-Interview de Son Excellence Bruno Picard, Ambassadeur du Canada en Tunisie. La Tunisie et le Canada célèbrent leur 50e anniversaire de relations diplomatiques. Au fil des années, les deux pays ont réussi à tisser des liens étroits malgré la distance qui les sépare. C'est leur amour pour la langue française qui a grandement facilité ce rapprochement. Mais les Tunisiens et les Canadiens ont encore du travail à faire pour améliorer les échanges commerciaux et pour mieux faire connaître respectivement leur petit coin de terre. Le nouvel ambassadeur du Canada en Tunisie, Son Excellence, Bruno Picard, a bien voulu faire le bilan de ce demi-siècle.
Le Temps : Vous êtes en poste depuis septembre dernier, quelles sont vos premières impressions de la Tunisie ? M. Bruno Picard : Ça se passe très bien depuis mon arrivée. Il faut dire que j'étais déjà venu en Tunisie en 1972 alors que j'étais coopérant en Côte d'Ivoire. J'avais à l'époque traversé le Sahara via la frontière algérienne. Ces dernières années, j'ai aussi travaillé dans les pays limitrophes en Egypte et au Maroc, mais je n'étais jamais revenu en Tunisie. Quand je suis arrivé, j'ai trouvé un pays véritablement en émergence. J'ai aussi retrouvé la même âme tunisienne c'est-à-dire un peuple doux, chaleureux, conscient de ses valeurs, mais aussi ouvert sur l'étranger. En plus, j'ai la chance d'arriver au moment où on fête les 50 ans des relations tuniso-canadiennes. Pour moi, il s'agit plus qu'une célébration entre les deux gouvernements. C'est l'occasion pour les Tunisiens et les Canadiens de voir ce qui a été accompli et de savoir quelle direction ils veulent prendre dans l'avenir.
. Lorsque vous faites le bilan de ces 50 dernières années, quels sont les moments forts dans les relations tuniso-canadiennes ? - Le Canada a reconnu la Tunisie peu de temps après son indépendance. La coopération entre les deux pays vient certainement de cette volonté à promouvoir la langue française. On a voulu travailler étroitement sur les questions concernant la francophonie. Pendant les dernières décennies, la Tunisie a aussi été ce que j'appelle « l'enfant chéri du Canada » c'est-à-dire qu'on a grandement investi dans le développement socio-économique du pays. Aujourd'hui, on retire une certaine satisfaction de voir que la Tunisie a réussi. J'ose croire qu'on a joué un petit rôle dans cette émergence même si on n'est pas les seuls à avoir aidé la Tunisie.
. Les relations tuniso-canadiennes ont été principalement basées sur l'aide au développement. Avec l'émergence de la Tunisie, quelles sont les nouvelles tendances ? - Nous accordons une plus grande place aux partenariats et aux investissements privés. Le Canada est actuellement le 10e investisseur étranger en Tunisie et le 2e dans le secteur des hydrocarbures. Avec l'internationalisation de l'économie tunisienne, il y a de belles perspectives économiques. On peut même commencer à penser que des investisseurs tunisiens voudront faire affaire au Canada. Il y a déjà plusieurs entrepreneurs canadiens qui ont choisi la Tunisie et il pourrait en avoir davantage avec la création d'une zone de libre-échange maghrébine. Je suis très encouragé de voir émerger cette zone d'autant plus que la Tunisie est très bien positionnée.
. Les échanges commerciaux entre la Tunisie et le Canada demeurent, malgré tout, très modestes. Qu'est-ce qui explique cette situation ? - À vrai dire, les investissements et les échanges en matière de services sont très satisfaisants en Tunisie. Le problème est au niveau du commerce des produits. Ce secteur demeure trop modeste. C'est sûr qu'on doit faire mieux. Je crois qu'il faut faire connaître aux entreprises canadiennes les opportunités qu'offre la Tunisie. Et je le répète, il ne faut pas seulement regarder la Tunisie et ses 10 millions d'habitants. Dans l'avenir, il faudra voir la Tunisie dans un contexte maghrébin. Les échanges pourront alors s'intensifier dans les deux sens. Il y a un réel potentiel encore inexploité.
