Le livre que nous nous proposons d'étudier aujourd'hui est un recueil de poèmes, paru en mars 2019, initialement écrit en arabe par le poète Khaled Derouiche et traduit au français, en poèmes, par M. Mohamed Baligh Turki. Faute de traduction en français du titre de ce recueil, je me suis permis de l'intituler « Le dernier texte ». Nous nous bornons donc à étudier, analyser et critiquer la traduction française de ce recueil de poèmes puisque notre club dialogue avec les écrivains francophones. Dans le premier poème « Attente », à la page 7, que nous pouvons considérer comme un poème liminaire de ce recueil et un prolongement de la préface, le poète exprime sa hantise de la mort, après s'être représenté dans la préface l'éventualité de sa mort et de ce que deviendraient après lui ses effets personnels et les objets de son environnement et de ce seraient les regrets de son conjoint et de ses amis. Je vous lis ce poème liminaire « Attente»: « Le temps s'est brisé.. un tesson pour la mort et l'autre pour une fillette qui passa sur les nuages.. Le temps s'est brisé.. entre l'errance, sa voix et sa muse.. Le temps s'est brisé.. un bout pour son départ et l'autre pour l'attente. » Par ailleurs, dans le poème « Massacre », à la page 47, le poète nous rapporte une description criante de l'amoncellement de cadavres. Sa détresse est à son comble dans ce poème: « Des crucifiés et des crucifiés.. Ici le dépôt des cadavres.. Ici une vie déchirée.. Ici l'inquiétude du papillon.. .... Jusqu'à sa mort, il tenait son arme. » Le poète évoque encore la mort dans les trois derniers vers du poème « L'avenue », à la page 15, ainsi « Un sanglot du ciel, seul, annonçant le deuil.» Le thème de la hantise de la mort, exprimé dans ce poème liminaire, commandera les thèmes corollaires développés dans tous les autres poèmes, à savoir : le temps inexorable qui fuit, l'impression de la solitude du poète et son désespoir d'être séparé de sa bien-aimée, si atrocement ressentis. En effet, le poète perçoit la fuite inexorable du temps dans toutes les manifestations de l'existence, le temps qui passe et qui n'épargne ni l'enfant, ni les va-nu-pieds, ni les ruelles, ni les fosses et les parfums. Et c'est avec amertume qu'il dit que le temps qui court est indifférent aux soucis des êtres vivants. Je vous lis le poème « Le Temps », à la page 9 : « Le temps..galope.. galope.. indifférent au cri de l'enfant et des vanupieds. Le temps..galope.. galope.. dans les ruelles des fosses et des parfums. Le temps..bagotte.. bagotte.. sur les toits et les branches du jasmin.. s'arrête .... reprend son souffle sur le papier blanc. » Ceci conduit notre poète à ressentir d'une manière douloureuse la solitude et l'angoisse d'être en retrait ou en marge de la société, lui qui semble souffrir jusqu'à la démence de ses contacts avec les hommes. Le sentiment de sa solitude déchirante est éloquemment exprimé dans son poème « Seul, je marche au bord de la blessure », à la page 33 : « Seul, je marche au bord de la blessure.. Personne, ne partage ma voie.. Personne, je ne tiens sa main.. Seul, je marche au bord de la blessure.. mes pas sur les rythmes du passé et le son de la pluie.. Seul, je marche au bord de la blessure.. imbu de rouge. » Par ailleurs, je ne crois pas qu'il y ait pour notre poète autre chose à faire, dans son attente du retour de sa bien-aimée, qu'entretenir le souvenir de son amour et l'espoir de la retrouver, et se réfugier dans l'écriture. Il a écrit une série de poèmes, chacun avec une nuance spécifique, illustrant son désir brûlant et son espérance lancinante. Je pars de son poème « Une poétesse », à la page 19: « Elle ne savait pas que notre fin fut un massacre.. que tous les poèmes erraient sans voiles.. Elle traversait tous mes chagrins, puis s'arrêta devant le bleu...pieusement ....................... Elle ne savait pas que les oiseaux se nourriront de sa voix pour chanter. Elle ne savait pas... » Puis j'enchaine avec le poème « Café », à la page 21: « Sur la table des questions sans sucre et des mégots.. Ivre de rêves j'attendais... sa voix et son ombre. » Puis j'enchéris avec le poème « Chocolat », à la page 23: « Délicieux.. délicieux.. le minois de la fille.. Si délicieuses.. ses mains..les deux.. aucune différence.. Délicieuses.. délicieuses.. ses paroles fourrées de trahison.. Si délicieux le chuchotement de l'âme à l'âme Délicieux.. délicieux.. lorsqu'elle me manque et le sentier perdu.. » .... Puis je surenchéris avec son poème « Je ne suis que douleurs », à la page 29: « Elle a ma guérison dans ses mains ... et une voix de marbre rare.. ........ Maintenant je ne suis que douleurs.. devant sa porte j'attends.» Notre poète conclut par entonner sa révolte pour son départ et sa détresse pour l'avoir abandonnée, par son poème, sans titre, à la page 37: « .... Qu'est ce que je fais dans ce monde ?? Que de déceptions.. et de disparitions. Qu'est ce que je fais dans cette chambre délabrée ?? Dans ce décor sans elle et moi. Qu'est ce que je fais dans ce monde ?? Tombent les visages les uns après les autres et l'Amour.» En conclusion générale, je relève que les objets ménagers et les effets personnels sont décrits par l'auteur comme disparates et ne se mêlent pas, leurs fantômes immobiles, témoins de la fuite du temps, veillent dans le brouillard des souvenirs passés de notre poète. Le temps enregistre avec tant d'indifférence le cursus de son histoire et de celle de sa bien-aimée, et s'est arrêté comme une horloge brisée. Il ressort des poèmes de ce recueil que des années sont passées, cela embrasse une bonne part de la vie de notre poète, mais peut-être est-ce un temps trop bref pour ce ressac de l'histoire de sa vie. Mais notre poète ne peut s'empêcher, sans que cela se voie trop, de se livrer à cette respiration naturelle qui laisse une chance à la justice et à la vérité, en l'occurrence pour le cas du poète Khaled Derouiche, à l'espoir de s'accrocher à la velléité du retour hypothétique de sa bien-aimée pour renouer sa vie avec elle et se délecter du bonheur de la retrouver et mettre fin à son désespoir et à sa solitude.