« La Dernière traversée », le dernier roman de Habib Falfoul, écrivain tunisien bilingue, vient de sortir aux Editions Maxi Print. C'est le quatrième livre après la publication de trois autres aux Editions Arabesques : « La civilisation Occidentale » en 2011 (un essai), « Les impressions restent » en 2012 (un roman en arabe) et « L'éternel retour à la terre » en 2013 (un roman en français). Le nouveau roman pourrait se considérer comme étant un roman historique, dans la mesure où les événements relatés se situent dans une époque déterminée de l'histoire de la Tunisie, soit entre 1962 et 1971, une période cruciale de la Tunisie récemment indépendante, marquée surtout par l'expérience économique vécue en Tunisie, à savoir le « système coopératif ». Il ne s'agit pas d'un compte-rendu ou d'une analyse systématique, ou encore d'une relecture de l'histoire de cette époque, loin s'en faut, mais les faits de l'histoire et les personnages, évoluant dans ce cadre historique, sont influés d'une manière ou d'une autre par ce contexte. C'est un roman volumineux qui comporte 300 pages, divisé en trois grandes parties ayant chacune plusieurs chapitres. A travers les faits, les jeunes lecteurs d'aujourd'hui, ignorant peut-être cette période cruciale de l'histoire de leur pays, peuvent la (re)vivre en se mettant dans la peau de chacun des personnages. A vrai dire, il s'agit de plusieurs histoires qui relatent la vie des personnages ayant vécu dans cette période et qui se distinguent surtout par leurs caractères, leurs valeurs, leurs agissements, leurs rêves et leurs destins. Quoique les personnages soient réels et les faits véridiques, suite à une recherche documentaire importante effectuée par l'auteur, il y a cependant une grande part de fiction, notamment au niveau des rapports entre les personnages et ceux que ces derniers entretiennent avec les milieux et les circonstances, même au niveau des thèmes abordés dans ce roman : la vie sociale, l'émigration, l'exil, l'amour, l'argent... Le roman commence par une description, longue mais fidèle, des années du « système coopératif » en Tunisie, la situation socio-économique désastreuse pour l'économie tunisienne, la souffrance des agriculteurs et surtout l'impact néfaste de cette politique sur les jeunes tunisiens qui préféraient fuir le pays et émigrer surtout en Europe. Puis, le narrateur nous raconte cette traversée périlleuse en Méditerranée à bord d'un bateau, transportant l'un des personnages qui a préféré quitter le pays, qui fait naufrage, mais sauvé in extrémis au large de la France. La dernière partie est consacrée aux étudiants tunisiens en France : Amine, étudiant en Histoire à la Sorbonne, son ami Tahar suit des études paramédicales à l'Ecole Supérieure de la Santé de Paris et Dominique, femme richarde, propriétaire d'un appartement où réside Tahar. L'auteur peint les mœurs, les caractères et les comportements de ces deux tunisiens, diamétralement opposés : Amine passe par une expérience existentielle et se pose des questions sur la vie, le monde, la mort, la religion et finit par se retourner vers le Coran, ce Livre Saint où il retrouve le salut et la paix. Il retourne en Tunisie après avoir fini ses études pour faire profiter son pays de ses connaissances et contribuer à son développement, notamment en matière de la formation professionnelle et de la création de postes d'emplois. Le second, Tahar, semble avoir d'autres chats à fouetter, surtout après avoir logé chez Dominique, cette propriétaire devenue milliardaire grâce à un héritage. Il est tenté par l'idée de revenir en Tunisie pour investir dans l'hôtellerie grâce à l'argent de son amie Dominique... Tahar est prêt à tout faire pour réaliser son rêve : bâtir un hôtel sur le lopin de terre que possédait son père sur la corniche d'Hammamet. Si l'un a opté pour les valeurs, le second a choisi l'argent. D'ailleurs ce thème d'argent est très récurrent dans les romans de Balzac. Dans ce roman qui rappelle donc ceux de Balzac, où le récit est à la 3è personne, le narrateur semble être omniscient, omniprésent dans toutes les étapes. C'est qu'il se trouve partout et à tout moment, connaît tout sur ses personnages jusqu'aux moindres détails, suit leurs mouvements, leurs réactions en entrant jusqu'à dans leurs pensées, leurs sentiments et leurs projets, tout en sachant leur présent, leur passé et même leur avenir. Donc, ce roman s'inscrit dans la démarche romanesque balzacienne qui, d'ailleurs, accroche le lecteur du début jusqu'à la fin des événements. A part quelques digressions faites tout le long du roman, la belle plume du romancier peut sans doute nous flatter à travers ses belles descriptions et son style narratif élégant et puissant.