Russe et Tunisienne à la fois, Olga Malakhova donne rendez-vous à son public à la galerie Saladin pour une exposition qui fera date. Inspirée par les poupées russes, les sculptures antiques de Vénus et les signes et symboles de l'art tunisien, cette collection métissée est tout simplement jubilatoire. A découvrir à partir du 10 mars! Au fond, de Tallin à Gafsa, il n'y a qu'un pas que l'artiste russe Olga Malakhova a fait il y a déjà 25 ans. Installée au début des années 1990 dans le sud tunisien, elle soutiendra son mastère à Gabès avant de terminer une thèse de doctorat sur le paysage tunisien à l'université de Paris VIII. Depuis, Malakhova a fait bien du chemin qui lui a permis de marquer sa présence dans le monde artistique tunisien. Participant à de nombreuses expositions, devenue pleinement Tunisienne, Malakhova a également mené de nombreuses actions à la tête de l'Association Capsa pour les arts. Remettant à l'honneur les tissages du sud, découvrant le pays profond, elle enrichissait sa palette et allait chercher ses inspirations au fin fond des terroirs et dans les méandres de l'histoire. Le bilinguisme des signes Cette démarche, ouverte et teintée d'une curiosité infinie, la mène aujourd'hui à une grande exposition personnelle qui se déroulera à partir du 10 mars à la galerie Saladin. Ce cheminement qu'elle appelle "mes 25 ans de maturation" a débouché sur une collection d'oeuvres surprenantes, véritablement innovantes et celant en elles de subtils métissages entre sa Russie natale et sa Tunisie d'adoption. La femme est le personnage central de cette collection qui comprend 45 tableaux de différents formats. La femme y est métaphoriquement représentée par le biais de poupées russes - les fameuses matriochkas - baignant dans un univers plastique tunisien qui fourmille de références. Ce sont ainsi les tissages géométriques, les personnages de peintures sous-verre et même les figurines de Sejnane qui renaissent, transfigurés, aberrants et splendides dans un réseau de signes pleinement maîtrisé. Tous les registres de l'art naif tunisien sont ici mis en regard avec ces matriochkas venus d'ailleurs dans un téléscopage des plus subtils. Les toiles sont à l'image de l'exubérance, riches de mille détails, déconstruites et reconstruites pour que la fusion des archétypes se réalise subtilement. Olga Malakhova y met beaucoup de talent, tout en s'attachant à affirmer son bilinguisme des signes. Par moments, c'est l'éclatement qui domine, la perception d'un univers plastique improbable, situé entre le Douanier Rousseau et Frida Kahlo ou mieux en plein coeur de l'art naif tunisien enrichi par une touche iconique russe. Simultanément, certaines oeuvres dégagent humour et sérénité tout en s'adossant à une tradition picturale tunisienne qui annexe le regard de tous les grands maîtres du vingtième siècle. De Gorgi à Dhahak en passant par Guermassi, Malakhova sait intégrer les influences que nous portons tous. Et en cela, elle prouve que son regard propre est profondément tunisien c'est à dire pétri par une tradition et mu par une démarche structurante. Un socle antique pour une démarche contemporaine Olga Malakhova ne s'arrête pas en si bon chemin. Au-delà des matriochkas, son regard est aussi interpellé par les terres cuites de l'Antiquité. Dans chacun de nos grands musées, les petites sculptures de Vénus dans diverses attitudes ont retenu l'attention de cette artiste. Entre Vénus impudiques ou triomphantes, la palette de ces terres cuites est des plus riches. Toutefois, étant donné leur petite taille, il faut un oeil expert pour les remettre en mouvement et les intégrer dans une démarche d'art contemporain. Malakhova le fait avec bonheur et tisse des liens inattendus entre ces Vénus antiques devenues le socle de sa démarche et les femmes contemporaines, mythiques ou réelles. Dès lors, c'est une sarabande d'attitudes qui naissent par la magie de l'art. Désormais reliés virtuellement et symboliquement à Vénus, les personnages féminins instaurent un monde grouillant de signes comme le poisson, le voile ou la lettre. Le regard évolue dans cette forêt de symboles et parvient à reconstruire la démarche de l'artiste qui, forte d'un lien invisible avec l'antique, sublime et affole des personnages comme issus d'une impalpable Olympie. Prolongeant ses interactions, Malakhova complète sa nouvelle collection avec des toiles qui détournent des oeuvres aussi connues que la Joconde promue Lella Mona Lisa ou affublée d'une pipe et dénommée Ommek Tangou. Et là encore, l'artiste enveloppe ses personnages chimériques dans un flux de signes qui dégage et affirme l'appartenance de ses oeuvres à la Tunisie. Maîtrisant pleinement son réseau de références, Olga Malakhova n'oublie pas sa dette à l'égard de Kandinsky. Elle cite ainsi dans l'espace de ses toiles aussi bien l'exigence de spiritualité que cette nécessité intérieure qui taraude tout artiste véritable. Dans cette optique, Malakhova induit que sa démarche est pleinement raisonnée, que son travail répond à une matrice intellectuelle pleinement élaborée et qui donc n'a rien à voir avec l'univers jaillissant des artistes naifs. Toutefois, chez elle, le jaillissement surgit dans l'économie générale de l'oeuvre. En d'autres termes, ce qu'on pourri appeler son "anxiété créatrice" vient parachever son travail conceptuel. Avec beaucoup de joie et une jubilation contagieuse qui émane des signes et symboles qui nourrissent sa collection, des matriochkas affolées et des Vénus éberluées qui peuplent ses tableaux et du patient métissage des flux et des formes. Un travail profondément original, foncièrement contemporain et une artiste qui, en plein souffle créateur, parvient à instaurer une touche inimitable.