-elle pas à merveille poupées russes et femmes voilées ? Ne sait-elle pas mieux que tout autre artiste mêler dans la plus singulière des fusions des registres pourtant éloignés ? Cette propension au métissage de deux Orients est suffisamment rare pour être saluée comme il se doit. De même, de nombreux ferments sont à l'oeuvre dans la nouvelle collection de Malakhova. Ce sont la présence des mosaïques, des tapis et des motifs de la céramique, tous engagés dans une dialectique fusionnelle. Ce sont les centaines de traces et bribes de sens qui occupent la toile. Ce sont aussi les géométries et les ruptures spatiales qui parcourent les oeuvres. Lumineuse, paradoxale et frémissante, la collection "Inspirations carthaginoises" se présente en quatre volets distincts et complémentaires. Au total, soixante-huit oeuvres témoignent d'un parcours dans les siècles de Carthage. Les plus surprenantes représentent la reine Didon en Lady Elyssa. Les plus surréalistes s'inspirent des mosaïques antiques pour créer des scènes contemporaines qu'on dirait jaillies d'une peinture sous-verre. Les plus attachantes sont ces miscellannées, surgies de l'imagination de l'artiste. Dans cette brillante série carthaginoise, ce qui ressort également, ce sont ces terracotta inspirées de la tradition chrétienne. De cet ensemble se dégagent une ferveur intacte et une ardeur novatrice. Il s'en dégage aussi une autre iconographie de la Karthago et de l'Africa antiques. Dans sa quête infinie, Olga Malakhova n'a pas fini de nous surprendre. Avec cette nouvelle collection, elle ouvre de nouvelles perspectives sur les rapports entre histoire et art moderne. Elle investit aussi de nouveaux champs esthétiques tout en restant fidèle aux continuités remarquables qui fondent son travail artistique.