. Pour améliorer ces échanges, les entrepreneurs tunisiens souhaitent que les droits de douanes sur les produits canadiens diminuent. Quelles démarches ont été entreprises jusqu'à maintenant ? - Il y a effectivement un problème au niveau de la structure tarifaire. On est en train de voir avec nos amis tunisiens comment faire pour améliorer la situation. Actuellement, on est rendu à l'étape de sensibilisation et d'analyse du problème. On cherche à trouver des moyens éventuels pour surmonter cet obstacle qui est bien réel.
. En dépit de ce problème, quels sont les avantages pour les entreprises canadiennes de faire affaire avec la Tunisie ? - Le niveau de développement, les infrastructures et l'abondance de diplômés tunisiens sont de bons incitatifs pour les entreprises canadiennes. La Tunisie travaille aussi de près avec ses voisins algériens, libyens et subsahariens. Il y a là un intérêt certain. En plus, la structure des coûts en Tunisie est devenue très compétitive. Le World Economic Forum la classe au 30e rang. Ce n'est pas rien. C'est très significatif. Ça prouve qu'il s'agit d'un bon pays pour les investissements. C'est cette réalité qu'il faut faire connaître au Canada comme on se doit de mieux faire connaître la réalité canadienne aux Tunisiens. C'est le rôle de l'ambassade d'essayer de changer les perceptions et de multiplier les contacts.
. Que voulez-vous justement dire aux Tunisiens sur la situation canadienne ? - Je veux surtout dire aux Tunisiens que le Canada n'est pas seulement francophone et qu'il y a une partie anglophone. Certes, la langue française a permis aux Tunisiens de créer des liens plus étroits avec le Québec. Mais le Canada, ce n'est pas uniquement le Québec ! Chaque province canadienne a son charme et son potentiel. En plus, le Canada est un pays du G7, très industrialisé et avec d'abondantes ressources naturelles. Après avoir connu une période difficile dans les années 1990, l'économie canadienne se porte maintenant très bien. On connaît un bon taux de croissance, des surplus budgétaires et l'on est en train de réinvestir dans les programmes sociaux. Le Canada est aussi une bonne porte d'entrée sur le marché américain grâce à l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA). À mon avis, il est peut-être plus facile de percer le marché canadien avant de faire affaire aux Etats-Unis. En fait, le marché canadien est un beau marché test.
. À part les liens économiques, l'éducation se trouve aussi au cœur des relations tuniso-canadiennes. Qu'est-ce qui a été principalement fait dans ce secteur ? - On a des liens uniques avec la Tunisie en matière d'éducation. Ça n'existe pas beaucoup ailleurs. Chaque année, le Canada accueille en moyenne 2 000 étudiants dans ses universités francophones, mais de plus en plus dans ses institutions anglophones. De nombreux programmes de coopération et de recherches ont aussi été mis en place dans chacun des pays. Il s'agit là d'un bon moyen pour tisser des liens solides.
. Dans un avenir rapproché, comment se dessineront les relations entre le Canada et la Tunisie ? - En 2005, nous avons signé un mémorandum d'entente et de consultation entre les deux pays pour développer davantage nos rapports sur les grandes questions de l'heure. On est en train, entre autres, de voir comment faire pour relancer le Groupe de travail sur les réfugiés palestiniens qui est inactif depuis quelque temps. On peut aussi travailler conjointement dans des missions de paix comme on l'a fait dans le cas du Rwanda.
. En terminant, que prévoyez-vous faire de spécial pour le 50e anniversaire des relations tuniso-canadiennes ? - La première activité organisée conjointement par les deux gouvernements est le concert de Lynda Thalie qui aura lieu demain. Il y aura certainement d'autres événements qu'on annoncera au fur et à mesure. Sinon, j'espère pouvoir inaugurer le site d'une nouvelle ambassade au cours de l'année. On prévoit de déménager vers les Berges du Lac.