Contre vents et marées, les vagues d'immigration irrégulière des Tunisiennes et des Tunisiens vers les rives nord de la Méditerranée se poursuivent à un rythme sans précédent, même en plein cœur de cet hiver. Covid-19 en remettant une couche, les « harragas » se bousculent au portillon pour fuir un pays où tous les horizons s'obscurcissent chaque jour un peu plus, sur fond d'une brume socio-économique, épaisse et chronique, doublée d'un brouillard politique à couper au couteau. Une seule issue : ouvrir une brèche dans la mer, ramer contre les courants, contre l'hiver et contre les frontières, puis, une fois arrivé, contre l'internement, l'humiliation et... les expulsions forcées. Entre le chômage, la pauvreté, la détérioration du pouvoir d'achat, la bêtise politique, le marasme économique, la corruption d'Etat, l'impunité au sommet, et plus récemment la crise sanitaire, l'explosion sociale est devenue inéluctable. Pen-dant ce temps, la Tunisie subit une forte pression de ses « alliés » européens pour arrêter l' « hémorragie » des migrations. Bien entendu, ce n'est certainement pas en serrant la vis sur les frontières, ni en se forçant les mains lors des négociations sous couvert de « radicalisation » et de «séparatisme islamiste », et encore moins en se renvoyant la patate chaude, à l'aide d'accords signés « sous la table » et à coups d'expulsions forcées, que les choses s'arrangeront et que la migration clandestine, massive, des Tunisiennes et des Tunisiens vers l'Europe fléchira pour autant. A bon entendeur, salut : « Qui dit immigration clandestine, dit terrorisme » (sic !), déconnait, par exemple, un Mechichi tout à fait à côté de la plaque, pas plus tard que dernièrement. Le mois de Décembre, à voile et à vapeur ! En face, la Société civile tunisienne prend plutôt au sérieux cette problématique de la migration clandestine, en s'efforçant d'étudier, de décortiquer et d'analyser les tenants et aboutissants du phénomène. D'après le dernier rapport du FTDES (Forum tunisien des droits économiques et sociaux), les vagues de migration « non-réglementaire » se poursuivent à des niveaux records, malgré la conjonction de plusieurs contraintes, notamment les conditions climatiques, la crise politique, économique et sociale persistante et les expulsions méthodiques et forcées de migrants irréguliers de l'Italie, et qui vont bon train malgré la pandémie. Dans ce cadre, le mois de décembre, note le FTDES, fait partie des mois qui connaissent, de manière générale, une diminution significative des vagues de migration due à des facteurs liés principalement au climat. Ce qui n'a pas empêché le mois de décembre dernier d'être « exceptionnel » par rapport à la même période des années précédentes. En effet, le nombre d'arrivées en Italie a augmenté de 54% et le nombre de ceux qui ont franchi et ont été interceptés a augmenté de 238% par rapport à l'année 2018. Cette différence se creuse davantage par rapport à décembre 2019, où la migration non réglementaire a été à son taux le plus bas. Sur le plan local, la cartographie du FTDES pour ce mois de décembre révèle que la région de Sfax continue d'occuper la tête du classement des régions concernées par les opérations de franchissement interceptées avec un taux de 43,47%, suivie par le gouvernorat de Tunis avec 26,08%. Un taux qui représente principalement les opérations d'infiltration, avortées dans les ports. Le FTDES note que le gouvernorat de Médenine a été absent des rapports du ministère de l'Intérieur, entendez de l'interception des opérations de franchissement, ce qui suggérerait un taux de réussite de 100% des opérations d'immigration à partir de ce gouvernorat. Explosion des chiffres Par ailleurs, et bien que la Tunisie soit devenue une destination pour de nombreux étrangers, en particulier les populations de la région subsaharienne, elle ne reste pas moins une zone de transit pour eux, constate le FTDES. Ainsi, pour le deuxième mois consécutif, le nombre de migrants non tunisiens interceptés a continué d'augmenter de 60,1%. Dans le même cadre, la présence massive des femmes, avec un taux de participation de 35,1% serait due, toujours d'après le rapport, à la participation des migrantes subsahariennes dans les processus de migration non-règlementaire. Sur un autre front, le FTDES a indiqué que le nombre d'immigrants tunisiens arrivés sur les côtes italiennes par bateau en 2020 a été multiplié par cinq par rapport à l'année 2019, atteignant environ 13 mille migrants clandestins. Ce qui constitue le nombre le plus élevé depuis 2011, avec toutes les difficultés économiques et sociales qui ne cessent de s'amplifier tout au long de ces dernières années. Le Forum précise que le nombre d'immigrants tunisiens arrivés illégalement en Italie était de 2654 en 2019, et environ 5200 en 2018.Dans le même cadre, le rapport constate, que le nombre de mineurs, en particulier ceux sans accompagnement, est en constante augmentation. Parmi les taux les plus élevé, le FTDES a recensé pas371 mineurs non accompagnés durant le mois de juillet, et 333 durant le mois d'août. Le FTDES met en garde, dans ce sens, contre une explosion prochaine de la migration dans les rangs des mineurs, et rappelle qu'à la lumière des réglementations actuelles et des restrictions imposées par le gouvernement italien, relatives à l'expulsion des migrants et notamment aux tranches d'âges fixées, les candidats à la migration deviendront avec le temps essentiellement des mineurs. S.B.Y.